Le Parti Anti Sioniste, petit fils d’Edouard Drumont ?
Les prochaines élections législatives sont l'occasion pour Dieudonné M’Bala M'Bala d’être candidat à la 2ème circonscription d’Eure-et-Loir sous l'étiquette du Parti Anti Sioniste. L'humoriste qui fit ses premières armes dans les années 90 avec Elie Semoun devient progressivement un homme politique en campagne. L'occasion de s’intéresser d'un peu plus près aux idées de son parti : Le Parti Anti Sioniste. On connaissait le Parti Anti Capitaliste de Poutou et Besancenot, découvrons maintenant le Parti Anti Sioniste. Que se cache t'il derrière ce nom de combat ? Que se cache t'il derrière ce parti politique ayant reçu, en 2009, le soutien du célèbre terroriste Carlos depuis sa prison de Poissy ?
Si on lit simplement le nom du parti, celui est contre une idéologie : le sionisme.
Pour rappel, celle ci, théorisée à la fin du XIXème siècle par l'autrichien Theodor Herzl dans son livre « Der Judenstaat », prône l'existence d'un état peuplé par les Juifs en terre de Palestine. Le sionisme de Herzl étant une réaction à l'affaire Dreyfus et aux fréquentes persécutions antisémites qui sévissaient dans l'Europe de l'époque. Pour Herzl, les juifs ne pourront vivre en paix que si ils ont un État. Le citoyen israélien libre doit se substituer au juif apatride et opprimé. Question de survie.
De nos jours, le sionisme, souvent caricaturé, correspond à la reconnaissance d’Israël comme un État légitime. Ni plus, ni moins. Il n'est aucunement question de la politique de son gouvernement mais simplement de la légitimité d'un État israélien dans cette région du monde. Le sionisme n'est donc pas le soutien à la politique d'Ariel Sharon ou de Benyamin Netanyahou mais simplement la reconnaissance d'un drapeau, d'un hymne et d'institutions propres à un État.
Le Parti de Dieudo est donc, par son nom, contre cette idéologie. Il est antisioniste, c'est à dire qu'il est contre ceux qui soutiennent la légitimité de l’État d’Israël. Simple raisonnement logique.
Allons voir maintenant le site internet du parti. Nous en apprendrons plus.
A peine la page chargée et on est d’emblée frappé par le logo présent en haut à gauche. Une carte de France avec un drapeau israélien barré d'une croix rouge. On pense tout de suite à une certaine affiche du FN pour la campagne des régionales en Paca en 2010 ou l'on pouvait voir une carte de la France aux couleurs du drapeau algérien. Invasion israélienne pour les uns. Invasion algérienne pour les autres. Ironique.
Je clique ensuite sur la rubrique « programme » pour mieux comprendre le fondement idéologique du parti. Celui ci se décompose en 15 points.
Le premier annonce tout de suite la couleur : « Faire disparaître l’ingérence sioniste dans les affaires publiques de la Nation. ». Il est question d'une « ingérence sioniste » qui serait tellement présente qu'elle envahirait aussi « les affaires publiques » (le monde politique, l'administration ?). Pas seulement ! Au point numéro 7, il est question de « promouvoir l’expression libre de la politique, de la culture, de la philosophie et de la religion et les libérer du Sionisme » et « d'instaurer un dialogue national de sensibilisation pour un projet de société qui exclut toute apologie du Sionisme » au point 13.
Le programme dépeint une France qu'il faudrait libérer d'une force occulte (le sionisme) qui serait infiltrée dans tous les rouages de la société. Une force qui imprégnerait autant « la religion » que la « philosophie » et la « culture » et qu'il faudrait, selon le point 3, « éradiquer » (en brûlant des livres, en pourchassant leurs auteurs ?)) pour instaurer « une société de justice, de progrès et de tolérance » (point 15). La tolérance étant conçue comme excluant bien évidemment le sionisme.
Selon le parti Anti sioniste et son programme, l'idéologie de Theodor Herzl, le sionisme, aurait perverti une France qu'il faudrait « libérer » (point 5). Le sionisme est ainsi compris comme un joug, comme un despotisme.
Le Parti souhaite une libération. Pour installer quoi ?
En dessous du programme, des commentaires ont été postés par certains sympathisants. Le premier fait remarquer que « combattre le sionisme sans autres objectifs que de le combattre lui parait limiter car une fois le combat gagné, la porte serait ouverte à d'autres dérives qui pourraient être pire encore ».
La réponse du parti est sans appel : « une fois gagné le combat contre le sionisme, toute autre dérive sera coupée à la racine, le sionisme étant lié à pratiquement toutes les dérives. »
L'idéologie du P.A.S. n'est pas complexe. Elle est même extrêmement simple et peut se résumer en une seule phrase : le sionisme est la cause de tous les maux.
Face à cette idéologie politique, je me pose alors cette question que déjà plusieurs tribunaux se sont posés sur des propos de Dieudonné. Le Parti Anti Sioniste n'est il pas en fin de compte tout simplement antisémite ?
Faire le rapprochement ne tient pas de la paranoïa mais de l'analyse de discours. Le politologue Pierre André Taguieff analysait déjà en 2002 dans son livre La Nouvelle Judéophobie, le lien historique qu'entretenait certains courants antisionistes avec l'antisémitisme. D'abord dans l'antisionisme soviétique des années 50-60 et dans l'antisionisme islamiste contemporain.
En effet, comment ne pas faire le parallèle entre la rhétorique du P.A.S. voyant un complot sioniste à éradiquer et toute la pensée antisémite de ces deux derniers siècles mettant systématiquement les juifs à l'origine de tous les malheurs ? Pourquoi le sionisme en particulier et pas autre chose ? Et surtout pourquoi donné à l’État d’Israël, à peine plus grand que la Nouvelle Calédonie, une influence aussi considérable dans les affaires de la République française et du monde ?
Pour chercher des réponses, je me suis tourné vers le président du parti : Yahia Gouasmi.
En tapant son nom sur Google, je suis tombé sur un discours qu'il a prononcé le vendredi 24 avril 2009, au Théâtre de la main d'or dans le 11ème arrondissement à Paris.
Voici ce qu'il dit : « Le sionisme a gangrené notre société. Il occupe une place majeure qui ne lui est pas destinée. Il gère les médias. Il gère l’éducation de nos enfants. Il gère notre gouvernement… et tout cela pour l’intérêt de l’étranger. L’intérêt de l’entité sioniste israélienne. Nous sommes là pour leur dire que la chevalerie est arrivée pour stopper ce sionisme qui gangrène notre pays. (…) Une fois qu’ils se sont stabilisés, une partie d’entre eux se sont développés dans le sionisme (…). Ils ont pris le pouvoir en France, le pouvoir des médias, les trusts, la politique. Croyez-moi : gauche comme droite n’est que du sionisme. Il n’y a rien d’autre. Tout ça c’est une magouille, à grande échelle. Et nous sommes là pour la dénoncer. Et dénoncer tous les hommes politiques qui font l’apologie et le soutien du sionisme, quels qu’ils soient et dire qui sont les vrais Français et qui défend les intérêts de la nation ».
Le discours est fascinant et digne d'un mauvais téléfilm américain dont le scenariste aurait faite une fixette sur Roswell et l'invasion imminente des extraterrestres. Le sionisme est partout et se propage telle une épidémie mortelle. Il « gangrène » tous les pouvoirs et arrive même à lui tout seul à supprimer le traditionnel clivage gauche/droite dans la politique française ou les sionistes ont « pris le pouvoir ». Seule la « chevalerie » Anti Sioniste peut les stopper (une cavalerie chargeant sabre au clair et prête à embrocher du sioniste ?).
Le discours n'est pas nouveau. Plus de sioniste, plus de malheur. Plus de juifs, plus de malheur ?
En 1938, un livre antisémite pour enfants s'intitulant Der Giftpilz [le champignon vénéneux] fut publié en Allemagne nazie. Un des chapitres proclame que « la paix éternelle viendra seulement quand nous serons libérés des Juifs. » car ils sont derrière « les grèves, les bouleversements et la lutte des classes ». Toujours cette idée de juif conspirateur, n'en déplaise à ceux qui voient des points Godwin partout..
Une idée qu'Edouard Drumont exprimait déjà dans son livre violemment antisémite « La France Juive » publié en France en 1886 : « Quand la justice fait semblant de s'occuper des juifs, c'est pour leur rendre service. » (page 75).
Le juif est partout tout comme le sioniste est partout pour Yahia Gouasmi. Un mot en remplace un autre. La logique est la même. Les thèmes récurrents. Tellement récurrent que le sioniste serait aussi derrière la déliquescence du mariage. Ainsi, Mr Gouasmi déclare dans la même conférence : « A chaque divorce, moi je vous le dis, il y a un sioniste derrière. A chaque chose qui divise une nature humaine, il y a derrière un sionisme. ». Que vient faire l’État d’Israël dans le mariage ?
Le livre Der Giftpilz disait aux jeunes enfants du IIIème Reich il y a 74 ans : Si une fille veut se garder pure, ne la laissez pas être menée par des Juifs ! Si elle veut s'en sortir dans la vie, ne la laissez pas avoir de rapport avec des Juifs ! ». Le juif est destructeur de la famille. Le sioniste aussi. Comment ne pas voir une filiation sémantique et idéologique dans ces déclarations ?
Le Parti Anti Sioniste et son président Yahia Gouasmi semblent ne pas s'inscrire dans un combat politique contre la politique d’Israël comme ils veulent le laisser croire. Au contraire, ils distillent une propagande judéophobe aux ressorts datés et qui voit derrière chaque malheur, un sioniste. Une haine contre une entité opportune (« le sioniste ») car elle ne tombe pas sous le coup de la loi. Une haine qui emprunte même certains mots à l’extrême droite française lorsque Mounir Grami, candidat libre soutenu par le Parti Anti Sioniste dans la 14ème circonscription du Rhône, proclame sur son affiche de campagne vouloir « combattre le sionisme et changer le système UMPS ». L'expression UMPS ne vous dit rien ? Écoutez les discours de Marine Le Pen.
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