La République de Salò et les soviets
Le fascisme est-il vraiment de droite ? Pendant un an et demi, Mussolini a eu toute liberté pour appliquer son programme. Cet épisode peu connu, mérite toute notre attention, d'autant qu'il est gênant pour tout le prisme politique, de gauche à droite, pour des raisons certes opposées.
Suite au débarquement des troupes alliées en Sicile, le 24 juillet 1943, le Grand conseil fasciste, organe suprême du parti fasciste, vote la destitution de Mussolini. Le lendemain, le roi Victor-Emmanuel démet Mussolini, le faisant arrêter et chargeant le maréchal Badoglio de former un nouveau gouvernement. Mussolini, délivré par Otto Skorzeny, se réfugie dans le nord de l'Italie, sous la protection nazie. Le 23 septembre, il fonde la République sociale italienne, appelée République de Salò du nom de la ville où il réside. Cet Etat se maintient jusqu'au 25 avril 1945, vaincu par les Alliés et la Résistance italienne.
La première mouture du régime mussolinien, de 1922 à 1943, était le fruit d'un compromis avec les forces conservatrices de la monarchie de Victor-Emmanuel III et avec le Saint-Siège (accord du Latran créant la Cité du Vatican en 1929). Avec la République sociale, nous avons le fascisme italien dans toute sa pureté, car débarrassé de ses alliés de circonstance.
Le 14 novembre 1943, à Vérone, se réunit la première Assemblée du Parti fasciste républicain qui approuve un manifeste connu comme le « Manifeste de Vérone ». Ce document est précieux car il définit le programme qui sera appliqué peu à peu, malgré les difficultés dues aux guerres étrangère autant que civile. Les articles suivants permettent de se faire une idée des conceptions fascistes en matière sociale qui sont emblématiques pour Mussolini et justifient le nom même de l'Etat : Républque sociale italienne.
« 7 – Un but essentiel de la politique extérieure de la République devra être l’unité, l’indépendance, l’intégrité territoriale de la Patrie dans les limites maritimes et alpines marquées par la nature, le sacrifice du sang et l’histoire. Un autre but essentiel consistera à faire reconnaître la nécessité des espaces vitaux indispensables à un peuple de quarante-cinq millions d’habitants sur une zone insuffisante pour les nourrir. Une telle politique sera en outre réalisée dans le cadre d’une communauté européenne, par la fédération de toutes les nations qui accepteront et suivront les principes suivants :
a – élimination des séculaires intrigues britanniques de notre continent ;
b – abolition du système capitaliste et lutte contre la ploutocratie mondiale ;
c – valorisation, au bénéfice du peuple européen et des autochtones des ressources naturelles de l’Afrique, dans le respect absolu de ces peuples et spécialement des musulmans qui, comme en Egypte, sont déjà civilement et nationalement organisés.
8 – La base de la République sociale et son objet premier est le travail manuel, technique, intellectuel et toute ses manifestations.
9 – La propriété privée, fruit du travail et de l’économie individuelle, moyen d’intégration de la personnalité humaine, est garantie par l’Etat. Elle ne doit cependant pas devenir désintégratrice de la personnalité physique et morale des autres hommes, à travers l’exploitation de leur travail.
10 – Dans l’économie nationale, tout ce qui sort de l’intérêt particulier pour entrer dans l’intérêt collectif, appartient à la sphère des actions qui relèvent de l’Etat. En règle générale, les services public et ce nécessaire à la défense nationale doivent être administrés par l’Etat, au moyen d’entreprises d’Etat.
11 – Dans chaque entreprise – privée ou d’Etat – les représentants des techniciens et des ouvriers coopéreront intimement, à travers une connaissance directe de la gestion, à la répartition égale des intérêts entre le fond de réserve, les dividendes des actions et la participation aux bénéfices par les travailleurs. Dans certaines entreprises, on pourra étendre les prérogatives des commissions de fabrique. Dans d’autres, les Conseils d’administration seront remplacés par des Conseils de gestion composés de techniciens et d’ouvriers et d’un représentant de l’Etat. Dans d’autres encore une forme de coopérative syndicale s’imposera.
12 – Dans l’agriculture, l’initiative privée du propriétaire trouve sa limite là où la même initiative vient à manquer. L’expropriation des terres incultes et des exploitations mal gérées aboutira soit à l’installation comme exploitants d’ex-journaliers, soit à la constitution d’entreprises coopératives, syndicales ou d’Etat, suivant les exigences variées de l’économie agricole.
Tout cela est du reste prévu par les lois en vigueur, auxquelles le parti et les organisations syndicales ont imprimé l’impulsion nécessaire.
15 – Le travailleur est inscrit d’office au syndicat correspondant à sa profession sans que cela l’empêche de demander son transfert dans un autre syndicat quant il aura les qualités requises. Les syndicats convergent en une confédération unique qui comprend tous les travailleurs, les techniciens, les professionnels, à l’exclusion des propriétaires qui ne seraient pas dirigeants ou techniciens. Celle–ci se dénomme Confédération générale du travail, de la technique et des arts. Les employés des entreprises industrielles de l’Etat et des services publics forment des syndicats, comme les autres travailleurs. Toutes les imposantes mesures sociales réalisées par le régime fasciste depuis une vingtaine d’années restent inchangées. La Charte du travail en est dans la lettre la consécration, de même manière qu’elle constitue dans son esprit le point de départ pour une nouvelle voie.
17 – Avec ce préambule à la constitution, le Parti démontre non seulement qu’il va vers le peuple, mais qu’il est avec le peuple. De son côté, le peuple italien doit se rendre compte qu’il y a pour lui une seule manière de défendre ses conquêtes d’hier, d’aujourd’hui et de demain : rejeter l’invasion esclavagiste de la ploutodémocatie anglo-américaine, laquelle par mille signes précis, veut rendre encore plus pénible et misérable la vie des italiens. Il n’y a qu’un seul moyen d’atteindre tous les buts sociaux : combattre, travailler, vaincre. »
Sur le plan des principes, le Manifeste déclare que le but est l'abolition du capitalisme, que le travail doit être protégé de l'exploitation, que les entreprises employant des salariés doivent être nationalisées, que des conseils de travailleurs doivent participer à leur gestion, qu'une réforme agraire doit créer des coopératives agricoles, qu'une centrale syndicale unique doit défendre les salariés.
La concrétisation de ces principes sociaux sera traduite dans le décret-loi de février 1944. C'est Nicola Bombacci, ancien cofondateur du Parti communiste italien, fasciste depuis 1933, qui conçut le projet de socialisation des entreprises. Le 28 avril 1945, au moment d'être fusillé au côté de Mussolini, ses dernières paroles furent : « Vive le socialisme ! ». L'application intégrale de la socialisation était prévue pour le mois d'avril 1945. Paradoxe saisissant, le premier acte du Comité de libération nationale, composé de résistants parmi lesquels de nombreux communistes, sera l'abrogation du décret-loi sur la socialisation le 25 avril 1945.
La République de Salò nationalisera toute les entreprises de plus de 100 salariés, dont bien sûr la Fiat de Milan. Des conseil de travailleurs participeront à la gestion des entreprises aux côtés des directeurs fonctionnaires. La réforme agraire, vieille revendication des ouvriers agricoles, sera mise en oeuvre sans faille.
La politique étrangère, telle qu'exposée dans le Manifeste de Vérone, est guidée par des principes très simples : lutte contre la ploutocratie anglo-américaine et alliance avec les peuples musulmans.
A l'occasion de la proclamation du Manifeste de Vérone, Mussolini lui-même devait préciser :
« Nos programmes sont en tous points en accord avec nos idées révolutionnaires, et celles-ci appartiennent à ce qu’en régime démocratique on appelle la Gauche. Nos institutions sont le résultat direct de nos programmes, et notre idéal est l’État du Travail. Il n’y a pas à cet égard de doute possible : nous sommes la classe laborieuse en lutte à la vie à la mort contre le capitalisme. Nous sommes les révolutionnaires en quête d’un Ordre nouveau. Dès lors, invoquer l’aide de la bourgeoisie en agitant le péril rouge est une absurdité. L’épouvantail authentique, le véritable danger, la menace contre laquelle il faut lutter sans relâche, vient de la Droite. Cela ne nous intéresse en rien d’avoir la bourgeoisie capitaliste comme alliée contre la menace du péril rouge, car, même dans le meilleur des cas, celle-ci serait une alliée infidèle, s’efforçant d’obtenir que nous servions ses fins, comme elle l’a déjà fait plus d’une fois avec un certain succès. Je serai économe de mes mots, car ils seraient totalement superflus. En fait, c'est préjudiciable, parce que cela nous fait confondre les types authentiques de révolutionnaires de toute sensibilité, avec l’homme de la Réaction, à qui il arrive d’utiliser jusqu’à notre propre langage. »
Il est vrai que lorsqu'on lit le Manifeste en essayant d'oublier de quel parti émane-t-il, on croit lire un document communiste de la grande époque. Comme quoi, en ce qui concerne Mussolini, admirateur de Lénine dans les années 1910, on ne peut que s'incliner devant la fidélité de cet homme à ses convictions profondes.
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