Le MoDem, la troisième voie fantôme
Début décembre 2007, en France, un nouveau parti est né. Un mouvement qui veut incarner tout à la fois le consensus et la force d’opposition principale au gouvernement actuel. Le Mouvement Démocrate (MoDem) peut-il devenir un nouveau parti incontournable et concentrer la résistance au tout Sarkozy ?
Interview de F. Bayrou (2007) et historique de l’UDF/Modem
1978 : fondation de l’UDF (Union pour la démocratie française) par Michel Poniatowski, suite à l’idée de Jean Lecanuet et de Jean-Jacques Servan-Schreiber, pour que Valérie Giscard d’Estaing dispose d’un parti le soutenant lors des législatives.
1978-1988 : Jean Lecanuet est président de l’UDF
années 1970-1980 : Âge d’or de l’UDF, avec Valérie Giscard d’Estaing à la présidence de la République et Raymond Barre au gouvernement.
1988-1996 : Valéry Giscard d’Estaing est président de l’UDF
Elections législatives de 1993 : l’UDF s’allie au RPR, puis participe aux gouvernements d’Edouard Balladur et Alain Juppé.
Election présidentielle de 1995 : l’UDF se déchire entre partisans d’Edouard Balladur et de Jacques Chirac.
1996-1998 : François Léotard est président de l’UDF.
Elections régionales de 1998 : alors que plusieurs présidents de régions sont élus grâce aux voix de l’extrême droite, l’UDF se scinde entre le camp de François Bayrou et celui d’Alain Madelin sur la manière de réagir à cette nouvelle situation. La position de François Bayrou (refus des alliances avec le FN) finit par l’emporter et Démocratie Libérale quitte l’UDF quelques semaines plus tard.
1998-2007 : François Bayrou est président de l’UDF.
1998 : François Bayrou décide d’unifier les différentes composantes de l’UDF pour créer un nouveau parti (la nouvelle UDF), marqué au centre.
Election présidentielle de 2002 : François Bayrou arrive en 4e position avec 7 % des voix
Avril 2002 : création par Jacques Chirac et Alain Juppé de l’UMP pour unifier les partis du centre et de la droite. Une grande partie des élus UDF quitte le mouvement pour rejoindre l’UMP.
Elections législatives de 2002 : Malgré ces départs, l’UDF, avec 29 députés, parvient à conserver un groupe à l’Assemblée nationale. Cette tribune lui permet d’affirmer sa différence en s’opposant à diverses reprises au gouvernement de Jean-Pierre Raffarin.
16 avril 2004 : François Bayrou et l’Italien Francesco Rutelli initient le Parti démocrate européen, de tendance réformiste et centriste.
2004 (Elections régionales et européennes) : l’UDF retrouve un niveau de croisière, avec 12 % des voix.
Election présidentielle de 2007 : avec un score de 18,57 %, François Bayrou arrive en 3e place après Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal.
Mai 2007 : mécontents du refus de François Bayrou de donner des consignes de votes pour l’entre-deux-tours, 23 députés UDF sortants, soucieux de ménager leur électorat de droite, déclarent entrer en dissidence avec l’UDF et appellent à fonder un nouveau parti du centre, partenaire de l’UMP.
10 mai 2007 : en réponse à ces déclarations, les conseillers nationaux UDF, lors d’un Congrès national, appellent à l’unanimité à créer un nouveau parti politique, le Mouvement démocrate (MoDem), regroupant les formations politiques et militants en faveur de l’indépendance par rapport à la gauche et à la droite.
7 décembre 2007 : naissance officielle du MoDem.
Un nouveau mouvement né sur la vague de l’élection présidentielle
Au lendemain de l’élection présidentielle de 2007, fort de sa troisième place avec un score très honorable (18,57 %, soit près de sept millions d’électeurs), François Bayrou veut maintenir le rythme soutenu des six mois de campagne et cristalliser cette nouvelle montée de l’électorat centriste dans un nouveau mouvement, le Mouvement Démocrate (MoDem). Celui-ci veut renouveler l’image vieillissante du centrisme qu’incarnait l’UDF. Le 10 mai, quatre jours après le deuxième tour qui consacrait le nouveau président Sarkozy, la création du mouvement est décidée.
L’engouement populaire est indéniable, et le mouvement revendique entre 50 000 et 60 000 adhérents au 1er décembre 2007. C’est justement ce jour-là, à Villepinte, que naît officiellement ce nouveau mouvement, incarnation d’un nouveau centrisme français, qui souhaite rassembler en son sein les démocrates chrétiens, les socio-démocrates, les écologistes de droites et de gauche, les socialistes libéraux, les gaullistes orphelins, bref tout ce que peut compter de citoyens des déçus du PS aux farouches opposants à Sarkozy. Cela semble faire beaucoup de monde et un monde difficile à rassembler. Cependant son leader légitime bénéficie d’une cote de popularité très importante auprès des Français (48 %, en décembre 2007, Sofres).
La fuite des ténors du centrisme français
Avec ce nouveau mouvement si soudainement populaire, un système politique à trois partis pourrait-il émerger, de façon durable, en France ? C’est encore loin d’être sûr.
L’envers du décor de cette petite « success story » n’est pas tout rose. Il y a même une ombre au tableau de la création du parti, celle de son encadrement. Le jeune mouvement - c’est sans doute un atout - n’est représenté par aucune tête connue. Il y a certes son président, populaire, mais il est bien seul. Sa fidèle lieutenant, directrice de sa campagne, Marielle de Sarnez, est toujours là, mais elle reste relativement inconnue sur la scène politique nationale, à peine connue à Paris où elle compte défendre les couleurs du MoDem aux prochaines élections municipales. Ceux qui incarnaient l’UDF sont déjà partis, depuis longtemps, et la fuite continue et ce avant, pendant et depuis l’élection présidentielle. Certes, le ralliement de Gilles de Robien, alors ministre de l’Education nationale du gouvernement Villepin, ne fut pas une surprise. Puis il y eut les ralliements d’André Santini, Christian Blanc et Simone Veil, à Nicolas Sarkozy, cible principale de Bayrou durant sa campagne, qui le privèrent de soutiens politiques de premier plan sur la scène nationale.
L’entre-deux-tours puis l’appel à l’ouverture de Sarkozy porteront le coup de grâce. On se souvient de cette étonnante situation où le faux-gagnant Bayrou se permet d’éclipser incroyablement le duo finaliste pendant toute la première semaine de l’entre-deux-tours. Mais au même moment continuait inexorablement le départ des députés UDF qui rejoignaient quasi-unanimement le clan du nouveau président. Ils allaient alors gonfler les rangs de la nouvelle majorité présidentielle créant un mouvement centriste au sein même de l’UMP (Le Nouveau Centre). En conséquence les législatives de juin 2006 n’ont été ni pires ni meilleures que prévues. Loin de pouvoir créer un groupe parlementaire, François Bayrou n’est soutenu à l’Assemblée nationale que par trois autres députés, M. Aly, M. Benoît et M. Lassalle, alors que dans le même temps trois anciens UDF sont nommés ministres et secrétaires d’Etat du gouvernement Fillon. Bref, le trublion de l’élection présidentielle, au terme d’une année politique très chargée en France, maintient une situation paradoxale. Certes il est reconnu comme un personnage politique de premier plan et est largement apprécié par les Français, mais en même temps il semble commencer une grande « traversée du désert » politique, lâché et parfois même lynché par ses anciens amis de l’UDF. La stabilité et l’enracinement de ce nouveau mouvement semblent si fragiles qu’il est très osé de l’imaginer véritablement incarner une troisième voie.
Mais la forme politique est-elle si importante que le message de ce nouveau parti ne pourra pas transcender le dogme de l’opposition droite gauche de la politique française établi depuis plus de trente ans ? Oui et non. Oui parce que de fait cette absence de soutien fort autour du chef, empêche le relais des idées sur l’ensemble du territoire. Les cadres du parti ne sont pas là que pour légitimer leur chef, ils permettent la présence forte du parti notamment dans leur circonscription et participent au projet qu’ils font évoluer et qu’ils diffusent. Etant privé de ces relais, le Modem fait peu entendre ses messages. Mais non ce n’est pas très grave, en tout cas pour lui, le chef. Car François Bayrou, paraît-il, ne pense qu’à une chose, la présidentielle. Certes il a manqué cette occasion de 2007, et au fond il s’y attendait, mais la prochaine fois sera la bonne, pense-t-il. Il n’a même aucun doute là-dessus. Il n’a donc pas de réelle nécessité à marquer sa présence avant le début de la prochaine décennie (On lui prête cette prédiction, à deux tiers réalisée « Je me présente en 2002, je fais un score à deux chiffres en 2007, je suis élu en 2012 »). C’est cette certitude qui semble-t-il en a agacé plus d’un, au point de les faire quitter le navire UDF MoDem.
Un positionnement politique encore flou
Cette absence, peut-être voulue, lève une autre question à laquelle il est bien difficile d’apporter la moindre réponse. Quel positionnement politique ce mouvement veut-il occuper ? Les possibilités sont nombreuses, mais pour l’instant aucune ne semble vraiment choisie.
Le créneau de l’anti-sarkozisme au sein des formations démocrates est complètement libre. En effet, huit mois après les élections, le PS continue de se déchirer, n’ayant toujours pas fait le deuil de l’échec de son rendez-vous politique de 2007, immanquable et pourtant raté, après douze années de chiraquisme. C’est donc le mouvement syndical qui, tant bien que mal, tient à bout de bras le rôle de l’opposition qui n’est pas le sien. Pourtant, François Bayrou et son parti ne semblent pas vouloir s’aventurer sur ce boulevard. C’est sans doute trop tôt pour lui, comme on l’a dit. Dans tous les cas, il fait preuve d’un manque de réactivité face aux multiples questions posées par les nombreuses réformes menées par l’équipe gouvernementale - des réformes fiscales à celle de la carte judiciaire en passant par la politique internationale.
De l’autre côté, aucune approche n’est engagée vers la droite du Parti socialiste, pourtant jamais si proche de l’UDF à la veille du second tour des présidentielles. Enfin, aucune trace d’un maintien et de l’affirmation d’une troisième voie claire et indépendante. Cela se traduit par un sentiment de confusion concernant la prochaine échéance électorale. Dans deux mois, les électeurs vont retourner aux urnes pour les élections municipales et aucune stratégie nationale n’a encore été décidée par le Modem - hormis celle consistant à être présent partout et à survivre comme on peut au niveau local. Les alliances, aussi bien avec le PS qu’avec l’UMP, se dessinent un peu partout. C’est exactement à l’opposé de la campagne du printemps dernier. Il n’est plus question de dépasser les clivages, transcender droite et gauche, mais il faut s’aligner sur les meilleurs de droite ou de gauche. D’ailleurs Nicolas Sarkozy a bien repris à son compte cette idée du rassemblement au-delà des partis, en pratiquant l’ouverture, coupant du coup l’herbe sous les pieds du leader centriste. Plus généralement, on peut voir dans cette situation de début d’année les symptômes des difficultés du MoDem. L’impulsion née de l’élection présidentielle s’essouffle et, à l’intérieur du parti, rien ni personne ne vient - pour l’instant - relancer la machine. Pourtant, le MoDem se veut le porteur de messages modernes et novateurs.
Les messages d’une sociale-démocratie à la française
Quels messages ? Quelles idées fondatrices veut-il faire passer ? Là aussi la communication n’est pas des plus claires. Certes un aussi jeune mouvement ne peut pas avoir une pensée politique déjà structurée et aboutie. De plus, s’il se construit à partir du parti solide qu’était l’UDF, il doit néanmoins moderniser son idéologie et ne pas se limiter à un simple changement de nom.
Reste un dogme central dont le nouveau parti du centre ne devait pas s’écarter. Fondamentalement, le MoDem est un parti très libéral, probablement plus encore que ne l’est l’UMP. Libérer le marché du travail, diminuer les charges pour les entreprises sont les éléments fondamentaux dans sa politique économique et de l’emploi. Mais il est tout aussi fondamentalement anti-américain. Pas l’anti-américanisme primaire, ni un simple anti-Bushisme, mais c’est un rejet et une peur du modèle sociétal américain. Il veut placer la solidarité avant la réussite, le bien-être des individus avant la richesse du pays.
Enfin la modernisation et l’efficacité de l’Etat et de son administration sont prioritaires pour atteindre l’objectif d’équilibre budgétaire, un des objectifs centraux du programme des centristes. En somme c’est un message de social-démocrate dans l’idéal républicain français. Rien de bien neuf en fait. Alors que nos voisins réfléchissent déjà à l’après sociale-démocratie, celle-ci peine encore à décoller en France.
Enfin il y a la question européenne. Le MoDem tout comme son prédécesseur veut être le parti pro-européen de la scène politique française ; le programme présidentiel le prouve : forte volonté de défendre un modèle européen, une diplomatie et une défense européenne, approfondir les politiques économiques, énergétiques, de l’immigration, du co-développement, de la recherche communes. Mais, d’une part, ce message pro-européen n’est pas particulièrement porteur au sein des Français et, d’autre part, surtout, le nouveau président a fait le nécessaire avec la signature du nouveau traité de Lisbonne en décembre en se présentant en parallèle comme le président qui remettra la France au coeur de la construction européenne. Finalement le MoDem ne sait pas se démarquer sur ce sujet et son message pro-européen se confond avec le discours général du reste de la classe politique nationale.
Une initiative qui ressemble à d’autres en Europe...
Des partis centristes existent dans la plupart des pays européens, mais leurs rôles et dogmes respectifs dépendent largement du contexte national. Renaud Dehousse, chercheur au Cevipof (Science Po Paris), distingue trois scénarios-types : un premier, dans lequel les grands partis convergent vers le centre, grignotant l’espace des partis qui s’en réclament - ce fut jusque-là le cas en France -, un deuxième, dans lequel le centre est une force d’appoint pour la constitution de coalitions gouvernementales - ce fut longtemps le cas du FDP en Allemagne -, un troisième, dans lequel le centre est une force significative qui s’oppose à la gauche et à la droite - ce fut le cas lorsque Valéry Giscard d’Estaing fut élu président en 1974 en s’appuyant sur le petit parti des Républicains indépendants.
C’est au troisième scénario qu’aspire clairement le MoDem de François Bayrou aujourd’hui. De manière générale, le rôle du parti centriste dépend à titre principal du mode de scrutin - d’où le rôle subsidiaire des LibDem en Grande-Bretagne (pays dans lequel le suffrage proportionnel n’existe pas) alors que le FDP allemand (pays dans lequel il existe une dose de proportionnelle) a un poids politique bien plus important.
En Italie, et notamment du fait de l’extrême fragmentation du système partisan, le centre est en perpétuelle décomposition et recomposition. La Démocratie chrétienne a longtemps été le parti majoritaire et pivot du jeu politique italien, mais a éclaté en 1992-1993 à la suite des scandales de corruption. Récemment, la Démocratie chrétienne, la Marguerite et le Parti socialiste ont fusionné en un nouveau parti de centre-gauche, le Parti Démocrate (PD) [1] ]]. Le PD a officiellement été fondé le 14 octobre 2007, lorsque les inscrits et sympathisants des partis constitutifs ont élu les membres de l’Assemblée constituante du PD, son secrétaire général (Water Veltroni, maire de Rome, élu avec 75 % des voix) et ses secrétaires régionaux. Cette récente initiative, par certains côtés, ressemble fortement aux ambitions du MoDem en France, à ceci près que le PD ne se situe pas "contre la droite et la gauche", mais au centre gauche et qu’il s’appuie sur des partis actuellement au pouvoir. Les évolutions respectives du MoDem français et du PD italien seront intéressantes à comparées dans les années à venir.
... mais qui peine à décoller dans l’Hexagone...
Le MoDem pourrait être une troisième voie attendue par une certaine partie de la population française et il attire indéniablement la sympathie de beaucoup. Mais cela n’est sans doute pas suffisant pour apporter un poids dans le débat public français, surtout si ses représentants ne cherchent pas à porter davantage leurs convictions. Alors la force incontestable de ce nouveau mouvement que représentent ces milliers de nouveaux adhérents militants pourrait aussi bientôt retomber, dans cette attente forcée. Attendre cinq ans, c’est long, trop long pour prédire l’avenir de ce mouvement qui reste en suspens.
Auteur : Romain Poly pour Euros du Village ASBL © 2008
[1] Voir notre article "Le Parti Démocrate, reflet d’une vie politique tourmentée"
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