Je suis un résident français à l’étranger et je me tiens informé quotidiennement de ce qui se passe chez nous. Je me désole de la situation dans laquelle le France est plongée. En entendant nos dirigeants nous dire jour après jour que leur politique porte ses fruits et que par conséquent ils (ou plutôt il) font tout bien, je ne peux que m’étonner que Sarkozy résiste aussi bien dans les enquêtes d’opinion. Chacune de ses sorties sert à exposer son bilan qu’il qualifie de tous les superlatifs disponibles dans notre langue ‘tellement il est bon’ comme dirait sa marionnette des Guignols. Devant ce spectacle plutôt affligeant, alors que je ne cesse de dire que les français sont des gens politiquement intelligents, je ne peux m’empêcher de me poser la question ‘La France a-t-elle perdu son intelligence politique ?’ Je commencerai par faire un état des lieux puis j’essaierai de trouver quelques pistes pour répondre à cette question. Je finirai en me demandant quelles sont les alternatives à proposer.
Etat des lieux :
Je commencerai par les indicateurs économiques qui sont tous au rouge. Le pouvoir d’achat est en berne (rappelez-vous le fameux ‘je serai le président du pouvoir d’achat’). La croissance : le budget 2008 a été élaboré sur des prévisions de croissance de 2,25%. Tous les économistes s’accordaient à dire que nous serions plutôt aux alentours de 1%. Ils ont été traité avec condescendance par le président qui il est vrai communique bien mieux, ‘j’irai chercher la croissance avec les dents’. Nous connaissons aujourd’hui les résultats (en dessous de 1%) et notre ministre de l’économie nous explique ce qui se passe en reprenant les arguments des économistes qui la mettaient en garde à l’automne 2007. Se serait-elle trompée ? Non, non ! Tout va bien et ‘la France résiste bien dans ce contexte de crise’ selon elle. L’endettement de la France : il dépasse dès 2008 le cadre prévu par Bruxelles aussi bien en pourcentage du PIB (nous atteindrons bientôt 70%) qu’en termes de déficit public (3% est la norme européenne). Et que dire de 2009 ? Notre président nous disait en campagne électorale qu’il était immoral de laisser à nos enfants une dette publique aussi lourde et que nous reviendrions à l’équilibre budgétaire en 2012. Résultats : un triplement de la dette en 2008 par rapport à 2006..et tout va bien, les réformes portent leurs fruits et il faut les accélérer. Nous touchons ici à un problème à la fois idéologique et de mise en application de la politique française. Le plus élémentaire pragmatisme économique nous dicterait dans cette situation que l’on abolisse les privilèges accordés aux amis du président. La France n’a pas les moyens de son paquet fiscal, pas plus que pour le cadeau fait à Bouygues et Bolloré concernant la suppression de la publicité à la télévision publique, l’arrangement Tapie pour ne citer que quelques exemples. L’application de la politique française où une personne décide de tout est dangereuse. Deux raisons fondamentales : d’abord une personne, aussi brillante soit-elle, ne peut à elle seule réunir toutes les compétences et ne peut que se disperser en touchant à tout et ensuite, la constitution française ne prévoit pas cela. Nous pourrions élaborer sur le non-respect de nos institutions par celui qui doit en être le garant. Passons à la situation de l’emploi : le président qui nous amènerait le plein emploi voit aujourd’hui le chômage progresser à une vitesse jamais vue auparavant, et ce n’est pas fini. Notre commerce extérieur connait un déficit record et notre production industrielle est au plus bas. N’en jetons plus ! Mais si au moins, on reconnaissait qu’on se trompe quelques fois et que l’on fait des erreurs, cela aurait au moins le mérite de nous faire corriger le tir. Et bien non ! La méthode Coué !
Toutes les sorties de notre cher président et de ses ministres, même s’ils reconnaissent le contexte économique difficile, servent à nous dire combien leur action est géniale, combien ils sont dans le vrai et combien ils devraient continuer dans cette direction. Soit dit en passant, cette crise est une aubaine fantastique pour Sarkozy qui peut s’en servir pour complètement se dédouaner de toute responsabilité quant à la situation de la France. Que dire de notre adorable ministre de la Justice qui réussit l’exploit inédit de se mette à dos tout le monde, ses collaborateurs, les procureurs, les avocats de la défense, les élus locaux ? Ou encore de notre ministre d’état ? Qui sait de qui il s’agit ? Je serai beau joueur en disant qu’une secrétaire d’état s’est donnée une note moyenne, Fadela Amara. Le ‘plan Marshall des banlieues’ (sic !) n’est pas bien appliqué. Pas étonnant qu’elle ne se soit pas entendue avec son ministre de tutelle. Tout devrait rentrer dans l’ordre maintenant qu’elle en a un autre, Hortefeux. Il est d’ailleurs le seul ministre à avoir atteint et même dépassé ses objectifs, plus de sans-papiers renvoyés que prévu.
Alors cette question : les français ont-ils perdu leur intelligence politique ? Je dirais a priori que non. Mais alors, pourquoi Sarkozy est-il toujours populaire pour 40% des gens (ce qui est beaucoup au vu de ses résultats). Voici quelques pistes. D’abord il y a les irréductibles, ceux qui ont vision dogmatique de la politique, qui ne seront jamais capables d’admettre qu’ils se sont trompés, et ceux qui profitent de sa politique. Ces gens-là seront toujours contre vents et marées des supporters du président et font que jamais sa cote ne pourra descendre sous les 30%. Ensuite il y a les gens qui se désintéressent du quotidien politique, qui sont écœurés (on peut les comprendre quand on voit le spectacle qui leur est offert). Puis il y a les gens qui aimeraient suivre mais que Sarkozy a semés. Et là entre en jeu toute la stratégie de communication de l’Elysée et du cabinet engagé pour conduire la campagne de désinformation. L’hyper activité du président, les leurres, les diversions, la quantité de mesures annoncées rendent l’action du gouvernement impossible à suivre. Personne n’est capable de dresser un état des lieux du nombre de réformes annoncées, les quelles ont été appliquées, les quelles ont été traduites en lois et en décrets d’application. Même les chiffres qui sont têtus en général ne nous parlent plus tellement l’exécutif met d’application à nous faire passer des vessies pour des lanternes. Et enfin, il y a cette perception qu’il n’existe pas d’alternative en France. Les socialistes sont embourbés dans leurs luttes internes, Bayrou a du mal à se faire entendre faute de représentativité suffisante et les centristes traditionnels ont prêté allégeance au souverain.
Alors que faire ? Nous ne savons pas aujourd’hui avec certitude ce qui pourrait marcher mais nous savons déjà ce qui ne marche pas. Ne faisons pas la même erreur qu’on fait les Américains en donnant un second mandat à Bush il y a 4 ans. La situation était alors mauvaise mais faute d’alternative (rappelez-vous Kerry qui faisait trop french), on l’a réélu. La situation est passée 4 ans plus tard de mauvaise à catastrophique. Ce président part sous les huées avec 22% d’opinions favorables (ah si on peut descendre sous les 30%). J’aurai l’occasion de livrer ma réflexion sur Sarkozy et les États-Unis, de Bush à Obama dans un autre article. Si on peut se féliciter de voir partir l’administration Bush, nous ne devrions pas nous réjouir de son bilan même si on fait partie de ses nombreux opposants car les dégâts qu’il a causés sont considérables. Je n’aimerais pas me retrouver en 2017, après un second mandat Sarkozy, à écrire ‘vous voyez je vous l’avais bien dit’. Non je préfèrerais une alternative dès 2012, d’autant plus que si il est réélu, Sarkozy nous servira un ‘je suis tellement bon qu’ils m’ont donné un autre mandat donc on va encore aller plus loin’. Alors cette alternative où est-elle ? La France est généralement au centre, ce qui explique ces nombreuses alternances droite-gauche. Aujourd’hui la politique menée (mal menée en plus) est trop à droite. Il faudrait résister à la tentation de virer drastiquement à gauche. La montée de l’extrême gauche, incarnée par Besancenot est un mauvais signe. Soit dit en passant, ceci arrange plutôt Sarkozy mais c’est un autre débat. Alors qu’y a-t-il au milieu ? Et bien pas grand-chose. Le `’diviser pour mieux régner’ est appliqué à merveille par l’équipe en place. On a aidé les socialistes à se déchirer, même s’ils sont déjà très bons à ça. Rappelez-vous le ‘la division des socialistes je l’organise’ du président. Bayrou est marginalisé car abandonné par grand nombre d’anciens UDF qui ont rejoint le camp des gagnants. Et même au sein de la majorité, nous avons un premier ministre faible relégué au rang de collaborateur, des ministres transparents, un parlement qui n’est qu’une chambre d’enregistrement en pagaille, un groupe parlementaire UMP qui peine à exister malgré les efforts de Copé, un parti dirigé par personne sinon Sarkozy lui-même. Personne, y compris à droite n’est assez fort pour s’opposer de façon crédible au président actuel. Il a dans ce domaine parfaitement exécuté son plan.
Alors il faut regarder ailleurs et penser la politique autrement. Regardez Obama et même Clinton en son temps. Personne ne les connaissait 2 ou 3 ans avant leur élection. En France, nous connaissons en général le président-élu depuis 20 ans. Alors faute de voir émerger une femme ou un homme inconnu aujourd’hui, faut-il faire sauter les clivages gauche-droite comme le suggère Bayrou ? La piste vaut la peine d’être étudiée mais avons-nous la bonne personne ? Faut-il en revenir à un président socialiste ? Difficile à envisager aujourd’hui sauf si DSK pouvait revenir en France en 2012 et fédérer les énergies sociales démocrates. Delors aurait pu le faire en 1995 comme le lui demandaient les socialistes mais il n’y pas cru. La question des alliances se poserait assurément.
Alors oui, la France est dans un sal état et la division qui y est organisée est préjudiciable. Dans ces moments difficiles, il faudrait plutôt se rassembler car c’est collectivement bien sûr que nous nous en sortirons. Il faudrait au moins déjà être d’accord sur le fait que ce qui est fait en France aujourd’hui est catastrophique, ce qui nous permettrait de mettre toute notre énergie à rechercher l’alternative la meilleure. Gardons ce bien précieux qui est notre intelligence politique et ne laissons pas Sarkozy nous la confisquer, comme il confisque nos institutions. Utilisons les forums de discussions pour proposer, innover, voir la politique autrement. J’aurais l’occasion de revenir avec des idées et d’autres réflexions.