Législatives 2007 : pouvoir du signe ? Signe du pouvoir ?
Les slogans et les affiches du premier tour de la campagne incarnent les espoirs et les peurs des Français, tout autant que les postures et les promesses des « marques-candidats ». Entre jargon publicitaire et brèves de comptoir, j’ai « benchmarké » mon coin de neuf-cube (Saint-Ouen, Île-Saint-Denis, Epinay-sur-Seine et Saint-Denis Sud).
11 hommes et 6 femmes participent au casting local - l’un des records de France - avec l’espoir d’intégrer le grand loft national. Chaque appel pourrait rapporter 1,66 €. Tous les partis sont représentés, deux tendances fortes émergent : les holistiques et les identitaires.
Les identitaires ou comment le client-citoyen peut être considéré comme un égaré devant se fier tantôt aux logos, tantôt aux mots (à défaut des ronds de couleurs sous ses Kickers, rouge pour bâbord, vert pour tribord...) pour prendre position sur le marché électoral.
Bruno Leroux - La gauche qui agit, la gauche qui protège
Est-ce parce qu’il est le sortant que son visage est le plus grand de toutes les affiches de la campagne ? Dommage que l’impact visuel soit atténué par la densité des textes juxtaposés mais aussi par la confusion des slogans . Trois claims pour un seul candidat font perdre en clarté et surtout en puissance
Le leader a un positionnement autocentré (la gauche). Une façon de capitaliser sur son étiquette qui a fait 65 % aux présidentielles sur ce marché. Toutefois, est-ce suffisamment différenciant par rapport à ses concurrents qui se revendiquent du même bord ?
Hayat Dhalfa - Reconstruire et rassembler à gauche
Une candidate venue de MARS, mais avec une suppléante graphiquement mise au même niveau que la titulaire. Façon Scrabble, madame le maire de Saint-Ouen compte double. Ce slogan a le goût de l’oxymore : rassembler, oui, mais d’un seul côté !
No logo, à aucun moment le mot « communiste » n’est cité et pourtant chaque voix enregistrée ira bien dans les caisses du PCF.
Ces visages de trois-quarts, doux et féminins, semblent ne regarder que vous. Lignes rondes, typo graphique, verbes actifs, c’est indiscutablement l’affiche la plus singulière au service des idées les plus collectivistes pour les uns, les plus usées pour les autres. Etre là où l’on ne vous attend pas, n’est-ce pas un bel exemple de disruption ? Ou tout simplement de candidature Canada Dry ? ça ressemble à, mais... Comme quoi on peut-être antilibéral et mettre à profit les méthodes de com’ les plus capitalistes !
La seule affiche sans slogan... mais sans doute celle qui a la médaille de la déclinaison de la charte graphique et du logo le plus gros. S’agit-il avant tout de gagner des voix pour renflouer les caisses du parti ?
En tout cas, le suppléant semble mis en avant pour y contribuer !
Nathalie Olivier - Nos vies valent plus que leurs profits
Logo LCR, reprise du slogan des présidentielles, photo de Besancenot aussi grande que celle de la candidate à la députation... Le logo en sigle permet là encore de ne pas citer le mot « communiste », un peu comme Crédit lyonnais avec LCL. Ces deux sigles ne partagent-ils d’ailleurs pas un passé qu’ils aimeraient faire oublier ?
Même si le combat sans nuance contre le libéralisme n’est pas ma tasse de thé, cette signature est réussie. Relationnelle grâce au balancement du « nous / vous », musicale avec son rythme en huit syllabes et surtout humaine (« vies »), ce qui n’est pas le cas des autres candidats, hormis celui qui cite le « cœur » en fin d’article.
Monique Teyssère - Votez pour un programme de défense des travailleurs
En fait, je suis mauvaise langue : Monique a fait graphiste commun avec Patrick et Nathalie, histoire d’avoir un prix et du coup une identité de groupe.
Heureusement, la densité des mots est là pour incarner la singularité que les signes graphiques ne sont plus capables de produire. Prix spécial du volume de texte... Ce n’est plus une affiche de campagne, c’est un publi-rédactionnel.
Mauvais point au rédac’ : son slogan n’encapsule pas un projet, une vision, c’est un ordre ("votez") qui se contente de nommer la cible (les travailleurs).
Patrick Pédrot - Rupture avec l’union européenne
Noir et blanc, petites photos carrées, fond jaune pâle... Me-too product d’une affiche de Lutte ouvrière ? Ou bien José Bové se présenterait-il sous un pseudo, histoire de défendre la ruralité et l’urbanité ?
Décidemment, dans la 1e circonscription la gauche de la gauche a du mal à faire porte-monnaie commun. Karl, intègre d’urgence Second Life, ils sont devenus fous.
Patrick Rivallain - La France et les Français d’abord
Euromondialisme... Si quelqu’un peut m’éclairer, je ne suis pas sûre d’avoir bien compris ce que c’est.
Même positionnement que Lutte ouvrière : la défense d’une marque de niche, sur un ton anxiogène. Seules les couleurs nous rappellent que nous avons viré à tribord toute.
Marque veut dire marquer. On ne naît pas marque, on le devient quand les publics-cibles vous ont reconnu : par la différence ? la singularité ? Par l’unité ?
2) Les holistiques. Le citoyen est interpellé sur un projet dépassant les clivages gauche-droite, il n’est plus spectateur de promesses, mais acteur invité à contribuer aux bénéfices de la cité.
Janine Maurice-Bellay - De l’audace à l’Assemblée nationale
Du violet, du orange... de l’audace dans les mots, dans les couleurs et dans les signes avec cet astucieux clin d’œil façon crépis-béton en arrière-plan. La banlieue n’est-ce pas tout ça à la fois ?
No logo, mais qui est cette Janine ? Heureusement, le café du matin m’a éclairée : c’est une dissidente du PS, fâchée de ne pas avoir eu la circonscription promise sur d’autres terres de l’outre-Paname. Ceux qui l’ont croisée au marché ou en mission commando porte à porte disent que Janine est bosseuse, fair play, avec des projets. Ce ne serait donc pas un territoire qu’elle entend défendre à l’Assemblée, mais la diversité... de pensée.
Claire O’Petit - Un député qui vous ressemble, un député qui vous rassemble
Oui, il y a de l’identitaire quand il y a du logo, et de la charte graphique orange déclinée. Mais ici on parle de vrai rassemblement, celui qui consiste à aller chercher sur les terres de tous les autres, y compris les déçus de l’identitaire. D’ailleurs, les signes sont là pour le prouver : pas de cravate comme à la gauche de la gauche, volonté de capitaliser sur un suppléant issu d’une autre ville à la mode verte, note classique avec une allitération en « s ».
L’accroche chante mais manque d’originalité : elle utilise une expression très générale et non clivante qui du coup perd en force. Bref, l’archétype du slogan du centre.
Brigitte Espinasse - Agir ensemble
Là encore, on retrouve logo et code couleurs, mais la promesse porte un état d’esprit, une vision holistique : un verbe d’action et un mot valise... Histoire d’emballer tout le monde. Seule la photo n’invite pas à l’emballement. Ce n’est pas une question de physique, mais d’attitude. D’ailleurs les enfants à la sortie de l’école ont demandé « pourquoi la dame fait la tête sur le panneau ».
William Delannoy - L’Assemblée nationale au cœur des banlieues
Pas de veste, des couleurs gaies mais un immeuble en fond, un sourire Ultra Brite. La synthèse d’un cassage de code dans la douceur. No logo, mais qui incarne-t-il ?
Sans doute le poids des mots et du culot, pour prétendre mettre l’Assemblée au cœur des banlieues. Un produit local qui invite à agir global, la synthèse de la marque relationnelle et aspirationnelle. Dommage que son parti ne l’ait pas investi et qu’il s’invite en dissident à droite à ce que l’on dit sur son web.
Rendons un ultime hommage à ces slogans qui dans quelques heures seront oubliés ou entreront dans l’Histoire. Et, à travers eux, aux candidats, conseillers, militants qui les ont produits et vendus avec plus ou moins de bonheur et de moyens, pas toujours équitables.
Réjouissons-nous : il y a concurrence, contre-pouvoir, communication et donc pas propagande.
Webographie
Le Dialector, de l’agence de communication Wunderman
emarketing.fr propose un glossaire des termes du marketing et du business
Sarko, marque totale, Jean-Christophe Galien, lemonde.fr
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