Le produit Macron : une première mondiale française
Dans un précédent article paru sur Agoravox - Macron Président : coup de maître de Hollande - , j’ai exploré l’hypothèse d’un stratagème en double détente ourdi par Hollande pour fabriquer le candidat qui lui permettrait d’être réélu, puis, les circonstances ayant évolué, à en faire son successeur, objectif qui semble de plus en plus acquis. Les diverses réactions me poussent à revenir sur deux points majeurs de mon raisonnement en les développant chacun en un article. En premier lieu, je voudrais souligner ce qui est bel et bien une première en marketing politique - devons-nous avoir la fierté qu’elle soit française ? Va être élu président de la République, selon toutes probabilités, un candidat, sélectionné, paramétré et mis en scène selon des procédés jusqu’ici réservés aux produits, services, marques et images institutionnelles.

Quand une première mondiale revient à la France, cela concerne la plupart du temps la sphère médicale, pour une greffe ou tel nouveau procédé thérapeutique. En marketing en revanche, nous avons longtemps été à la traîne derrière les Américains. Quelques vingt ans de retard pour le marketing produit, un peu moins pour la communication « corporate », et presque autant pour la politique. L’ex-politicien vedette Michel Noir a bien commis un ouvrage sur la question dès la fin des années soixante-dix.
Mais il aura fallu du temps pour reprendre les outils d’analyse et de promotion expérimentés avec succès aux USA.
Aujourd’hui, nous avons rattrapé notre retard grâce au talent et à l’expérience de nos mathématiciens spécialisés en statistique appliquée. Voici donc qu’en l’espace de peu d’années, qu’a été mis au point un prototype qui, au premier essai, accomplit le rêve de tout démiurge.
Macron n’aurait pu être qu’un Gagarine, il est Apollo 11 et va bientôt se poser sur la Lune.
Et Macron Vint
Si d’aventure, les admirateurs et soutiens de Macron venaient à lire ces lignes, ils seraient indignés et ne croiraient pas un mot de ce que j’avance au sujet de leur champion. Pour eux, il ne s’agit pas d’un produit, d’une personnalité virtuelle incarnée, mais bien d’un homme providentiel, qui a élaboré une pensée pertinente pour s’attaquer aux enjeux du XXIème siècle.
C’était une condition initiale, le produit ne devait pas être perçu comme tel. Il fallait que la survenue de Macron ne suscitât pas la question de sa légitimité, qu’elle n’éveillât aucun soupçon ; qu’il fût en quelque sorte normal que Macron se retrouvât dans l’arène. C’est ce qu’il ressort des articles et ouvrages, unanimes jusqu’il y a peu, qui nous le racontent.
Doté de tous les talents, possédant toutes les qualités humaines, Macron ne pouvait qu’atteindre la place qu’il occupe.
Comme jadis Malherbe, Macron vint. Mais, pourrait demander la Marquise des Collégiens, dites-moi donc, comment cela s’est-il produit ? Si l’on ne peut lui répondre que cela n’est rien, cela n’est rien, on ne saurait dire non plus que le secret du procédé réside dans un truc technologique, un tour de passe-passe résultant de traitements complexes de données.
Non, et c’est aussi pour cela que je crois à un plan orchestré au niveau de Hollande, du moins avec l’aval de Hollande.
Mise soudaine sur le marché
La mise sur le marché du produit, et je reviendrai sur sa fabrication, a délibérément été soudaine. Avant août 2014, au moment où le portefeuille de l’économie et de l’industrie lui fut confié, qui savait, hormis lobbyistes et observateurs professionnels, que Macron était secrétaire général adjoint de la Présidence ? L’astuce a consisté à mettre aussitôt en valeur le personnage, sa jeunesse, son look, son épouse, sa décontraction et ses petites phrases, tweetées plus que prononcées.
Côté cursus, khâgne, philo, Sciences Po, l’ENA, puis l’inspection des Finances, excusez du peu, ou plutôt du trop : le rejet de l’oligarchie dominée par la caste des hauts fonctionnaires n’a jamais faibli dans l’opinion. Néanmoins, l’élégant blondinet n’a aucunement souffert de son pedigree. Il semble, au contraire, que cela ait rassuré. On ne pouvait pas douter de son intelligence ni de son savoir. Et le passage chez Rothschild a renforcé son prestige. Plus que de l’inspecteur des finances, on a parlé du Macron banquier, l’homme qui a travaillé dans le privé, qui connait donc, lui, le monde des entreprises, label encore fascinant pour toute une part des électeurs.
La mise immédiate sous la forte lumière des projecteurs a ainsi permis de centrer l’attention sur un Macron ici et maintenant, pas sur le pourquoi de sa présence, pas sur la logique de sa trajectoire. Mais il me faut reprendre les choses par le début.
Comment le produit a-t-il été élaboré ?
Au départ, il fallait une matière première. C’est une étape de toute première importance qui repose sur un savoir-faire de longue haleine. A cet égard, nous n’avons rien eu à apprendre des Américains. Notre modèle d’extraction et de dégrossissage du matériau brut est le plus ancien du monde occidental puisqu’il date de la Révolution et de l’Empire avec la création des grandes écoles. Tant de choses ont été dites à ce sujet qu’il est inutile de s’y attarder. Macron, tout comme la vingtaine des nouvelles recrues des grands corps de l’Etat appartenant à sa classe d’âge, a été jaugé par ces « aiguilleurs » de la République qu’on remarque parmi les conseillers du prince et des rivaux du prince. On parle souvent d’Attali, mais il n’est pas seul. Pour Macron, il y eut d’abord Henri Hermand, vieux bailleur de fonds du PS, ami de quantités de grands patrons. Ce repérage servit surtout le jeune Emmanuel pour entrer chez les Rothschild. Et peu avant Attali, connu à la commission créée par Sarkozy, le jeune inspecteur des finances séduisit le patron de son corps, Jean-Pierre Jouyet, ami de Hollande du temps de Sciences Po et de l’ENA. Et l’ambition dévorante commune à tous ces hommes fit le reste.
Pourquoi Macron et pas un autre de ses semblables ?
Il s’est dit et se dira tant de choses contraires pour décrire la petite histoire. Je ne peux que déduire à partir du constat des faits. La nomination au poste de secrétaire général adjoint fut cruciale mais pas encore décisive. Sans ce poste de haut rang, Macron serait probablement resté chez les Rothschild avant d’obtenir une présidence de grande société. C’est le parcours le plus usuel des énarques qui ont eu la grande chance d’être pris dans l’une des grandes banques d’affaires de la place. Macron, quant à lui, a été bien inspiré de miser sur Hollande pour la présidentielle de 2012, rejoignant une poignée de super-énarques autour de Michel Sapin pour aider leur candidat sur les thématiques économiques.
A partir de là, les choses se sont enchaînées : du secrétariat général de la Présidence au ministère de l’Economie, ce fut un parcours sans faute. Caractérisé par une absence d’enracinement idéologique couplée à un ego et une estime de soi hyper dimensionnés, Macron, est apparu comme l’homme de la situation. Avec le soutien financier de patrons pour qui compte par-dessus tout mondialisation & dérèglementation ; avec tout un réseau de soutiens politiques ; avec enfin une médiasphère qui n’a pas besoin de consignes pour se faire complice d’une manœuvre dont elle mesure la probabilité de succès, le projet Macron allait être mis au œuvre très rapidement. Sois toi-même, nous nous occupons du reste, et au passage, voici ce qu’il faut dire et ce qu’il faut taire.
Macron, people politique
En avant ! Tous sur le pont pour Macron. Médiatisation très people destinée à attirer l’attention du public, petites phrases critiques, orientées au départ vers un public de gagneurs libertariens, à contre-courant du discours de la gauche classique, l’objectif initial étant de chasser sur les terres centristes et celles, lassées de Sarkozy, d’une partie de la droite.
Hormis ces postures sensées remettre en cause le côté « dépassé » du système, le clivage gauche-droite, le rôle des partis politiques, les lourdeurs sociales etc., surtout pas d’analyse critique originale ni de proposition d’alternative. Sorte d’anti-Larrouturou – qui a défendu vingt ans durant, la semaine de quatre jours et a vraiment fréquenté Rocard - Macron déroule un verbiage composé de poncifs sur une tonalité monocorde de gravité.
Et lorsqu’au terme d’une désolidarisation crescendo (et feinte) d’avec le gouvernement, il quitte celui-ci pour créer son mouvement En Marche, il ne propose rien sinon de le suivre. C’est presque du Jésus : renonce à tes préjugés, prends ton bulletin et suis-moi ! J’en ai fait l’expérience : la page d’accueil du site proposait soit d’apporter son soutien financier, soit d’adhérer et d’apporter son soutien financier. Comme contenu, le fameux clip décrypté par le Petit Journal de Canal Plus, formé exclusivement de bouts de vidéos issus de banques d’images, avec des paysages et des personnages supposés illustrer le pays mais en réalité tous, absolument tous, étrangers. J’ai poussé plus loin en prenant contact avec Les Jeunes pour Macron, leur demandant comment accéder à des textes, notes, articles, ouvrages écrits par leur champion. La réponse fut de me rendre sur le site officiel évoqué ci-dessus !
Puis vinrent les meetings. On se demande ce qui a pu motiver des gens manifestement sans repères idéologiques, de pauvres gens à la candeur pathétique, derrière un rang de « people » issus du grand patronat et de politiques au long passé qui ont flairé la bonne affaire.
Là, on a vu Macron se déchaîner, s’égosillant avec sa voix de fausset ; et toujours ce petit sourire incongru qui pourrait évoquer une sorte de délire. Mais qu’importe pour les mentors, les artisans et orchestrateurs du projet. Le candidat-produit est lancé et bien lancé. Il a suscité, parmi les leaders d’opinion, une réaction en chaîne d’approbations. Il suffit qu’un Gattaz dise « il est bien ce Macron » pour qu’un Tapie en dise autant et ainsi de suite. Et au bas de l’échelle, de louer ses costumes bien taillés, sa femme d’allure juvénile et coquette, son sourire, ses clins d’œil, son sérieux, son aisance oratoire etc.
Le cas Macron
Pour la première fois au monde, un candidat sans doctrine ni programme, jamais élu ni même candidat, sans réelle expérience de gouvernance, sans l’appui d’un authentique parti - avec appareil et sections - est sur le point d’être élu président de la république d’une grande puissance.
Certes, les circonstances lui sont très propices, effondrement de Fillon et plafond de verre-protection anti Le Pen.
Pour autant, la démarche est réellement inédite. Elle a pour moteur les ressorts du marketing portés au maximum de leur logique : inutile de chercher à convaincre avec des arguments raisonnables. Comme pour une marque de lessive, on mise sur la puissance de frappe des annonces et l’habile adéquation entre la forme du message, l’imaginaire auquel il renvoie, et la typologie du public au moment et au lieu de sa sollicitation. C’est ainsi qu’après avoir appelé de ses vœux des jeunes qui rêveraient d’être milliardaires, Macron est devenu le promoteur du travail, partie intégrante de la dignité humaine. Le porte-parole des patrons de start-up s’est mué, la main sur le cœur, en protecteur du peuple qui cite Mitterrand et De Gaulle. Il faut s’attendre à d’autres surprises d’ici au 1er tour des élections.
En conclusion, il faut retenir que la démagogie, commune à tous les candidats, a passé un cap avec ce projet Macron orchestré par la « Hollandie ». Après le président « gag-man » que fut Sarko, arrive le président « comme j’aime », sans autre discours qu’un verbiage bien récité, dans lequel peut trouver ce qu’il a envie d’entendre chacun de ceux qui n’ont pas de raison de s’opposer à lui ; le président « comme j’aime » qui n’inquiète que ses rivaux et n’agace que parmi les segments de marché qui sont hors de sa cible. De quoi entrer dans les annales mondiales du marketing. De Harvard à l’Insead, le cas Macron sera un jour thème d’étude pour les futurs « global executives » d’une planète toute bien dérèglementée et mondialisée.
100 réactions à cet article
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