Le Président-Spectacle en temps de crise sanitaire
Le Président est devenu un Président-Spectacle. En très lointain écho à la jeunesse de l’un de ses prédécesseurs, il ne gouverne pas. Le Président semble s’amuser dans un spectacle permanent. La mise en scène du réel ressemble de plus en plus à une fuite en avant, angoissante pour les Français.
Le roi s’amuse
En 1993, Roger Planchon sortait un film intitulé Louis enfant Roi. Le film évoquait l’enfance de Louis XIV jusqu’à l’exercice effectif du pouvoir. L’enfance du jeune roi fut mouvementée. La Fronde avait tenté de réduire les pouvoirs du souverain. La fuite, la peur, le bruit des épées et des canons avaient accompagné l’enfance du jeune roi. Le film de Planchon relatait avec brio la passion du roi pour la danse, le théâtre, la scène, la mise en scène. Le Roi, adolescent puis jeune homme, passait une part appréciable de son temps à danser en public. Les applaudissements, les regards posés sur lui, les divertissements, tout cela lui donnait l’occasion de briller et de mettre en scène son image très vite associée à celle du soleil. Au cours de cette période, le jeune Roi ne gouvernait pas. Il symbolisait et incarnait le pouvoir mais le pouvoir était exercé par d’autres mains, celles du cardinal Mazarin. Ce dernier faisait la politique du Royaume de France pendant que le jeune roi dansait et s’amusait.
La situation actuelle possède quelques ressemblances avec celle d’hier. Les décors ont légèrement changé. Le Roi est remplacé par un Président de la République mais ce dernier ne cesse de se mettre en scène. Le Président passe son temps à cultiver son image, à marcher au sein de prestigieux monuments, à s’exhiber lors de visites de terrain, en écartant la presse au profit de son service de communication. Le Président aime le spectacle et est devenu un Président-spectacle. Il lui faut peu de caméras. Il est impératif de contrôler l’image. Les ciseaux numériques des monteurs de l’Elysée sont redoutablement efficaces. Ainsi, des applaudissements pour les personnels médicaux paraissent des applaudissements pour le Président. La cour d’honneur des Invalides, les colonnes de la Madeleine, le parc de Versailles, les galeries du Louvre, les Champs-Elysées sont les décors des grandes productions du Président-spectacle.
Tout préoccupé par les prochaines cérémonies et ses imminentes et incessantes interventions télévisuelles, le Président ne gouverne plus vraiment. Qui a repris le rôle du cardinal Mazarin ? Miracle de notre démocratie, ce rôle est dévolu, dilué, en de multiples mains : les sociétés savantes qui plaisent, les ministres, les conseillers, les experts qui plaisent, des inconnus qui plaisent, toute une foule d’individus qui disent une chose puis son contraire. Jamais la conduite de la France n’a été si dynamique, bondissante et rebondissante. Un jour noir, un jour blanc. Un jour en avant, un jour en arrière. Le Président s’amuse et cela se voit à chacune de ses apparitions. Il semble toujours prêt à sourire, même à rire quand il parle et quel que soit le sujet. Le Président semble amusé par tout ce ramdam et peut-être par lui-même.
La production du 14 juillet 2020
D’après des rumeurs censées provenir de ses conseillers, le Président n’en ferait qu’à sa tête. Selon ces rumeurs, le Président pense au prochain 14 juillet. La fête nationale devrait être la fête de l’union sacrée, de la France unie. Les symboles devraient s’entrechoquer ce jour là pour produire le plus doux des sons aux oreilles du Président-spectacle. Tout doit être parfait. Tout doit resplendir pour une République étincelante et victorieuse et pour un Président thaumaturge. Le Président ne pense qu’à ces épisodes spectaculaires où il se met en scène, où sa fonction fait sens.
Le Président veut un beau 14 juillet 2020. On envisage de faire défiler des soignants, ces héros du quotidien. Ils seront en carré, peut-être parés de leur nouvelle blouse toute neuve, toute propre, livrée la veille du défilé. Sans doute, porteront-ils un masque de tissu griffé d’une marque à la mode. Ce sera beau. Ce sera émouvant. Le geste barrière érigé en grandeur républicaine. Le peuple applaudira à leur passage et les échos de ces applaudissements flatteront de nouveau les oreilles présidentielles. On fera peut-être défiler des jeunes hommes et des jeunes femmes dans des costumes superbes. Avec la pureté de leurs traits et de leurs regards, ils pourraient porter, à bout de bras, quelques portraits emblématiques de Français morts du Covid-19. Le drame national n’en sera que plus beau s’il est magnifié par une mise en scène spectaculaire. Cette splendeur cérémonielle sera sans doute accentuée par la présence de tous les représentants du spectre politique français. Le Président sera seul au premier rang de la tribune. Debout, devant un fauteuil de style Louis XV, il se tiendra raide comme la hampe d’un drapeau. Il toisera ceux qui défilent et donnera aux téléspectateurs l’impression qu’il plonge son regard dans les prunelles de l’Histoire. La solennité et l’émotion seront à leur comble. L’extase de vivre un moment historique inoubliable troublera chaque spectateur et chaque téléspectateur. Le Président ne contemplera-t-il que le spectre de la France ?
Le Président s’amuse, se met en scène mais il ne gouverne pas.
Les Français restent médusés par le spectacle de la cacophonie du pouvoir, de ses revirements et de ses mensonges. Ils sont réellement effrayés. Chaque Français, au fond de lui-même et de façon indicible, a peur que son portrait soit un jour porté sur les Champs-Elysées, en hommage à son sacrifice dans la guerre contre le Coronavirus. Un hommage insidieux du bourreau au condamné.
Le cardinal Mazarin décédé, le jeune roi a décidé de gouverner directement le pays. La France d’aujourd’hui n’a plus de cardinal Mazarin, ni de jeune roi en hâte d’exercer le pouvoir. Au sommet de l’Etat un vide s’est créé. Nous ignorons comment le cardinal Mazarin s’est réellement réincarné dans les arrière salles du pouvoir. Nous ignorons la longévité de cette réincarnation et sa résistance aux tourments. Le seul signe que perçoivent les Français, est ce jeune Président qui se rêve en leader magnifique et puissant, en réincarnation d’un dieu olympien, un dieu moderne, celui de la gesticulation télévisuelle, un simple homme en spectacle permanent. Guy Debord nous avait alertés sur le basculement de notre société. Nous sommes arrivés au terme de la mue, la société est définitivement un monde de l’apparence. Le Président est l’acteur d’un mauvais rêve hypnotique. Il se rend à Marseille pour en glaner des images ensoleillées. Il prend connaissance des résultats d’essais cliniques sur plus de 2 000 personnes mais il n’en retient qu’aucune étude ne valide un traitement ayant pourtant des effets. Il nous donne à voir un réel reconstruit, celui de ses experts mousquetaires ; il nous donne à lire des études douteuses, la chloroquine ne fonctionne pas ; il sélectionne les spécialistes qui abondent dans le sens du spectacle, donc du faux. Désormais, tout est caché, enfoui sous les décors et accessoires du spectacle présidentiel.
Le Président se met en scène encore et encore. Plus le temps passe, plus la salle va se vider de ses spectateurs. Bientôt, sur scène, un Président ne fera face qu’à un prompteur et autour de lui, un vide immense et glacial.
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