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Le travail artistique, grand absent du débat sur le téléchargement

Avec Hadopi, des sanctions automatiques et dures contre les personnes accusées de télécharger des œuvres protégées sont justifiées sur la base d’un argument simple : le téléchargement entraîne un manque à gagner massif pour l’industrie et tue ainsi la création artistique. En revanche, il semblerait que la question fondamentale du rapport entre le travail fourni par les artistes et la création effective qui en résulte soit rarement posée, et en tous cas surtout pas en lien avec les revenus de l’industrie du disque ou du film. Ces fameux revenus jouent-ils vraiment un rôle majoritaire dans la création artistique, ou est-ce que cette loi rate l’essentiel ?

Sur les cinquante mille musiciens et comédiens français recensés par le ministère de la culture, la faible proportion de superstars implique que nombreux sont ceux qui vivent de leur art loin des blockbusters et de la célébrité, et donc loin des problématiques du téléchargement. Ces artistes effectuent simplement un travail quotidien, se produisant sur scène et faisant par là même œuvre de création en permanence. Cette réalité quotidienne se traduit à l’échelle européenne par une tendance lourde à la baisse des ventes d’enregistrements depuis la fin des années 90, alors que les revenus générés par le spectacle vivant se sont maintenus et ont même augmenté dans le même temps, montrant l’attachement du public à cette forme d’art.

Le spectacle vivant a de nombreux atouts, et le public ne s’y trompe pas : ni la performance du musicien ni le jeu de l’acteur ne sont réductibles à leur équivalent enregistré. Au théâtre, aux côtés de nombreux comédiens doués sans être forcément célèbres, on trouve des acteurs comme Fabrice Luchini ou Kevin Spacey, qui ont la vertu de ne pas avoir délaissé la scène et un travail quotidien, sous prétexte qu’ils avaient atteint une renommée parfois mondiale et les revenus qui l’accompagnent. Ce lien entre l’artiste et son public demeure quelque chose d’avant tout humain et vivant pour beaucoup, et si regarder un film où joue Jean Rochefort restera un plaisir, ceci est sans commune mesure avec la jubilation profonde qu’on pouvait ressentir en le voyant sur les planches.

Des exemples éloquents montrent qu’en plus de l’intérêt artistique du spectacle vivant, les revenus tirés d’un modèle de travail quotidien sont solides et ne se désagrègent pas dans la crise. Peu de villes le montrent aussi bien que la Nouvelle-Orléans, où des monstres sacrés du jazz comme de nombreux groupes locaux se produisent à longueur de temps. Ses concerts et son art de vivre musical sont le patrimoine et l’étendard de cette cité, qui a pourtant subi en quelques années un ouragan majeur et n’a pas échappé non plus à la crise économique mondiale. Jouant devant quelques dizaines ou centaines de personnes, vendant leurs albums directement lors des concerts, les jazzmen de la Big Easy sont les exemples vivants qu’il est possible de créer un art de qualité et d’en vivre des dizaines d’années durant, malgré des conditions économiques locales d’une grande difficulté.

Il faut donc arrêter de prétendre croire que la vente massive d’enregistrement est la seule voie de salut pour la création. Des artistes qui exercent leur art quotidiennement dans toutes sortes d’environnements économiques, comme tout un chacun exerce son métier, nous montrent que la création peut très bien survivre grâce à un modèle plus subtil qui intègre également une part significative de performance artistique.

En poussant le raisonnement plus loin, on s’aperçoit que la diffusion gratuite et organique d’œuvres contribue aussi à l’émergence de nouveaux artistes, et au renforcement des revenus liés au spectacle vivant. Les exemples abondent d’ailleurs de musiciens pour lesquels la mise en ligne gratuite de morceaux sur un site communautaire bien connu aura été essentiel à leur succès ultérieur. L’accès gratuit à des enregistrements, que ce soit par streaming ou téléchargement, loin d’être le fossoyeur de la création, n’est donc que le fossoyeur d’une forme d’art ayant pour modèle de revenu ce qui s’apparenterait plutôt à une rente qu’à un travail quotidien.

Au lieu de réprimer la diffusion gratuite, peut-être vaudrait-il mieux remettre à l’honneur le travail des dizaine de milliers d’artistes qui produisent des performances vivantes et assurent une grande partie de la création originale. Si travail artistique et création étaient véritablement soutenus par une politique de la performance artistique, qui utilise les extraordinaires moyens électroniques de diffusion de la culture au lieu de les réprimer, le public pourrait faire l’économie de lois liberticides et bénéficier à la place d’une offre culturelle à la fois plus accessible et plus vivante, génératrice de revenus pour les artistes, et fertile pour la création artistique.
 

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5 réactions à cet article    


  • Deneb Deneb 16 septembre 2009 12:25

    Economie pour le matériel et le travail, l’anti-économie pour l’immatériel, voilà ma vision de l’avenir. Mais cela nécessitera une révolution mondiale. Elle est justement en train de s’accomplir. La crise économique, la cause et la conséquence de cette révolution va se poursuivre jusqu’à ce nouvel équilibre.

    Quelle est cette anti-économie qui régira l’immatériel dans l’avenir ? Ce sera logiquement la valorisation du partage de Savoir. La grande erreur que commettent les économistes est de parler de "l’économie du savoir« , »la propriété intellectuelle" et d’autres oxymores manifestes. Le Savoir ne doit logiquement pas être économisé, mais partagé. L’économie du Savoir signifie en fait la valorisation du secret. Alors que le Réseau rend le monde de plus en plus transparent, cette valorisation du secret est forcément condamnée. Les voix se lèvent en ce moment pour la défendre, comme Guaino et Coppé qui fustigent la transparence, Guaino allant jusqu’à associer l transparence à une dictature. Pourtant le citoyen ordinaire est transparent, avec ses inscriptions dans différents fichiers publics ou privés. Chacun de nous possède en effet une carte bancaire, un téléphone, une carte d’identité.... Puisque le citoyen est déjà transparent, de quelle transparence parle Guaine ? De celle de l’Etat, évidemment. Guaino est donc en train d’essayer de nous convaincre que la transparence de l’appareil de l’Etat conduirait à une dictature ? Son discours est la preuve que la politique de l’économie de l’immatériel est très clairement une manipulation.

    Le problème avec l’économie de l’immatériel est la notion de propriété. Qui possède donc un poème, celui qui l’a dans un livre à dorures ou celui qui le connait par coeur ? Dans l’immatériel, la propriété n’a pas de sens, puisque le seul moyen de le valoriser est de le partager.

    Un artiste, ce n’est pas un métier. C’est un don. Je suis intimement persuadé que chacun de nous le possède, mais certains arrivent à le valoriser mieux que d’autres. Son travail, sa performance, sa prestation sont valorisés par l’echo qu’ils suscitent auprès du public.Plus il y a de l’echo, plus l’artiste gagne en notoriété. Et la notoriété est monnayable - on ne va jamais me faire croire qu’une personne que des millions admirent puisse un jour mourir de faim ou de froid. Comment s’y prendre pour transformer sa notoriété en bien matériel ? Comme un artiste, avec imagination et élégance. Au dernier recours il peut toujours vendre de l’espace publicitaire, ce qui n’est certes pas un moyen très élégant, mais à défaut d’imagination....

    Dans le monde où le rayon d’action de l’économie sera limité au monde  matériel et à la rémunération du travail sur commande, tandis que l’immatériel sera régi par l’anti-économie du partage du Savoir, les artistes seront les maitres du monde.


    • TSS 16 septembre 2009 13:29


      la loi protège les « majors »et leurs actionnaires mais celles ci pourront continuer à etrangler les

      artistes sans problèmes... !!


      • PhilVite PhilVite 16 septembre 2009 15:04

        Je crois qu’il est maintenant clair pour tout le monde que les tenants de l’ancien modèle se moquent comme d’une guigne des artistes, de la création artistique et de la culture en générale.
        Leur seul souci est de maintenir leur rente et pour ce faire d’utiliser le peu de poids qui leur reste pour tordre les lois à leur avantage, quitte à saboter l’émergence d’un nouveau modèle (qui se satisfera fort bien de leur disparition pure et simple) et à sacrifier nos libertés fondamentales.

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