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Le général Boulanger, l’irruption d’un patriotisme de pacotille

« Nous assistons depuis quelque temps à l’évolution d’un certain genre de patriotisme que la France n’avait pas connu jusqu’à présent. C’est un patriotisme haineux et bruyant, qui ne fait pas œuvre d’union et d’apaisement, mais qui semble avoir pris pour programme de diviser et d’exciter les citoyens les uns contre les autres. » (Jules Ferry, le 24 juillet 1887 à Épinal).

Non ! Jules Ferry ne parlait pas du polémiste Éric Zemmour, même si certains voudraient y voir une analogie historique ! Il parlait du général Georges Boulanger qui est mort il y a cent trente ans, le 30 septembre 1891, d’une manière particulièrement tragique, à l’âge de 54 ans (né le 29 avril 1837 à Rennes).

Ambitieux et cocardier, le général Boulanger avait été introduit dans le paysage politique par Clemenceau, à son grand regret par la suite, parce qu’il était un grand militaire républicain, prêt à transformer l’armée en une institution réellement républicaine. Ministre de la Défense du 7 janvier 1886 au 18 mai 1887, il a été le premier à créer un service de presse à son ministère, pour faire sa publicité personnelle, et il a gagné beaucoup de popularité dans le cœur de la population par ses réformes sur la condition des soldats et ses discours très populistes (l’exercice est loin d’être nouveau).

En 1871, il avait d’ailleurs eu la "chance" d’avoir été blessé au début de la répression de la Commune de Paris si bien qu’il n’a pas participé à la boucherie. Les Parisiens allaient lui en savoir gré bien plus tard (en 1889) en le plébiscitant.

Cet article est la suite de celui sur Clemenceau. Une fois évincé du gouvernement puis mis à la retraite le 27 mars 1888, le général Boulanger est devenu un point de ralliement de tout ce qui comptait comme opposants aux républicains modérés. Ils réunissaient sur son nom à la fois l’opposition conservatrice qui voyait en lui la résurgence du principe monarchique (un homme providentiel) et aussi les classes populaires laissées pour compte de la crise économique. Des convergences avec un courant antisémite a eu lieu également (à l’instar d’Édouard Drumont) mais Boulanger lui-même ne s’est pas prêté à des propos antisémites (à ma connaissance).

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Il rassemblait avant tout les courants antiparlementaires. Dans sa biographie de Clemenceau, l’historien Michel Winock explique assez bien l’origine du boulangisme : « Le rejet de Ferry et des opportunistes. S’ajoutent le goût de l’homme providentiel, le chauvinisme, et tout ce qui peut rester des traditions et des cultures monarchiques et bonapartistes. Si, au départ, le boulangisme a été le fait de l’extrême gauche, et s’il le reste dans une certaine mesure, il est aussi alimenté par les déceptions et les frustrations de la droite. ».

Dès lors que Boulanger n’était plus soldat, il pouvait se présenter aux élections. Or, il arrivait souvent des élections législatives partielles. Ainsi, il s’est présenté dans plusieurs départements dont le Nord et y fut élu député au printemps 1888.

Boulanger a présenté ses vues aux autres députés le 4 juin 1888. Il voulait plus de pouvoir à l’exécutif et surtout, un rapprochement avec le peuple par des référendums : « Dans une démocratie, les institutions doivent se rapprocher autant que possible du gouvernement direct. Il est juste et bon qu’on interroge le peuple par voie directe chaque fois que s’élèveront de graves conflits d’opinions, qu’il peut seul résoudre. ». Clemenceau s’y opposa fermement et s’opposa à la dissolution et la Chambre lui donna raison (par 360 voix contre 181).

Après avoir insulté le chef du gouvernement, Boulanger a démissionné de son mandat mais l’a retrouvé quelques semaines plus tard en août 1888 en étant élu dans trois départements. Élu, il redémissionna pour se présenter à Paris et il fut élu triomphalement le 27 janvier 1889 face au radical Édouard Jacques, président du conseil municipal de Paris, dans une ville pourtant révolutionnaire et anticonservatrice. Beaucoup des partisans de Boulanger lui ont proposé de marcher sur l’Élysée. Mais le général à la retraite souhaitait rester dans la légalité d’autant plus que des élections législatives générales se profilaient quelques mois plus tard.

Dans une biographie publiée dans la "Revue de la Cavalerie blindée" n°127 de septembre 1984, l’historien Francis Choisel, par ailleurs futur élu RPR de Boulogne-Billancourt, décrit ainsi sa lâcheté : « Au soir de son élection de la Seine, il eut probablement raison de ne pas sortir de la légalité, mais le peuple qui croyait en lui découvrit chez son héros un manque d’audace politique. Il apparut en cette affaire, selon le mot du duc de Broglie, comme "un aventurier peu aventureux", ce qu’il était à en croire ses confidences : "il faut neuf chances sur dix, et encore, on hésite" ou : "si on était sûr du succès…" ».

Par trouille du boulangisme, les parlementaires ont rétabli dès le 13 février 1889 le scrutin majoritaire. Partisan de ce rétablissement, Clemenceau n’a pas mâché ses mots contre le boulangisme. Le 31 janvier 1889, il déclara : « Vous croyez peut-être que vous vous trouvez en face d’un parti politique. Pas du tout. Vous êtes en face d’une manifestation religieuse. (…) Ce pays est en proie à une maladie que Michelet a merveilleusement décrite : le messianisme. Oui. M. Boulanger, c’est le messie, c’est le sauveur, c’est le fétiche ; partout où il se présente, la vertu de son nom est efficace. Mais les prodiges qu’il accomplit, d’autres sont impuissants à les rejeter. Où est son parti ? Quelle figure dans des élections générales ? (…) Nous montrerons [au parti républicain] le danger des votes de colère, nous le mènerons le front haut à la lutte contre ses ennemis (…) et la victoire ne sera pas incertaine, et le suffrage universel reconnaîtra les siens. ».

Après sa nomination le 22 février 1889, le nouveau gouvernement dirigé par Pierre Tirard a pris beaucoup de mesures contre le boulangisme, poursuivant l’ancien militaire pour "complot contre la sûreté intérieure" et provoquant sa fuite le 1er avril 1889 à Bruxelles, et son immunité parlementaire a été levée le 4 avril 1889 par 333 voix contre 190.

Le Sénat érigé le 14 août 1889 en haute cour a condamné par contumace Boulanger et d’autres de ses partisans à la déportation dans une enceinte fortifiée. Clemenceau a également fait supprimer la possibilité des candidatures multiples.

En été 1889, le climat politique a toutefois beaucoup changé. L’agitation boulangiste fut moins importante et l’attention se portait alors à l’exposition universelle, à l’érection de la Tour Eiffel et à l’organisation au Palais de l’Industrie à Paris le 18 août 1889 d’un grand banquet des maires de France réunis sous la concorde nationale.

Les élections législatives des 22 septembre et 6 octobre 1889 furent cruciales. La droite s’est alliée avec les boulangistes, mais les républicains ont tenté de présenter un seul candidat, ou, le cas échéant, plusieurs mais avec le désistement des candidats moins bien représentés pour le second tour (ce fut à l’origine de la fameuse discipline républicaine). Les républicains ont remporté une grande victoire avec 366 sièges, face aux conservateurs 210 sièges. Clemenceau le 31 janvier 1889 a eu raison. Les boulangistes ne furent qu’une quarantaine dont Maurice Barrès à Nancy et Paul Déroulède à Angoulême (Boulanger fut élu mais pas éligible puisque condamné).

Clemenceau a eu cependant du mal à se faire réélire dans le Var (un second tour fut nécessaire), et certains de ses amis furent battus (dont René Goblet et Camille Pelletan), mais Jules Ferry aussi fut battu à Saint-Dié, et pourtant heureux des résultats nationaux : « Le boulangisme, que j’ai dénoncé l’un des premiers, est écrasé. La révision est rejetée par la France républicaine. La République sort triomphante d’une crise redoutable. Qu’importe qu’elle me laisse sur le champ de bataille ! Vive la République ! ».

Jules Ferry (qui retrouva un siège de parlementaire au Sénat en 1891) parlait effectivement de la "révision" car les boulangistes étaient tous des "révisionnistes", pour changer le régime et en faire une sorte de monarchie. Et là était aussi l’ambiguïté d’origine avec Clemenceau qui était également "révisionniste", pour la suppression du Sénat (il changea plus tard, devenu sénateur), pour la séparation de l’État et des Églises, etc. Mais il ne s’agissait pas du même "révisionnisme".

Michel Winock explique pourquoi Clemenceau n’a pas tout de suite combattu le boulangisme : « Dans cet épisode boulangiste, Clemenceau a joué les apprentis sorciers. Il a eu la naïveté de faire confiance à l’ancien condisciple du lycée de Nantes pour contrer Ferry, mais il a cru aussi que Boulanger serait l’instrument de la réorganisation et de la républicanisation de l’armée (…). Il a tardé à prendre conscience de la menace boulangiste (…). Non qu’il soit un partisan du général, mais parce que, à ses yeux, c’est le conservatisme des opportunistes qui nourrit la popularité de celui-ci. C’est seulement quelques semaines plus tard, en avril 1888 (…), que Clemenceau (…) est devenu le combattant efficace du boulangisme et a contribué à son échec final. De cette aventure, il n’est pas sorti indemne. ».

Rejeté de toute part, vivant en exil avec sa maîtresse qu’il avait rencontrée dans un salon littéraire en 1887, le général Boulanger a fini, d’une triste manière, par se suicider le 30 septembre 1891 au cimetière d’Ixelles, sur la tombe de sa qui venait de mourir de tuberculose quelques semaines plus tôt, le 16 juillet 1891. Dans son testament, il laissa : « En quittant la vie, je n’ai qu’un regret, celui de ne pas mourir sur le champ de bataille, en soldat, pour mon pays. ». Clemenceau était plus vache : « Il est mort comme il a vécu, en sous-lieutenant. ».

Il a toujours existé, dans l’histoire nationale, des populistes de tout poil qui ont excité l’attention populaire, parfois en mettant en danger la République. Le tout est de s’en rendre compte suffisamment tôt avant de tomber dans le piège de la démocratie : la démagogie.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (25 septembre 2021)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Lire "Clemenceau" de Michel Winock, éd. Perrin (2007).
Le général Georges Boulanger.
Georges Clemenceau.
Paul Déroulède.
Seconde Guerre mondiale.
Première Guerre mondiale.
Le Pacte Briand-Kellogg.
Le Traité de Versailles.
Charles Maurras.
L’école publique gratuite de Jules Ferry.
La loi du 9 décembre 1905.
Émile Combes.
Henri Queuille.
Rosa Luxemburg.
La Commune de Paris.
Le Front populaire.
Le congrès de Tours.
Georges Mandel.
Les Accords de Munich.
Édouard Daladier.
Clemenceau a perdu.
150 ans de traditions républicaines françaises.

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8 réactions à cet article    


  • berry 22 décembre 2021 11:33

    Vous n’avez rien à nous dire sur la disparition mystérieuse de Jean-Michel Trogneux, le frère de Brigitte Macron ?


    • Clark Kent Schrek 22 décembre 2021 15:24

      @berry

      lien


    • Lynwec 22 décembre 2021 19:04

      @berry
      J’ai pourtant suggéré cette enquête que tous attendent, compte-tenu du sérieux et du professionnalisme du cabinet-conseil, mais sans doute sont-ils sur la brèche, attentifs à ne néglige aucune piste...

      Sinon, fidèles à leur inclination (attention à la chute) notoire à l’orientation politique (certains disent partialité ou propagande, allons, allons...), nos compères (un seul homme/femme/trans pour ne déplaire à personne en ces temps de plaideurs ne pourrait suffire à une production si prolixe) ont quand même tenté un parallèle osé, l’air de ne pas y toucher, le disant sans le dire, entre le sire Boulanger, effroyable danger pour la si merveilleuse République (probablement alors aussi ripoublique que de nos jours) et un (ou des) politique(s) surfant sur la vague du souverainisme.

      C’est quelque chose qui les dérange, au cabinet-conseil, le souverainisme. Mais bon, il faut bien faire avec, hein ?


    • pierre 22 décembre 2021 11:41

      Quelle salade ! invraisemblable de sortir des trucs pareil !


      • Clark Kent Schrek 22 décembre 2021 13:15

        Boulanger était un va-t-en guerre revanchard qui cherchait un incident pour repartir comme en… 70

        Il ne faut pas oublier l’ »affaire Schnæbelé » qui a failli aboutir à ce résultat. Ce qui a empêché la situation de dégénérer est la conviction par les deux camps (les industriels en particulier et non les politiques) de la non-opportunité d’un conflit à ce moment précis (conviction changée une trentaine d’années plus tard, en 1914), ainsi que la relative modération des équipes alors au pouvoir dans les deux pays.

        C’est à cette affaire que, face à la position de Boulanger qui s’exclamait « je ne vois pas de réponse sous une autre forme que celle de l’ultimatum », Clémenceau a fait ce fameux commentaire sous forme de boutade : « La guerre ! C’est une chose trop grave pour la confier à des militaires ».


        • chantecler chantecler 23 décembre 2021 03:46

          Tout cela est fort juste .

          Boulanger, issu de la jeune république, mais très nostalgique de l’Ancien Régime comme l’état major dans nos armées d’alors , se rêvait d’un destin à la Napoléon III...

          Manque de bol : les prestations de notre dernier empereur ayant abouti à la catastrophe que l’on sait en 1870 ( massacres prussiens, Metz ,Sedan, La commune, perte de l’Alsace Lorraine et indemnités de guerre faramineuses à la clé ) avaient laissé suffisamment de mauvais souvenirs pour que cette épopée cette fois tourne court .

          Il se suicide par chagrin sur la tombe de sa maîtresse ?

          Le peuple français l’a échappé bel .

          Et comme disait Clemenceau : « la guerre est affaire trop sérieuse pour la confier à des militaires .... »

          Nous avons pu d’ailleurs le re constater quelque 25 ans plus tard, dans les hécatombes de la guerre de 14 , dans laquelle on a réussi à replonger le peuple essentiellement paysan d’ailleurs , les cadres (lieutenants) eux aussi sacrifiés , étant fournis par les hussards noirs de la république chauffée à blanc par les mêmes structures réactionnaires ...

          Nos généraux ayant fait leurs débuts dans les conquêtes coloniales où les massacres inutiles étaient aussi de rigueur... .


          • Daniel PIGNARD Daniel PIGNARD 23 décembre 2021 11:06

            Ben tout ça c’est bien beau mais il est justement prophétisé un homme providentiel après Macron :

             

            Ces prophéties nous apprennent qu’un Grand roi doit venir après Macron en France et il aura une verge de fer pour paître les nations (Psaume 2). Son avènement se fera après deux grands cataclysmes qui détruiront beaucoup d’impies (Luc 17 :20-30).

            En voici un résumé :

             

            « Les dix cornes, ce sont dix rois qui s’élèveront de ce royaume (Les 10 mandats de la 5è République). Un autre s’élèvera après eux (Macron), il sera différent des premiers (Election très contestable), et il abaissera trois rois (les trois rois de droite encore vivants : Giscard, Chirac, Sarko). Il prononcera des paroles contre le Très Haut (exemple : le blasphème n’existe pas), il opprimera les saints du Très Haut (toutes les lois anti-famille et liberticides, plus d’école à la maison, plus de choix éducatif), et il espérera changer les temps et la loi (toutes les lois liberticides prétextées par le covid) ; et les saints seront livrés entre ses mains pendant un temps, des temps, et la moitié d’un temps (ceux qui sont fidèles à Dieu doivent s’inscrire pour assister aux cultes).

            Puis viendra le jugement, et on lui ôtera sa domination, qui sera détruite et anéantie pour jamais.

            Le règne, la domination, et la grandeur de tous les royaumes qui sont sous les cieux, seront donnés au peuple des saints du Très Haut. Son règne est un règne éternel, et tous les dominateurs le serviront et lui obéiront. (Daniel 7 :24-27)

             

            « Je regardai pendant mes visions nocturnes, et voici, sur les nuées des cieux arriva quelqu’un de semblable à un fils de l’homme ; il s’avança vers l’ancien des jours, et on le fit approcher de lui.

            On lui donna la domination, la gloire et le règne ; et tous les peuples, les nations, et les hommes de toutes langues le servirent. Sa domination est une domination éternelle qui ne passera point, et son règne ne sera jamais détruit. » (Daniel 7 :13-14)


            • ETTORE ETTORE 25 décembre 2021 23:28

              Rakotonanobis propose toujours des photos, avec des messages cachés.

              Dans ce cas précis, peut être veut il nous signifier que la fin approche.

              Normalement dans les bandes dessinées, la progression imagée se fait toujours vers la droite.

              Dans les deux premières photos, le regard du personnage, est tourné vers sa droite, mais, la gauche pour nous.

              Dans la dernière, où il tient l’arme dans sa main, prêt au suicide, il regarde vers sa gauche, mais, qui est notre droite.

              C’est un peu, comme le parcours Macronicien....

              « Je ne fonce que pour ma gueule, mais en finalité, je vous regarde, d’un air accusateur, pour vous rendre responsable, de ma fin ! »

              Brave rakotonanobis, vous avez toujours eu des problèmes sous-jacents, avec l’épopée chimérique de votre commanditaire, comme si vous vouliez étouffer la petite led de votre clavier .

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