Alors que nous admirons beaucoup l’antiquité grecque pour avoir été en quelque sorte le berceau de la démocratie, il est étonnant de voir que Platon était loin de lui accorder la valeur que nous lui attribuons aujourd’hui. Au contraire. Il pensait même que, quand les lois sont respectées, la démocratie est le plus mauvais de tous régimes pour l’inertie de facto qu’elle implique. Il lui préférait la monarchie. Par contre il recommandait cette même démocratie dans un pays où les lois ne sont plus respectées, sans doute parce qu’alors elle semble la seule à pouvoir s’opposer à la dictature. C’est un exposé qu’il est intéressant de connaître. On le trouvera dans le livre de Platon « Le Politique » à partir de l’alinéa 302. En voici un passage significatif :

 « Une monarchie, quand elle a été soumise aux contraintes des bonnes prescriptions écrites que sont les Lois, est le meilleur de tous les régimes. Mais quand elle est sans légalité c’est au contraire celui avec lequel il est le plus incommode et le plus pesant d’avoir à vivre…. Tenons donc pour être stupide de tous les points de vue le gouvernement de la multitude, car il est incapable de faire quoi que ce soit ni en bien ni en mal en comparaison des autres régimes, car l’autorité y est répartie en lambeaux entre un grand nombre d’individus. Aussi entre tous les régimes qui observent la légalité celui là est le pire, tandis qu’il est le meilleur sans exception parmi tous ceux qui n’observent pas la légalité. En conclusion, dés lors que l’indiscipline prévaut, c’est à l’existence en démocratie que revient la victoire, alors qu’au contraire c’est elle qu’il faut fuir lorsque les autres régimes sont bien réglés ».

 Le principe de la démocratie consiste en effet en ce que la majorité y impose sa loi à la minorité. A une petite échelle c’est le principe des bandes et des mafias, celle qui est la plus nombreuse réussissant à supplanter les autres et à imposer ses règles. A l’échelle d’un pays c’est le principe qui fut lapidairement énoncé par Laignel député de l’Indre lançant le 13 octobre 1981 en plein débat sur les nationalisations à Jean Foyer, ancien garde des Sceaux du général de Gaulle : « Vous avez juridiquement tort parce que vous êtes politiquement minoritaire ».

Une fois que le principe fondateur de la démocratie est bien compris on n’est plus étonné des dérives qu’il a entrainé dans l’histoire. Hitler par exemple est arrivé démocratiquement au pouvoir. Et le président iranien Mahmoud Ahmadinejad auquel nous devrons sans doute le prochain conflit mondial en est aussi un exemple. De même, malgré leur grand nombre, aucune des démocraties populaires ne s’est particulièrement distinguée par sa réussite dans l’histoire. Beaucoup aujourd’hui ont disparu en laissant des souvenirs catastrophiques comme l’effroyable génocide du Kampuchéa justement démocratique ! Il en reste encore quelques unes comme la Corée du Nord, la Lybie ou Cuba. Elles ne brillent toujours pas par leur exemplarité. Dans tous ces régimes le principe démocratique est appliqué à la lettre et la majorité y impose dictatorialement sa loi à la minorité. C’est effectivement la dictature du prolétariat !

Les défenseurs de la démocratie croiront alors donner des contre exemples en citant les nations auxquelles la civilisation doit la plupart de ses progrès et qui toutes sont démocratiques en commençant par les USA, l’Angleterre ou la France. C’est un peu comme si on attribuait par exemple au seul poivre qu’il contient la qualité d’un met particulièrement succulent. De même que celui-ci est évidemment nécessaire pour relever le goût de certains plats, de même la démocratie est nécessaire pour trancher par exemple entre certaines opinions divergentes qui concernent la bonne marche d’un pays. Mais un excès de poivre gâche tout. Pareillement la démocratie appliquée à outrance comme dans les exemples qui ont été donnés est manifestement nuisible. Elle n’est donc pas l’explication de notre réussite. 

En ce qui me concerne je crois que l’explication de cette réussite vient de la moralité qui prédominait au plus haut point chez les fondateurs des Etats-Unis, qui prévalait dans notre enseignement sous la troisième République et pareillement chez les grandes nations voisines et qui ensuite essaimait exemplairement à travers le monde. C’est cette moralité qui savait doser judicieusement la quantité de démocratie à utiliser dans le fonctionnement de nos institutions, de même qu’un bon cuisinier est celui qui sait doser la quantité de poivre à utiliser pour qu’un plat soit bon. Et presque à chaque fois que nous avons observé un dérapage, il venait justement d’un excès de démocratie. C’est ainsi qu’en France, conformément à l’analyse de Platon, cet excès paralyse depuis des années nos gouvernements successifs qu’il empêche de prendre des décisions vitales pour le pays faisant que presque tous nos indicateurs sont dorénavant au rouge.

Finalement la morale et la démocratie sont comme le fond et la forme. Notre civilisation des apparences donne la prépondérance à la forme. Et en fait c’est le fond qu’il faudrait privilégier.