Le travail artistique, grand absent du débat sur le téléchargement
Avec Hadopi, des sanctions automatiques et dures contre les personnes accusées de télécharger des œuvres protégées sont justifiées sur la base d’un argument simple : le téléchargement entraîne un manque à gagner massif pour l’industrie et tue ainsi la création artistique. En revanche, il semblerait que la question fondamentale du rapport entre le travail fourni par les artistes et la création effective qui en résulte soit rarement posée, et en tous cas surtout pas en lien avec les revenus de l’industrie du disque ou du film. Ces fameux revenus jouent-ils vraiment un rôle majoritaire dans la création artistique, ou est-ce que cette loi rate l’essentiel ?
Le spectacle vivant a de nombreux atouts, et le public ne s’y trompe pas : ni la performance du musicien ni le jeu de l’acteur ne sont réductibles à leur équivalent enregistré. Au théâtre, aux côtés de nombreux comédiens doués sans être forcément célèbres, on trouve des acteurs comme Fabrice Luchini ou Kevin Spacey, qui ont la vertu de ne pas avoir délaissé la scène et un travail quotidien, sous prétexte qu’ils avaient atteint une renommée parfois mondiale et les revenus qui l’accompagnent. Ce lien entre l’artiste et son public demeure quelque chose d’avant tout humain et vivant pour beaucoup, et si regarder un film où joue Jean Rochefort restera un plaisir, ceci est sans commune mesure avec la jubilation profonde qu’on pouvait ressentir en le voyant sur les planches.
Des exemples éloquents montrent qu’en plus de l’intérêt artistique du spectacle vivant, les revenus tirés d’un modèle de travail quotidien sont solides et ne se désagrègent pas dans la crise. Peu de villes le montrent aussi bien que la Nouvelle-Orléans, où des monstres sacrés du jazz comme de nombreux groupes locaux se produisent à longueur de temps. Ses concerts et son art de vivre musical sont le patrimoine et l’étendard de cette cité, qui a pourtant subi en quelques années un ouragan majeur et n’a pas échappé non plus à la crise économique mondiale. Jouant devant quelques dizaines ou centaines de personnes, vendant leurs albums directement lors des concerts, les jazzmen de la Big Easy sont les exemples vivants qu’il est possible de créer un art de qualité et d’en vivre des dizaines d’années durant, malgré des conditions économiques locales d’une grande difficulté.
Il faut donc arrêter de prétendre croire que la vente massive d’enregistrement est la seule voie de salut pour la création. Des artistes qui exercent leur art quotidiennement dans toutes sortes d’environnements économiques, comme tout un chacun exerce son métier, nous montrent que la création peut très bien survivre grâce à un modèle plus subtil qui intègre également une part significative de performance artistique.
En poussant le raisonnement plus loin, on s’aperçoit que la diffusion gratuite et organique d’œuvres contribue aussi à l’émergence de nouveaux artistes, et au renforcement des revenus liés au spectacle vivant. Les exemples abondent d’ailleurs de musiciens pour lesquels la mise en ligne gratuite de morceaux sur un site communautaire bien connu aura été essentiel à leur succès ultérieur. L’accès gratuit à des enregistrements, que ce soit par streaming ou téléchargement, loin d’être le fossoyeur de la création, n’est donc que le fossoyeur d’une forme d’art ayant pour modèle de revenu ce qui s’apparenterait plutôt à une rente qu’à un travail quotidien.
Au lieu de réprimer la diffusion gratuite, peut-être vaudrait-il mieux remettre à l’honneur le travail des dizaine de milliers d’artistes qui produisent des performances vivantes et assurent une grande partie de la création originale. Si travail artistique et création étaient véritablement soutenus par une politique de la performance artistique, qui utilise les extraordinaires moyens électroniques de diffusion de la culture au lieu de les réprimer, le public pourrait faire l’économie de lois liberticides et bénéficier à la place d’une offre culturelle à la fois plus accessible et plus vivante, génératrice de revenus pour les artistes, et fertile pour la création artistique.
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