Le partage équitable des richesses : une idée qui fait son chemin à droite...
Le chiffre est connu : ces vingt-cinq dernières années, en France, la part des salaires dans la valeur ajoutée a baissé de 8 % au profit du capital, ce constat (valable aussi pour les autres pays développés) appelant à un rééquilibrage en faveur des salariés.
Cet enjeu est traditionnellement porté par la gauche, notamment la « gauche de la gauche ». En France, elle est très associée à Besancenot qui ne manque pas une occasion de la défendre avec panache en meeting ou sur les plateaux télé...
Mais les temps changent et cette idée est en train, progressivement, de dépasser le traditionnel clivage gauche-droite, pour devenir une « cause commune » à l’ensemble des forces politiques, comme l’écologie.
A droite, le partage de la valeur
A droite, elle prend désormais le nom de « partage de la valeur ». Elle tire ses sources dans l’idée gaulliste de la participation. Aujourd’hui, la droite va plus loin.
Frédéric Lefebvre, secrétaire général de l’UMP chargé de l’économie, se positionne ainsi clairement sur cet enjeu du « rééquilibrage du partage de la valeur entre salariés et actionnaires » et propose la création d’un « dividende salarial ». Ce thème sera aussi à l’ordre du jour d’une convention sociale de l’UMP au mois de mai (qui concernera aussi les petites retraites, les bas salaires et le temps partiel subi).
Christine Boutin défend depuis quelques années l’idée du « dividende universel » (330 euros pour tous), idée pour le moins radicale. Plus récemment, Chantal Brunel, députée UMP, s’est fait ovationner par la gauche pour sa critique des niches fiscales et des conséquences du bouclier fiscal.
En projet également, deux idées qui vont dans le sens d’un meilleur partage de la valeur : conditionner l’octroi d’aides financières publiques aux entreprises à l’ouverture de négociations salariales ; déduire de l’impôt sur les sociétés la part des bénéfices reversée aux salariés.
Nicolas Sarkozy himself s’est prononcé à plusieurs reprises sur le mode de répartition des bénéfices suivant (la dernière fois lors de son interview télé du 24 avril dernier) : 1/3 pour les salariés, 1/3 pour l’investissement, 1/3 pour les actionnaires (pourquoi la gauche n’a-t-elle jamais été capable d’exprimer les choses de la sorte ?). Cette vision a aussi été portée par François Bayrou pendant la campagne présidentielle.
Sarkozy, qui dans son livre de fin de campagne Ensemble, écrivait aussi : « Je suis convaincu (...) que le capitalisme est condamné si le prédateur prend le pas sur le créateur, si le spéculateur et le rentier s’enrichissent davantage que l’entrepreneur et le travailleur, si la rémunération de chacun n’est pas en rapport avec la richesse qu’il crée, le service qu’il rend à la société, si la propriété n’est pas le fruit de l’effort, si l’argent devient l’unique mesure de la valeur des hommes et la seule raison de leurs actes. »
Bien sûr, nous n’en sommes encore qu’au début de l’appropriation de cette idée par la droite. Le bouclier fiscal et les franchises médicales, par exemple, sont là pour rappeler que la route est encore longue...
Mais, devant l’explosion des inégalités, le recul du pouvoir d’achat, la persistance de faits têtus (déplacement de la valeur au détriment des salariés), la droite sarkozienne, qui se targue de voir le monde tel qu’il est, ne peut plus le nier ou dénoncer une vision gauchiste ou malthusienne de l’économie (ce qu’elle faisait volontiers il y a encore peu).
Et c’est une bonne chose ! Car la répartition équitable des richesses est une idée populaire, au sens où elle profite au final à la majorité des citoyens (qui sont pour la plupart salariés, ou futurs salariés).
Seule une minorité (aujourd’hui toute-puissante) a à gagner véritablement d’une répartition inéquitable des richesses en sa faveur. Il ne s’agit donc pas de prendre arbitrairement à certains pour donner à d’autres. Il s’agit de donner à chacun son dû, en rapport avec ses efforts et sa contribution à la société.
Une question de justice et de responsabilité
Cette idée renvoie donc à une question de bon sens et de justice. Et, en ce début de nouveau millénaire, la soif de justice est au cœur des attentes des Français, peut-être plus encore que la solidarité (en tout cas, pas de solidarité durable et acceptée sans justice et équité).
Est-il juste que les salaires augmentent moins vite que les gains de productivité ?
Est-il juste de voir un trader gagner en un an des millions d’euros grâce à des opérations financières spéculatives éloignées de l’économie réelle, quand les travailleurs, employés ou cadres, qui bossent dur et produisent des richesses n’en gagneront jamais autant (ni même le dixième) sur toute leur vie ?
Est-il juste que des investisseurs financiers irresponsables, à l’origine de crises graves (comme celle des subprimes), prennent en otage les banques centrales, obligées pour éviter la débâcle totale d’injecter des liquidités massives (souvent au final à la charge du contribuable) ?
Est-il juste que la part des profits reversée aux actionnaires augmente bien plus vite que celle consacrée aux investissements ? Les profits d’aujourd’hui ne font plus les investissements de demain et les emplois d’après-demain...
Est-il juste qu’en vingt ans, dans les grandes entreprises cotées, les écarts de revenus entre dirigeants (gavés aux stocks-options) et salariés aient été multipliés par 5 ou 10 (x 10 depuis 1980 aux Etats-Unis dans les 500 premières sociétés cotées) ?
Est-il juste que, ces dix dernières années, les profits des grandes entreprises explosent, alors que ceux des salariés stagnent et que leur précarité augmente ? D’ailleurs, les deux segments du marché de la consommation qui progressent le plus sont le luxe et le low-cost...
Est-il juste que les profits cumulés des multinationales des deux secteurs responsables des plus grandes crises actuelles - les pétroliers (crise écologique) et les banques (crise financière) - explosent et atteignent 100 milliards de dollars chacun ?
Est-il juste que, dans un monde de plus incertain et complexe, les risques se transfèrent de plus en plus du capital vers les travailleurs et les épargnants ?
Non, non et non. Tout cela ne pas évidemment ni juste ni responsable. Nicolas Sarkozy qui parle à juste titre de la nécessaire « moralisation du capitalisme financier » en est sûrement conscient. Mais il doit agir bien davantage et, pour cela, profiter de la fenêtre d’opportunité de la présidence française de l’Europe.
Bien sûr, dans un monde globalisé, libéralisé et ouvert, le traitement concret et efficace du « partage équitable des richesses » est complexe et sûrement progressif, car, avec la menace constante d’une concurrence féroce d’un moins disant social ou environnemental, le contrôle et la contrainte en matière économique sont délicats à manier, surtout au niveau national. Il est vrai aussi que l’économie administrée a montré son impasse et son danger et que personne n’a envie d’y retourner.
Mais ce n’est pas pour autant qu’il faut se croiser les doigts et renoncer à changer en profondeur les règles du jeu d’un système économique qui perd la tête, règles du jeu qui ne sont pas tombées du ciel, mais qui résultent de décisions politiques prises au niveau national et international...
« Ma vérité, c’est que je crois en la politique, en sa capacité à transformer le monde. (...) En politique, la frontière entre le possible et l’impossible est souvent celle que trace la volonté politique. » Ainsi s’exprimait Nicolas Sarkozy, toujours dans son livre de campagne Ensemble. Il doit maintenant transformer ces paroles en actes, à moins que, comme de plus en plus de gens le pensent, son volontarisme de parole se soit mué en une bonne volonté d’action et finira demain en néo-chiraquisme...
Rendez-vous à la fin de la présidence française pour faire un premier point.
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