La VIe République morte et enterrée ?
La VIe République, chère au député socialiste Arnaud Montebourg et que Ségolène Royal, comme François Bayrou, avaient inscrite au coeur de son projet présidentiel, est-elle morte et enterrée avant même d’avoir vu le jour ? Indéniablement, l’élection de Nicolas Sarkozy à la présidence de la République change aujourd’hui profondément la donne et pourrait, tout du moins en apparence, rendre plus difficile une critique radicale des institutions de la Ve République. Pourtant, les mêmes causes (concentration et personnalisation du pouvoir, asservissement du Parlement, non représentation des minorités politiques) produisant le plus souvent les mêmes effets (excès de pouvoir, coupure du lien avec les citoyens, défiance vis-à-vis du sytsème de représentation), la question d’une réforme profonde de notre système politique pourrait revenir au devant de la scène politique plus vite qu’on ne peut le penser.
Lorsqu’il fonde en 2000 la Convention pour la Sixième République, Arnaud Montebourg appuie sa revendication d’un changement de constitution sur un constat sans concession du fonctionnement des institutions actuelles. Abstention record, montée des votes extrêmes, irresponsabilité politique et pénale du président de la République, confusion des pouvoirs à la tête de l’exécutif, non représentation à l’Assemblée nationale de la diversité de la société française... autant d’éléments qui concourent au délitement du lien de confiance qui devrait exister entre les citoyens et leur système politique. Une analyse qui va trouver sa concrétisation la plus criante dans l’élimination de la gauche au second tour de l’élection présidentielle de 2002 et va se voir confirmée lors des régionales de 2004 ou à l’occasion du référendum sur le traité constitutionnel européen en 2005. A tel point, qu’un large spectre du paysage politique français, de la LCR à l’UDF en passant par les Verts, le PCF et le PS, va progressivement reprendre à son compte l’avènement d’une VIe République, même si ce vocable renvoie à des réalités différentes selon les partis.
Et puis, voici qu’arrive l’élection présidentielle de 2007. On redoutait un énième séisme politique et que constate-t-on finalement ? Un taux de participation record, une baisse des extrêmes et singulièrement du Front national ainsi qu’un retour en grâce des candidats issus des partis de gouvernement. Il n’en faut pas plus pour que la plupart des commentateurs célèbrent la subite et éclatante réconciliation des Français avec leur système politique et par voie de conséquence avec leurs institutions. Evanouie la crise de la représentation, la défiance des citoyens vis-à-vis de leurs élites en général et de leurs élus en particulier. Lavé l’affront démocratique du 21 avril 2002. Bref, tout irait à nouveau pour le mieux dans le meilleur des mondes institutionnels. Dès lors à quoi bon élucubrer encore sur une improbable VIe République ? Surtout quand le nouveau président élu annonce son intention d’oeuvrer à une "République irréprochable" et incarne, jusque dans ses joggings matinaux, une nouvelle façon d’habiter la fonction présidentielle, plus simple, plus directe, plus moderne en somme.
Au-delà de la mise en scène, très étudiée, par le nouveau pouvoir de son accession aux responsabilités - exercice auquel se sont adonnées avec plus ou moins de succès toutes les équipes qui s’y sont succédé - il est permis de douter de la profondeur et surtout de la perennité de ce subit retour de flamme de nos compatriotes pour leur système politique.
Certes, la participation aux deux tours de l’élection présidentielle a battu des records, attestant d’un intérêt bien vivant pour la politique. Mais, outre que les régionales de 2004 ou le référendum de 2005 avaient déjà été marqué par un net reflux de l’abstention, la configuration particulière de cette élection (peur d’un nouveau 21 avril et renouvellement de génération) a sans doute fortement contribué à la mobilisation. De même que le réflexe du "vote utile" a permis aux candidats issus des deux principaux partis de gouvernement (PS et UMP) de réaliser des scores qui n’avaient plus été atteints depuis longtemps. Il serait toutefois abusif de parler d’un retour à la bipolarisation quand près d’un électeur sur deux s’est prononcé pour un candidat non issu de ces deux grandes formations. Le succès de la démarche de François Bayrou est d’ailleurs là pour rappeler la forte attente d’une offre politique nouvelle. Le déclin de l’extrême droite, quant à lui, est très relatif et dû pour l’essentiel à la très forte participation. En nombre de voix, le FN demeure à un niveau sensiblement équivalent aux présidentielles de 1988 et de 1995 tandis qu’il confirme sa forte implantation dans certaines régions, comme le Nord de la France, marquées par la désindustrialisation. Autant d’éléments qui nuancent sérieusement les discours sur une subite réconciliation des Français avec leur système politique. Les élections législatives des 10 et 17 juin prochains seront d’ailleurs un premier test. Conforteront-elles les mouvements constatés à l’occasion de la présidentielle ? Rien n’est moins sûr. Souvenons-nous, en effet, qu’un mois seulement après le "choc" du 21 avril 2002 et la mobilisation citoyenne, notamment de la jeunesse, qui s’était exprimée entre les deux tours, les législatives avaient été marquées par une participation très moyenne. Gardons-nous donc de conclusions trop hâtives en la matière.
Néanmoins, la pratique nouvelle des institutions que semble esquisser Nicolas Sarkozy n’est-elle pas de nature à remettre sérieusement en cause les arguments des partisans d’une Sixième République ? Sans doute mais en apparence seulement.
En optant pour une présidence hyperactive, présente sur tous les fronts, Nicolas Sarkozy répond à l’évidence à une attente des citoyens las pour la plupart de désigner un chef de l’Etat qui, sitôt élu, se retirait sur son Aventin ou se désinteressait des affaires intérieures pour leur préférer celles du monde. Par la même, Nicolas Sarkozy entend donner l’image d’un président qui assume pleinement ses responsabilités, à rebours de l’irresponsabilité politique qui caractérisa la présidence Chirac (si l’on entend par irresponsabilité politique le fait de ne jamais tirer aucune conséquence des messages adressés par les électeurs tant aux législatives, qu’aux régionales ou lors du référendum). Cette posture - car il s’agit avant tout d’une posture - apparaît également comme une conséquence directe de la présidentialisation accrue du régime et de l’accélaration du rythme de la vie politique française induites par la mise en oeuvre du quinquennat et de l’inversion du calendrier électoral.
Ainsi, dans les premiers actes posés par Nicolas Sarkozy, tout va bien dans le sens d’un renforcement des pouvoirs du président de la République autour duquel s’organisent l’ensemble des acteurs du nouveau pouvoir. Qu’il s’agisse de la nomination d’un Premier ministre que les commentateurs qualifient déjà de "super directeur de cabinet" pour désigner son peu de marge de manoeuvre ; du renforcement du poids du cabinet de la présidence appelé à encadrer étroitement le travail des ministres, notamment d’ouverture ; de l’annonce de la création d’un Conseil de la sécurité intérieure rattaché, sur le modèle américain, directement au président de la République ; ou bien encore du remplacement du poste de président de l’UMP par un simple secrétaire général non élu par les militants, ce qui laisse planer peu de doûte sur le soutien indéféctible au gouvernement attendu du parti majoritaire. Si l’on ajoute à cela, le contrôle de la majorité de l’Assemblée nationale et du Sénat, celui du Conseil constitutionnel et du Conseil supérieur de l’audiovisuel, jamais un président de la République n’aura disposé de tels pouvoirs.
Or, cette "hyperprésidentialisation" n’est compensée par aucun réel contre-pouvoir. Et c’est bien là que la critique des institutions de la Vème République et la promotion d’une 6ème République plus démocratique ont encore tout leur sens. En effet, dans n’importe quel pays démocratique digne de ce nom, de tels pouvoirs laissés au chef de l’Etat s’accompagneraient de réelles et sérieuses contreparties, notamment en matière de contrôle de l’action de l’exécutif par le Parlement, comme c’est le cas par exemple aux Etats-Unis. Rien de tel avec la Ve République. Et ce ne sont pas les timides promesses faites par Nicolas Sarkozy de soumettre les principales nominations aux commissions parlementaires ou de laisser la présidence de la commission des finances de l’Assemblée nationale à un député de l’opposition qui changeront grand-chose à ce déséquilibre.
Dès lors, il ne fait guère de doute que sans un profond rééquilibrage de nos institutions, les maux et dérives de notre système politique ne pourront que réapparaître tôt ou tard. Passés les premiers mois et la séduction exercée par le changement de style et l’activisme du nouveau président, comment évolueront les choses dans la durée ? En étant en permanence en première ligne, Nicolas Sarkozy ne prend-il pas le risque, en cas de conflit, de bloquer tout le système ? Son volontarisme affirmé peut-il suffire durablement pour mener des réformes complexes et ardues ? Sans contre-pouvoirs, n’est-il pas condamné, comme beaucoup de ses prédecessurs, à s’enfermer dans une tour d’ivoire et à ne plus prendre la juste mesure des attentes de la société ? Les pleins pouvoirs donnés au président et à son parti, ainsi que sa proximité affichée avec les milieux d’affaires et ceux des médias, n’entraineront-ils pas inévitablement un retour aux excès du passé si souvent dénoncés mais jamais vraiment sanctionnés ?
Il faut, bien sûr, se garder de tout procès d’intention. Mais le passé récent enseigne que les institutions imposent généralement leur logique aux hommes les mieux intentionnés et que, sans garde-fous, les meilleurs volontés ne résistent pas longtemps à la tentation d’user et d’abuser d’un pouvoir sans limite. C’est parce que l’homme est faible par nature qu’il est dangereux de se reposer sur ses seules vertus supposées et qu’il est préférable de s’en remettre à des règles bien établies. Ainsi, loin d’être enterré, le projet d’une réforme profonde de nos institutions pour les rendre plus équilibrées, plus pacifiées, plus démocratiques, plus participatives mais aussi plus efficaces ne devrait pas tarder à s’imposer à nouveau dans le débat politique. Au nom d’un idéal ou peut-être par nécessité.
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