La « parapolitique » : la politique selon Alvaro Uribe
Depuis plus d’un an, la Colombie est secouée par le scandale de la parapolitique qui révèle les liens entre les paramilitaires, de nombreux personnages politiques, les forces de sécurité et le narcotrafic. L’entourage du président Alvaro Uribe est également impliqué dans ce système, pourtant les « négociations » avec les paramilitaires en vue d’un désarmement complet se poursuivent tranquillement.
Origine
La Colombie, comme l’Amérique latine en général, sont encore très marquées par les relations clientélistes, qui s’épanouissent avec la décentralisation des institutions[1].Les grands propriétaires terriens, les notables, et jusqu’aux gros narcotrafiquants, peuvent s’appuyer sur des réseaux allant des plus hautes strates de la société jusqu’aux paysans et ouvriers qu’ils exploitent. Mais aussi, nous l’avons constaté, sur des bandes armées, qu’on appelle paramilitaires, AUC (Autodéfenses Unies de Colombie) ou Convivir (mises en place par Uribe en 1994 quand il était gouverneur de l’Antioquia) selon les périodes. Les paramilitaires ont su utiliser ce clientélisme pour s’infiltrer dans la vie politique locale et régionale, puis au Congrès et au gouvernement, comme le montrent certaines arrestations récentes.
Seulement, il est tout à fait récent que ces relations soient étalées au grand jour, et surtout que les enquêtes judiciaires aboutissent. L’impunité a toujours été de mise, puisque la justice comme les pouvoirs publics en général, et la classe politique au pouvoir, étaient soit sous la coupe des paramilitaires, soit collaboraient avec. Les opposants étant systématiquement éliminés ou contraints à l’exil, la contestation s’avérait, et s’avère toujours, particulièrement risquée.
Les exemples de parents ayant reçu des menaces après avoir porté plainte suite à la disparition d’un proche ne manquent pas, les exemples d’enquêtes n’ayant pas abouti ou de juges assassinés non plus.
Les élections législatives et municipales de 2006 ont été le point de départ de ce qui s’est vite transformé en scandale : la révélation publique des liens entre les paramilitaires et des politiciens du parti libéral (celui d’Uribe), dans le Nord de la Colombie.
Mais dès la présidentielle de 1994, Andrés Pastrana (conservateur, il a perdu au profit du candidat libéral Ernesto Samper) envoie au président César Gaviria des enregistrements compromettants pour son rival libéral [2] : des membres du Cartel de Cali évoquaient le financement de la campagne de Samper. Aucune enquête judiciaire n’a été entamée à ce sujet, bien que par la suite, des perquisitions menées dans des entreprises appartenant aux frères Orejuela aient permis d’établir qu’ils avaient réalisé au moins 6 400 opérations financières pour assurer la campagne (financement de parlementaires, d’officiers, policiers, etc., mais aussi achat du procureur général de la nation[3] et d’autres fonctionnaires de la justice). L’enquête de la Fiscalia appellée « proceso 8 000 » a très vite mis à jour plus de 40 000 transactions via des sociétés écran, avant de déboucher sur de nombreuses autres investigations parallèles mettant en cause neuf congressistes libéraux, des juges et de hauts membres du Cartel de Cali. Les élections de 2002 ont aussi amené leur lot de déclarations fracassantes, comme celle de Salvatore Mancuso (un leader des AUC) se félicitant que 35 % du Congrès était allié aux paramilitaires.
En novembre 2006, le sénateur libéral Miguel de la Espriella déclare que lui et une quarantaine d’autres politiciens (dont certains présents dans le gouvernement Uribe) ont conclu en juillet 2001 un pacte - le pacte de Ralito - avec les paramilitaires en vue de créer un mouvement politique qui devait s’appeler Movimiento Nacional Comunitario (Mouvement national communautaire). Ces politiciens auraient selon de la Espriella été instamment priés par les paramilitaires d’assister à cette réunion, à laquelle Carlos Castano (créateur des AUC et paramilitaire depuis toujours) et Mancuso auraient été présents.
En novembre, la Cour suprême fait arrêter trois parlementaires, Álvaro Garcia Romero, Jairo Merlano et Erik Morris Taboada, en raison de liens présumés avec les paramilitaires, puis six autres parlementaires doivent répondre du même type d’accusations. Alvaro Garcia est fortement soupçonné d’avoir ordonné aux paramilitaires le massacre d’une quinzaine de personnes en 2000[4]. Eric Morris aurait en outre menacé un témoin-clé, lui disant de revenir sur sa déposition et d’accuser un autre parlementaire.
D’autres ont démissionné ou n’ont pas pris leurs fonctions d’élus, comme Jairo Enrique Merlano qui a préféré se retirer quelques jours après avoir été mis en cause par la Cour pénale pour des crimes aggravés ; le représentant conservateur du Magdalena, Alfonso Campo Escobar, emprisonné depuis février, ou le sénateur Álvaro Araújo Castro accusé par la Cour pénale de Corte de crimes aggravés, de séquestration, et d’avoir des liens avec « Jorge 40 » (membre important des AUC et gros narcotrafiquant réclamé par les États-Unis, démobilisé). Il a été arrêté en février. Celui-ci a avoué avoir assisté à la réunion du pacte de Ralito et avoir eu un « contact marginal » avec Jorge 40[5]. La sœur d’Alvaro Araújo, la ministre des Affaires étrangères Maria Consuelo Araújo, a dû démissionner suite à ces accusations ainsi que celles, identiques, portées contre leur père.
Après la révélation d’écoutes illégales de membres de l’opposition, début mai, Uribe a été obligé de demander leur démission au chef de la police, le général Jorge Daniel Castro, et au général Guillermo Chavez, son subordonné à la tête des services secrets. Ce mois-là, une cinquantaine d’élus, locaux et nationaux, font l’objet d’enquêtes du procureur général de Colombie en raison de liens avec les paramilitaires. Parmi eux, une douzaine sont aussi accusés de crimes. Cerise sur le gâteau, Mancuso menace de révéler les noms de politiciens et fonctionnaires toujours en exercice avec lesquels il a été en rapport.
Mais le coup de théâtre est survenu avec la saisie début 2006 de l’ordinateur
portable de Jorge 40, que son assistant avait avec lui. Car finalement
ce n’est pas le processus de démobilisation des AUC qui a permis de
lever le voile sur les liens entre la classe politique et les
paramilitaires, mais la lecture du disque dur d’un ordinateur récupéré
par hasard. Cet ordinateur est devenu la principale source
d’information pour la justice et a permis à la Fiscalia d’établir que
les paramilitaires soutenaient bien certains parlementaires, du moins
dans le nord du pays. Dedans, il y avait la liste de 558 personnes
assassinées par les paramilitaires - depuis le cessez-le-feu de 2002
jusque début 2006, dans une seule région. Ces assassinats sont
répertoriés par date, lieu, motif. Parmi les victimes, on retrouve le
nom du professeur de sociologie Alfredo Correa, assassiné en septembre
2004 en pleine nuit par des sicarios (tueurs à gage) en moto.
Il y a aussi les noms de syndicalistes, défenseurs des droits de
l’homme et autres subversifs accusés d’être avec les FARC, des noms de
commerçants ou de vendeurs ambulants, mais on retrouve également, dans
le cadre du « nettoyage social »,
des noms de prostituées et délinquants. Le bureau du procureur a ainsi
établi l’existence de « listes de cibles », à savoir des syndicalistes
et des opposants politiques d’Uribe. Ces listes ont été mises au point
par de hauts responsables des services de renseignements, et remises
aux AUC pour qu’ils menacent et/ou assassinent les personnes désignées.
Ceux qui figuraient sur une de ces listes, transmise à Jorge 40 par Noguera (le chef du DAS) sont aujourd’hui exilés ou ont été assassinés.
L’ordinateur contenait aussi des éléments sur la manière sont les AUC soutiraient 10 % de tous les contrats, sur les fraudes réalisées lors du processus de démobilisation, mais encore les noms de ceux avec qui ils font le trafic de cocaïne, les noms des fonctionnaires qui collaborent avec eux, et les noms des politiciens de la côte (le secteur du Bloque Norte, dirigé par Jorge 40) qui sont leurs alliés. Parmi les noms cités, celui d’Alvaro Araújo ou celui de la sénatrice Zulema Jatin qui a reçu de l’argent des AUC pour financer sa campagne. Le gouverneur du Magdalena, Trino Luna, aurait rencontré l’assistant de Jorge 40 pour un contrat de traitement des ordures. Mais d’autres députés, sénateurs et représentants de l’État sont mentionnés sur le disque dur. La Fiscalia a cité également Héctor Julio Alfonso López et Lidio García Turbay, représentants à la Chambre, Vicente Blel, ex-sénateur libéral et Luis Daniel Vargas, ex-gouverneur de Bolívar, comme ayant bénéficié de l’appui des paramilitaires pendant leur campagne. Au moins une cinquantaine d’élus sont dans la ligne de mire de la Fiscalia à ce jour, une cinquantaine d’autres devant suivre.
Les noms de fonctionnaires de la Fiscalia (dont des juges), du DAS et de l’armée sur lesquels les paramilitaires pouvaient compter apparaissent également.
Le procureur général de la nation a décidé de créer une section spéciale pour enquêter sur les cas de collusion entre des employés de la fonction publique et les paramilitaires.
Lors d’une interview début mai au quotidien El Tiempo, Mancuso a prévenu que ses déclarations allaient impliquer au moins 70 membres du Congrès, des membres de l’Église catholique, des transnationales ainsi que les banques qui lui avaient permis de blanchir l’argent du narcotrafic. Il aurait aussi déclaré, selon l’agence Prensa latina, que les feuilles de coca destinées au trafic étaient transportées dans des hélicoptères pilotés par des officiers de police qui travaillaient pour les paramilitaires en dehors de leurs heures de service.
En juin, le même Mancuso a avoué lors d’une comparution devant la justice avoir eu plusieurs entretiens avec le vice-président de la République (et ancien rédacteur en chef du quotidien El Tiempo), Francisco Santos. Ledit Santos lui aurait alors proposé de mettre en place un front militaire à Bogota pour contrer les guérillas. Mancuso affirme que cette proposition n’a pas été faite qu’à lui. Il dit aussi avoir rencontré celui qui est aujourd’hui ministre de la Défense, Juan Manuel Santos, pour les mêmes raisons en 1997.
Le scandale de la « parapolitique » dévoile les liens inextricables entre la classe politique et les organisations paramilitaires. Les révélations se succèdent, et touchent des personnes de plus en plus haut placés dans les appareils d’État. Rafaël Garcia, directeur informatique du DAS (Département administratif de sécurité, sous les ordres de la présidence) jusqu’en 2004 et aujourd’hui en prison pour avoir fourni des informations aux paramilitaires, passe à table. Il affirme que Jorge Noguera, chef du DAS, a rencontré des leaders paramilitaires (dont Rodrigo Tovar, alias « Jorge 40 ») et des opposants vénézuéliens dans le cadre d’un plan de déstabilisation d’Hugo Chavez[6]. La famille Noguera est par ailleurs connue pour ses liens avec les narcos, qui lui ont permis de conserver un bon statut social, schéma qui ressemble à celui qu’a connu la famille Uribe.
La Fiscalia (le bureau du procureur), qui mène les enquêtes pénales, travaille sur l’infiltration de paramilitaires au sein du DAS, ainsi que sur la participation de membres du DAS à l’assassinat de syndicalistes et professeurs d’université de la côte Atlantique.[7] Noguera a aussi été accusé d’avoir fait disparaître des informations compromettantes pour des narcotrafiquants extradables vers les États-Unis et des paramilitaires. Uribe a dû le rappeler de son poste d’ambassadeur à Milan pour qu’il réponde à la justice. Les accusations de Garcia ont été déterminantes pour entamer deux poursuites pénales et une disciplinaire contre Noguera, et le faire « incarcérer »[8]. Celui-ci a par ailleurs été le directeur de campagne d’Uribe dans le Magdalena pour les présidentielles de 2002, et aurait contribué à y détourner des voix en sa faveur. Salvatore Mancuso, le remplaçant de Castano à la tête des AUC, s’est félicité en public du fait que les AUC contrôlaient 35 % du Congrès après les législatives de 2002, et a reconnu lors d’une audience au tribunal le soutien des AUC à Alvaro Uribe.
Au procès de Jorge 40, plus de 300 victimes ont témoigné. Il n’a avoué « que » la responsabilité du massacre de 45 habitants d’un village de pêcheurs, Nueva Valencia (mais, selon lui, il s’agissait, bien sûr, de militants de l’ELN, l’une des guérillas de gauche), et la disparition de sept enquêteurs de la Fiscalia, ces deux faits remontant à 2000.
En août, le député Alfonso Campo a avoué devant la Fiscalia (le procureur) avoir eu des réunions avec les AUC dans le but de commettre des crimes, d’avoir exercé des contraintes sur les électeurs, et la modification des résultats du vote. C’est le premier à parler parmi les trente députés sous le coup d’enquêtes actuellement. Il aurait vu Jorge 40 pour parler de « sujets politiques ». Des généraux et de hauts responsables de la police ont été dénoncés par Mancuso ou d’autres chefs paramilitaires. Parmi les noms cités, le général Serrano, aujourd’hui ambassadeur en Australie, serait ainsi intervenu au milieu des années 90 pour que Mancuso et Jorge 40 n’aillent pas en prison. Mancuso a également dénoncé - entre autres - Rito Alejo del Río, Iván Ramírez et Martín Orlando Carreño, trois généraux de l’armée avec lesquels il aurait collaboré. Les hommes de Mancuso auraient ainsi effectué des patrouilles avec les soldats de la 17e brigade. Ramirez, de la 11e brigade, est ensuite devenu chef du renseignement de l’armée, malgré les nombreuses plaintes de ses victimes auprès de la justice.
2. La démobilisation
Les discussions entre le gouvernement et les paramilitaires commencent dès l’élection d’Uribe en 2002. Le président cherche donc à « négocier » pour amener les AUC à se démobiliser, comme il l’a répété durant sa campagne. Les paramilitaires, eux, veulent l’immunité. Qu’à cela ne tienne, le 22 janvier 2003, Uribe sort un décret qui prévoit l’amnistie pour ceux qui ne sont pas poursuivis pour les exactions les plus graves (c’est-à-dire des massacres répétés). Il est à noter que la Commission internationale des juristes a déclaré que « La réalité des investigations judiciaires menées en Colombie sur les crimes commis par les paramilitaires démontre que l’immense majorité de ces crimes n’a pas été éclaircie et n’a pas connu d’investigations conséquentes ; que quand il y a investigation, les auteurs de ces crimes sont rarement identifiés, et que quand ils le sont, la majorité ne sont pas poursuivis et conservent le statut de suspects »[9].
En août 2004 vient un autre décret présidentiel (décret 2767) qui prévoit l’impunité, mais aussi des aides financières pour les démobilisés qui fourniraient des informations ou « désireraient développer des activités de coopération avec les forces publiques ».
Le meilleur vient avec la fameuse loi de « Justice et paix », approuvée le 21 juin 2005, qui poursuit le processus de démobilisation. Selon ce plan, les paramilitaires sont considérés comme des « délinquants politiques », et non des criminels de droit commun. Cela leur évite une extradition vers les États-Unis qui réclament les plus gros narcotrafiquants, et leur peine est fixée à huit ans au maximum (dont quatre peuvent se faire en liberté conditionnelle). Mais pas dans une prison normale. En effet, actuellement 80 chefs paramilitaires sont en résidence surveillée dans un ancien complexe touristique de luxe. Malgré cela, les paramilitaires sont coupables de fraudes massives dans le cadre dudit processus.
L’ordinateur de Jorge 40 a fourni des éléments montrant que dans le nord de la Colombie, les AUC ont recruté des paysans sans travail qu’ils ont fait passer pour des paramilitaires lors de la démobilisation devant la justice. Par exemple, le premier groupe à être démobilisé le 25 novembre 2005 est le Bloque Cacique Nutibara, de Medellin. Sur plus de 2 000 hommes, 860 rendent les armes à ce moment, mais un gros doute est demeuré sur l’identité des hommes qui se sont présentés devant la justice. Le haut commissaire à la paix a noté que deux jours avant la démobilisation, les paras ont recruté de jeunes délinquants qu’ils ont intégrés au groupe d’hommes démobilisés.
Depuis 2005, c’est-à-dire depuis le début de la « démobilisation », les exactions des paramilitaires ont fortement augmenté : cette année-là, il y a deux fois plus d’attaques que durant les deux années précédentes et ce, malgré la démobilisation - qui toutefois reste théorique - de 15 à 20 000 paramilitaires.
Uribe compte transformer ces « délinquants politiques », coupables de massacres et de trafic de drogue à grande échelle, en « auxiliaires civils » de la police. Cela implique donc qu’ils auront à faire des patrouilles dans le pays, et seront chargés du maintien de l’ordre.
De plus, en ce qui concerne le désarmement, il semble que ce soit un échec[10] puisque seulement 65 % des paramilitaires démobilisés ont remis une arme en état de fonctionner.
En
août, sur la côte Atlantique, la justice a procédé à une centaine
d’arrestations, dont des policiers et inspecteurs du DAS, membres d’un
certains groupe appelé « Los 40 ». Ce groupe serait apparu peu après la
démobilisation de Jorge 40 et de son Bloque Norte, la division
paramilitaire qui régnait sur le secteur[11].
La tête du groupe serait un ancien policier qui a remplacé Jorge 40,
Miguel Villareal Archilla, alias « Salomon » ou « El Viejo », arrêté le
23 avril de cette année, et sous le coup d’une demande d’extradition
des États-Unis pour narcotrafic. « Salomon » s’occupait spécialement de
tout ce qui était lié au narcotrafic dans le Bloque Norte, et
s’appuyait sur des bandes locales de petits délinquants pour commettre
différentes exactions. Dans ce groupe émergeant présent sur trois
départements et calqué sur la structure paramilitaire, on retrouve des
délinquants de droit commun, des paramilitaires non démobilisés et même
certains démobilisés qui sont revenus à la criminalité[12]
. C’était le cas pour « Salomon », démobilisé du Bloque Norte, qui au
départ a dirigé la bande émergeante depuis le Venezuela. En s’appuyant
sur différents narcotrafiquants comme Wilber Varela ou Juan Carlos
Ramirez, il a réussi à supplanter une autre bande émergeante (« Los
Paisas »).
Les premiers groupes armés émergeants seraient ainsi apparus en avril 2005 dans le centre du pays sous le nom « Aguilas Rojas » (Aigles rouges).
Le 11 mars 2006, la Fiscalia a arrêté à Baranquilla le bras droit de Jorge 40, Edgar Fierro Florez, alias « Don Antonio », un ex-officier de l’armée. L’enquête a permis de mettre la main sur tout un système de communications et de retrouver la tête de l’organisation qui n’était autre que Jorge 40 (démobilisé avec 2 000 hommes du Bloque Norte), pilotant tout cela depuis sa prison dite « de haute sécurité » dans l’Antioquia. Manifestement, celui-ci était en contact avec les principaux chefs de bandes criminelles (dont faisait partie « Salomon ») de la côte Atlantique, mais aussi avec le DAS, la police, l’armée et la Fiscalia. La bande émergeante pilotée par Jorge 40 via « Salomon » avait donc toujours des liens avec différentes institutions, y compris la justice et la police. Il semble que les fonctionnaires impliqués étaient très actifs dans la lutte contre le narcotrafic et les exactions sur la côte Atlantique[13]. Ainsi, pour donner un exemple, la Fiscalia a établi qu’Ernesto Escorcia Niebles, policier sur la côte Atlantique, démis de ses fonctions pour des « problèmes psychiatriques », était chargé à temps complet de fournir des informations confidentielles à « Los 40 ».
Même Le Monde publiait cet été un article intitulé « Des paramilitaires colombiens se reconvertissent dans le crime organisé »[14] et indique que « Sur 1 452 membres de ces bandes (les bandes armées émergeantes) arrêtés ou tués par les forces de sécurité, 245 étaient des ex-paramilitaires ».
Grâce au « processus de paix », Mancuso (le remplaçant de Castano) ne risque pas plus de huit ans de prison s’il avoue quelques crimes et/ou accointances avec des politiciens, militaires ou policiers morts ou déjà condamnés (ce sont les termes de l’accord passé entre les AUC et le gouvernement) et/ou s’il dévoile l’emplacement de quelques fosses communes, situées presque uniquement dans les zones d’influence des AUC, dans lesquelles on a jusqu’à présent retrouvé près de 11 000 corps souvent inidentifiables.
Il a donc avoué - entre autres - avoir organisé le massacre d’El Aro le 25 octobre 1996 : en plein village, un « commando » paramilitaire a torturé et assassiné 15 personnes. Mancuso a précisé que ce massacre a été mis au point dans le bureau du commandant de la 4e brigade de l’armée, et qu’il a été réalisé avec l’appui logistique de ladite brigade et de son général, aujourd’hui décédé. Pour un autre massacre de 51 personnes au couteau à Mapiripan, il aurait, toujours selon ses propres aveux, reçu l’aide des forces aériennes. Au final, il avoue avoir assassiné ou fait assassiner 336 personnes...
3. Bilan
Les paramilitaires sont en position de force par rapport au gouvernement. En effet, ceux-ci, à l’instar de Jorge 40 ou Mancuso, menacent de déballer publiquement et/ ou devant les tribunaux leurs accointances avec une certaine classe politique actuellement au pouvoir. Cela signifie donc expliquer comment certains personnages politique - à tous les niveaux - sont liés aux paramilitaires, qui eux-mêmes sont liés à de nombreuses exactions ainsi qu’au trafic de drogue. Cela fait désordre, l’État cherche donc à ne pas trop froisser les paramilitaires. On évite donc d’extrader les leaders qui forcément sont poursuivis pour trafic de drogue aux États-Unis car s’ils risquent d’être punis, ils ne se démobiliseront pas[15].
On pourrait évoquer longuement le cas du président Alvaro Uribe, dont le père et le frère ont été très proches des narcotrafiquants de Medellin, la ville d’Uribe. Lui-même est fortement soupçonné, y compris par les services secrets américains, d’avoir été ami avec Escobar, quand il était maire de Medellin notemment. Pour l’instant, il n’a été cité que comme témoin, mais force est de constater que son entourage devient clairsemé du fait des poursuites judiciaires intentées dans la cadre de la parapolitique.
De plus, les paramilitaires menacent l’État de se retourner contre lui en cas de sanctions trop importantes. En avril 2007, au moins 22 « groupes armés émergeants » fortement liés au narcotrafic opéraient dans la moitié des 32 départements du pays[16]. La Commissariat aux réfugiés de l’ONU déclarait en septembre 2006 que malgré la démobilisation, les paramilitaires avaient maintenu leurs structures politiques et économiques.
Depuis le début du processus de démobilisation, l’État cherche une sortie honorable pour tout le monde, quitte à amnistier les paramilitaires et à financer leur "réinsertion". On commence à comprendre, depuis le début du scandale de la parapolitique, pourquoi l’impunité est à ce point le maître mot dans les discussions relatives à la démobilisation.
[1] cf. Miriam Álvaro in Nuevo Mundo Mundos Nuevos, Número 7 - 2007 La parapolitica : la infiltracion paramilitar en la clase politica colombiana
[2] cf. Fausto Cattaneo, commissaire suisse spécialisé dans la lutte anti-drogue Comment j’ai infiltré les cartels de la drogue, Albin Michel, Paris, 2001.
[3] Institution qui contrôle les fonctionnaires et mène les enquêtes pour faute disciplinaire.
[6] Interview de Rafael Garcia par Semana
[7] Sur les enquête de la Fiscalia : El Colombiano, “Fiscalía ordenó la detención de Jorge Noguera, ex-director del DAS” El Colombiano , et Semana, 22/11/06, « Llaman a indagatoria a Jorge Noguera” Semana
[8] Dans un ancien complexe hôtelier de vacances, avec une soixantaine d’autres AUC ou pseudo AUC
[9] cf. Commission Internationale des Juristes in “Sacavando el estado de derecho y consolidando la impunidad”, 2005.
[10] cf. Constanza Vieira pour IPS
[11] cf. « Los 40 principales » in. Semana du 8 septembre 2007
[12] cf. « Jorge 40 recargado » in. Semana du 18 juillet 2007
[13] cf. « El reciclaje de Jorge 40 », in El Espectador du 22 septembre 2007
[14] cf. Paulo A. Paranagua « Des paramilitaires colombiens se reconvertissent dans le crime organisé » in Le Monde du 18 août 2007
[15] Selon les propos de Luis Carlos Restrepo, représentant de l’Etat pour les négociations sur la démobilisation, rapportés par Semana de la dernière semaine de novembre 2005
[16] cf. Markus Schultze-Kraft “El lado oscuro de la desmovilización paramilitar" in El Tiempo, 30 avril 2007.
8 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON