La politique de l’Autruche du Caucase
Le Kosovo est-il ou non un précédent justifiant l’indépendance de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie ?
Si oui, cela a deux conséquences :
1/ la décision de Moscou de reconnaître l’Ossétie du Sud et Abkhazie est légitime ;
2/ cette configuration va se renouveler dans d’autres endroits nous remettant en difficulté.
Si non, eh bien nous voilà rassurés ! Le Kosovo est un cas unique, une exception, une parenthèse dans l’Histoire et nous pouvons continuer à vivre bien au chaud, dans la vieille Europe, à l’abri de toutes les vieilles frontières du monde !
Dans la presse, fleurissent aujourd’hui des articles disant, pour résumer, que la situation en Ossétie n’a rien à voir avec celle du Kosovo, que le Kosovo ne saurait être présenté comme un précédent.
Qu’en est-il vraiment ? Le Kosovo est-il un cas unique et sinon comment traiter les autres situations semblables ?
Quels sont les arguments avancés pour dire que la situation du Kosovo diffère de celle de l’Ossétie ?
1/ Pour le cas du Kosovo, il y a eu une intervention internationale, pour l’Ossétie du Sud, un seul pays est intervenu.
2/ La guerre au Kosovo s’est faite avec l’aval de l’ONU, pas celle en Ossétie du Sud.
3/ L’indépendance du Kosovo a suivi une phase de négociations entre les acteurs ; c’est à l’issue de celle-ci et de son échec que le Kosovo a proclamé son indépendance.
4/ L’indépendance du Kosovo est la suite logique des souffrances infligées aux Kosovars, souffrances qui ont entraîné l’intervention de l’Otan.
Ces arguments sont-ils recevables ?
1/ Celui de la dimension internationale de l’intervention au Kosovo.
Je ne pense pas qu’une intervention militaire devienne plus légitime lorsqu’elle est internationale que lorsqu’elle est nationale ! Voilà un argument, on ne peut plus bizarre, surtout lorsqu’il émane de gens se présentant comme des « spécialistes de politique internationale ». On frémit en pensant à ce que doivent être les arguments des non-spécialistes !
L’attaque de l’Irak par l’Amérique, lors de la seconde guerre du Golfe était internationale. Ça ne la rend aucunement légitime. D’ailleurs l’Amérique prétendait tirer la légitimité de son action, non du fait de sa dimension internationale, mais du fait de la présence supposée d’ADM (Armes de destructions massives). La dimension internationale de la seconde guerre du Golfe était une conséquence de sa prétendue légitimité, certainement pas la cause.
Inversement, quand, en 1979, le Vietnam met fin à la dictature du sinistre Pol Pot et par là même à l’un des plus monstrueux génocides de l’histoire contemporaine qui fit 2 millions de morts dans un pays qui en comptait moins de 8 millions, même si le Vietnam était seul, on est en droit de considérer que son intervention était légitime !
2/ L’intervention au Kosovo s’est faite avec l’aval de l’ONU, pas celle en Ossétie du Sud.
Cet argument est tout simplement faux ! Le déclenchement de l’intervention de l’Otan au Kosovo n’a jamais reçu aucun feu vert de l’ONU. L’ONU s’est entendu sur la manière d’administrer le Kosovo après la guerre. Elle n’a jamais donné son aval, ni au déclenchement de celle-ci ni à l’indépendance de la province !
Au contraire, l’intervention russe en Ossétie était conforme à un accord inter-étatiques, signé par la Géorgie ! Accord liant les Etats concernés absolument absents dans le cas du Kosovo !
3/ L’indépendance du Kosovo a suivi une phase de négociations entre les acteurs ; c’est à l’issue de cette négociation et de son échec que le Kosovo a proclamé son indépendance.
Le fait qu’il y ait eu négociations ne démontre pas l’existence d’une volonté de s’entendre entre les acteurs ! Dès le début des « négociations », la partie albanaise a clairement exprimé qu’elle souhaitait l’indépendance. Rester à faire échouer les négociations, ce qui est à la porté de n’importe qui !
Cet argument serait recevable si l’on savait démontrer que, dans le cas de l’Ossétie, il a existé une possibilité d’entente entre Géorgiens et Ossètes qui n’existait pas entre Albanais du Kosovo et Serbes. Or, ce n’est absolument pas le cas, puisque les facteurs qui ont déclenché la guerre sont les mêmes : privation des droits culturels des deux peuples : Sud-Ossètes et Albanais du Kosovo, suite à la désintégration des empires qui les hébergeaient.
4/ Sur les souffrances des Kosovars : les Ossètes n’ont-ils pas souffert sous l’occupation géorgienne ? La souffrance d’un peuple est-elle proportionnelle à la taille de l’occupant ? Là encore, voilà des considérations à peine dignes du Café du Commerce qu’il est scandaleux de lire sous le plume de gens qui se prétendent « spécialistes » de la question !
Qui croit vraiment à ces arguments ?
Dans le camp occidental, visiblement pas tout le monde ! Il est notoire qu’après l’indépendance du Kosovo ; de Chypre à l’Espagne, de la Géorgie (!) à la Moldavie, comme par hasard tous les pays qui se trouvaient dans une situation similaire à celle de la Serbie (Pays basque pour l’Espagne, Chypre-Nord turque pour Chypre, Abkhazie et Ossétie du Sud pour la Géorgie, Transdniestrie pour la Moldavie) ont refusé de reconnaître l’indépendance du Kosovo, admettant donc implicitement que celle-ci constituait bien un précédent dangereux pour eux !
Trouver la Géorgie parmi les Etats qui ont refusé de reconnaître l’indépendance du Kosovo n’est-il pas la meilleure preuve que la situation de celui-ci ne différait pas fondamentalement de celle de l’Ossétie !? Si vraiment les situations étaient si différentes, si vraiment elles n’avaient rien à voir, alors pourquoi la Géorgie alliée des Etats-Unis n’aurait pas reconnu l’indépendance du Kosovo ?
Et après, que va-t-il se produire ?
L’indépendance du Kosovo a brisé un tabou : celui de l’intangibilité des frontières, dans laquelle la Russie s’est engouffrée ! Le fait que les deux premières puissances militaires du monde, donc celles qui en théorie ont le moins à craindre d’actions militaires extérieures aient outrepassé cet interdit, démontre simplement, qu’elles aient raison ou non sur le fond, que ce tabou de l’intangibilité des frontières existantes, sorte de « Ligne Maginot de la diplomatie », ne pouvait plus tenir.
Il convient donc de ne plus se crisper sur les frontières existantes ! Au Kosovo, l’indépendance a suivi la guerre, elle ne l’a pas précédée, comme en Ossétie. Au Karabagh, l’indépendance n’est encore reconnue par aucun pays extérieur, cela n’empêche pas que la guerre a déjà eu lieu ! Par conséquent, s’arc-bouter sur les frontières existantes, proclamer haut et fort qu’elles sont intouchables ne protège nullement de la guerre ! En plus, quand vous le faites pour la Géorgie après vous être assis dessus pour la Serbie, ça n’est vraiment pas sérieux !
La logique, le bon sens, voudrait aboutir non à la reconnaissance de toujours plus d’Etats, mais à des regroupements intelligents.
Par exemple, pour l’Ossétie du Sud, Abkhazie, objectivement les deux cas sont différents.
L’Abkhazie est, de par son histoire, la longue existence d’un Royaume abkhaze bien plus ancien que celui de France (!), un pays à part entière et doit être reconnu comme tel.
L’Ossétie du Sud, elle, a vocation à rejoindre l’Ossétie du Nord dans la Fédération de Russie et tant pis si ça brise de nouveau le tabou des frontières à partir du moment où cela participe d’une décision sensée.
Le Karabagh, cette province d’Azerbaïdjan peuplée d’Arméniens et détachée de facto de l’Azerbaïdjan n’a pas de raison de rester indépendante. Sa vocation historique et politique et de faire partie de l’Arménie, et tant mieux si cela fait bouger les frontières !
Pourquoi vouloir à tout prix rattacher Chypre-Nord à la République de Chypre, à travers des plans de paix tellement vaseux qu’ils ont été rejetés par des majorités écrasantes d’électeurs, pire que certains referendums européens ! Cela avec raison, pour que Chypre-Nord accepte de revenir dans Chypre, l’ONU avait fait toute une série de concessions aux turcophones totalement inadmissibles par le reste de l’île. La solution naturelle est de partager Chypre entre la Grèce et la Turquie sur la base de la ligne de démarcation actuelle ! Évidemment ça change les frontières ! Mais là, comme au Karabagh, pourquoi craindre la guerre ? Elle a déjà eu lieu !
Au Kosovo lui-même : les parties Nord et Sud du pays sont peuplées de Serbes et pourraient légitimement se détacher. Une solution, pour solde de tout compte pourrait être que la Serbie reprenne cette partie nord du Kosovo, sauvant ainsi la face, en échange d’une reconnaissance de son indépendance !
Alors ! Quand est-ce qu’on se décide à arrêter de se cacher dans les jupes de nos vieilles frontières ?
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