Les 100 jours de Sarkozy vus par la presse française
Nicolas Sarkozy fait tout pour plaire. Il démontre une obsession de
l’ubiquité. Il semble éprouver un intérêt pour les faits divers. Un grand
intérêt même. La question toutefois reste importante : le peuple attend-t-il de
son président qu’il soit présent dans tous les faits divers de l’actualité
française et, s’il en était capable, de l’actualité européenne ?
Comme l’indique Ghislaine Ottenheimer (Challenges), le président
reçoit les dirigeants syndicaux, cajole les chefs de l’opposition, consulte les
représentants des associations, visite des usines, inspecte des écoles,
inaugure des tramways, reçoit les parents des victimes. Il bouge tout le temps.
S’exprime sur tout. On dirait qu’il n’y a pas un Nicolas Sarkozy, mais cinq,
dix... Les Français sont médusés. A force d’injonctions verbales, de gestes
symboliques, de transgressions politiques, Nicolas Sarkozy a su capter leur
attention et leur suggérer, que voilà, ça y est, la France était en train de
changer, qu’elle allait bientôt aller mieux, qu’elle avait à nouveau un avenir.
Il ouvre une plage de son horaire au père et au grand-père d’Enis, ce
petit garçon kidnappé par un pédophile récidiviste. Le président s’est
pourfendu, à cette occasion, dans une déclaration qui a laissé plus d’un pantois.
Dans la même semaine, il se rend dans le Finistère aux obsèques du
marin-pêcheur, Bernard Jobard, décédé par suite d’une collision de son bateau
avec un cargo battant pavillon des îles Kiribati. M. Sarkozy a également
rencontré la famille du journaliste franco-canadien, Guy-André Kieffer, disparu
en Côte-d’Ivoire en 2004 et que la famille n’hésite pas à qualifier d’affaire
d’État.
Chouaib Lusikama, victime de propos racistes de la part de son
professeur de mathématiques, vient d’être reçu par le président. Pendant des
mois, Chouaib Lusikama a subi jour après jour des remarques racistes de la part
de son professeur de mathématiques. Il se voyait ainsi traité devant toute la
classe de « Bamboula » et autres sobriquets. L’enseignant a été condamné à un
mois de prison avec sursis par le tribunal d’Épinal. Nicolas Sarkozy aurait
expliqué au père et à Chouaib qu’il est président de tous les Français et de la
République et que ces propos ou discriminations ne doivent jamais exister dans
la République.
Patrick Vieira, capitaine de l’équipe de France de football, a également
eu le privilège d’être reçu à l’Élysée. Il compte sur le soutien de Nicolas
Sarkozy pour développer un projet éducatif en Afrique. Patrick Vieira était
accompagné de deux ex-footballeurs, Bernard Lama (ancien gardien de but
notamment du Paris-SG) et Jimmy Adjovi Boco, Franco-Béninois et ancien
défenseur de Lens. Le capitaine de l’équipe de France a affirmé que la France
apporterait « un soutien financier » au projet. De quel ordre ? « On n’en est
pas encore là », a-t-il répondu.
Vendredi, M. Sarkozy se rend au Pays basque et à Arcachon (Gironde) pour
un déplacement sur les thèmes de la lutte antiterroriste, de la pêche et du
tourisme. Et « l’hyperprésident » a bien intention de poursuivre au même rythme
la semaine prochaine et les suivantes. « Je confirme que la rentrée sera
animée, et au-delà des 100 prochains jours », a déclaré le porte-parole de
l’Élysée, David Martinon.
Comme le rapportent Les Échos, en Europe, les faits et gestes du
président français ne passent pas inaperçus. « Sarkozy va obliger les
pédophiles à choisir : la castration ou la prison à vie », titre le
quotidien espagnol El Mundo (droite) après l’annonce des mesures sur le
suivi des délinquants sexuels. Un peu plus nuancé, El Pais (gauche) retient
que l’objectif de Nicolas Sarkozy est « d’isoler » les pédophiles et de
durcir les peines pour les récidivistes. L’Italie aussi suit ce débat. Le Corriere della Sera donne la parole à l’ancien ministre des Réformes
institutionnelles, Roberto Calderoli. Ce dirigeant de la Ligue du Nord (extrême
droite) « jubile » devant la réponse « sérieuse et concrète » de
Nicolas Sarkozy et rappelle qu’il fut attaqué « comme un criminel »
lorsqu’il avait proposé, il y a trois ans, « la castration chimique »
pour les pédophiles.
Il Sole 24 Ore préfère, selon Les Échos, approfondir un autre sujet qui a tenu en haleine
les gazettes cet été. Il dresse le portrait très complet de « l’ami italien
» de Nicolas Sarkozy, ou plutôt de « l’ami italo-américain » du
président français. Car, précise le journal, Roberto Agostinelli, qui vient
d’accueillir la famille Sarkozy dans une propriété de rêve du New Hampshire,
louée 44 000 dollars, est à cheval entre les deux pays. Né à New York, il
cultive dans la péninsule de très nombreux liens d’amitié et a noué des
relations d’affaires de très haut niveau. Après une carrière « pas toujours
idyllique » dans des banques comme Goldman Sachs et Lazard, il se présente
aujourd’hui « comme le super-banquier d’affaires » et a créé son propre
fonds de « private equity », Rhone Capital. Républicain affiché, il
soutient dans la course à la Maison-Blanche Rudolph Giuliani. Si l’ancien maire
républicain de New York devient président des États-Unis, conclut Il Sole, «
il espère pouvoir établir un fil direct entre l’Élysée et la Maison-Blanche ».
Ghislaine Ottenheimer (Challenges), constate que
la « France est sous hypnose ». Avec 65 % d’opinion favorables dans le
sondage LH2 paru le 22 août dans Libération, Nicolas Sarkozy résiste à tout. Au
temps, au style, aux polémiques, aux attaques. Rien n’y fait. Ni les
indignations sur le comportement de son épouse ni les interrogations sur les
contrats d’armement en Libye ni les critiques sur ses vacances payées par des amis
milliardaires ni l’annonce d’une franchise médicale ni la croissance menacée
ni les nuages qui pointent à l’horizon sur fond de crise financière : rien n’a
entamé la bonne opinion qu’ont les Français de leur nouveau président.
Ghislaine Ottenheimer avance deux
explications à cette situation. La première explication est politicienne : en
pratiquant l’ouverture, Nicolas Sarkozy obtient un relativement bon score chez
les sympathisants de gauche. Ils sont 43 % à lui faire confiance ! La deuxième
est plus psychologique. Les Français ont le sentiment qu’il y a enfin un pilote
dans l’avion. Le nouveau président de la République se donne bien du mal pour
obtenir des résultats. Il légifère, réagit, bouscule. Il n’hésite même pas à
s’attribuer certaines réussites : mini-Traité européen et la libération des
infirmières bulgares.
Marcel Gauchet, philosophe, est présenté, par L’Express, comme un des
analystes les plus pertinents de la vie politique. Le philosophe constate que
la fonction classique d’analyse, de mise en forme des différentes options du
débat disparaît. Les hommes politiques dépendent de plus en plus des médias,
puisqu’ils n’ont que ce relais pour s’adresser aux populations, à la suite de
l’effondrement des partis. Par conséquent, ils se sont calqués sur les mœurs
des médias, dont ils ont désormais une science exacte. Du coup, les médias ne
peuvent qu’accompagner des candidats aussi parfaits dans leurs opérations de
marketing. Et la boucle est bouclée.
La France populaire ne peut se contenter de sourire à ces pirouettes
médiatiques. Des questions plus graves l’attendent. Certains indicateurs
économiques fléchissent : croissance molle, commerce extérieur déficitaire. Des
économistes s’impatientent : il est nécessaire de mener des réformes
structurelles, avant de prendre des mesures pour améliorer le pouvoir d’achat,
comme le fait M. Sarkozy. Les Français et Françaises ont-ils bien perçu le
message du Premier ministre qui a indiqué que des « réformes structurelles
» pour « améliorer la compétitivité » de l’économie française seraient
amorcées à la rentrée ? Il annonce par exemple une réforme radicale du crédit
d’impôt recherche pour que 100 % des dépenses de recherche soient prises
en compte, mesure qui s’ajoute à quelques autres : franchises de santé, fusion
ANPE-Unedic, réforme des retraites, autant de chantiers « désormais en phase
active », selon le chef du gouvernement. Il est compréhensible que le président
veuille éviter une rentrée sociale chaude. Les mauvaises nouvelles économiques
sont un motif suffisant pour qu’un débat sur les orientations du gouvernement
Fillion soit tenu à l’Assemblée nationale et que le peuple soit consulté. Les
observateurs politiques surveilleront très certainement de près les mesures qui
seront proposées par la commission Attali sur les freins à la croissance en
France. En général, les commissions à caractère économique proposent souvent
des mesures qui prennent l’allure d’électrochocs heurtant de plein fouet le
peuple.
D’autre part, la confirmation par le ministre de l’Éducation nationale,
Xavier Darcos, que quelque 11 200 fonctionnaires de l’Éducation nationale
partant à la retraite ne seront pas remplacés, en 2008, (le chiffre de 11 200
suppressions de postes se répartit entre le public, 9 800, et le privé,1 400), provoque déjà l’émoi des syndicats. « La suppression d’emplois
dans la fonction publique sans qu’il y ait de débat sur les objectifs, les missions
de la fonction publique, ne me semble pas la bonne méthode », a déclaré le
secrétaire général de la CFDT. « Personne ne peut raisonnablement défendre
qu’une telle ponction ne peut être sans conséquence sur l’offre de formation
», indique le SNES.
Une telle réduction des ressources pédagogiques aura-t-elle un impact
sur l’enseignement ? Un rapport du Haut conseil de l’Education (HCE) montrerait
qu’environ 15 % des élèves du primaire ont de grandes difficultés dans
l’apprentissage des fondamentaux, dont la lecture. Créé par la loi Fillon sur
l’Ecole, le HCE, composé de neuf membres de toutes tendances, rend des avis et
un rapport annuel. « La vérité, c’est que pour 60 % des élèves, ça se passe
très bien, pour 15 % très mal et, entre les deux, il en reste 25 %, une
population intermédiaire qui n’est pas en situation de faire des études au
collège dans de bonnes conditions », a expliqué une source anonyme à l’AFP.
Qui débattra de ces questions sinon les parlementaires ? La population jugera
peut-être un jour que ces problématiques nationales ne sont plus des faits
divers.
Nicolas Sarkozy souffle le chaud et le froid. Il rassure et inquiète.
Depuis son élection, les sondages montrent une forte progression de l’optimisme
chez les chefs d’entreprises, un regain d’espoir chez les salariés, surtout
chez les jeunes, mais aussi une forte inquiétude. L’Union syndicale des
magistrats (USM) est sans appel. Le syndicat n’apprécie pas les mesures
annoncées par le président de la République. « Comme à chaque fois, on
légifère sous le coup de l’émotion et on fait de mauvaises lois », a ainsi
déclaré son porte-parole, avant d’ajouter : « Il n’y a rien de nouveau dans
les mesures qui sont annoncées. Soit on re-réforme des choses qui ont
été modifiées au cours des deux dernières années, soit on réinvente des choses
qui existent déjà ».
La majorité présidentielle à l’Assemblée nationale ne semble pas
inquiète et ne voit aucune dérive dans les récentes déclarations du président
Sarkozy. Au contraire. « Le président de la République a réaffirmé, comme il
le fait depuis septembre 2005 et sans avoir peur des mots, qu’un délinquant
sexuel ne doit sortir de prison sans avoir été soigné, qu’il le veuille ou non
», ont ainsi souligné les porte-parole de l’UMP, Nadine Morano et Yves Jego.
Sauf que ces porte-paroles n’indiquent pas à quel moment le délinquant sexuel
doit être traité : pendant son séjour en prison ou au moment de sa libération.
L’ancien ministre de la Justice, Pascal Clément, est plus sceptique : « La
question posée par la proposition du président, c’est de savoir si l’on peut
distinguer le criminel sexuel des autres », a expliqué Pascal Clément. Et
de conclure : « Je souhaite bien du courage à la Chancellerie pour la mise
en place juridique des solutions. Ce n’est pas fait ! »
Patrick Devedjian déclarait, dans une entrevue au Figaro, que le style et
l’action de Nicolas Sarkozy contribuent beaucoup, c’est vrai, à moderniser nos
institutions et à les rendre plus simples et plus transparentes. « Il fait
descendre l’État de son piédestal et le rapproche des préoccupations des
citoyens ». C’est la fin d’une exception française, qui était d’ailleurs
une hypocrisie, selon laquelle le président élu ne gouvernerait pas. Le porteur
de la légitimité est celui qui décide. Selon M. Devedjian, le président a
le droit d’avoir des amis qui l’invitent, et même des amis riches.
A ce rythme, il est possible qu’un jour, fatigué de telles extravagances
et des galipettes quotidiennes, le peuple invite le président à descendre de
son piedestal et à rendre compte de sa gestion. Plus brutalement et plus
rapidement que M. Devedjian ne le croit. « On ne gouverne pas dans
l’impopularité, mais on n’exerce pas le pouvoir pour se faire aimer »,
soulignait un parlementaire de la majorité présidentielle, cité par un quotidien.
Il faut voir, sur une échelle restreinte, comment réagissent les
lecteurs du quotidien Le Monde sur les 100 jours de Nicolas Sarkozy.
On peut y lire quelques vérités intéressantes dont celle-ci : « Trop de
“show” à l’américaine pour chaque mouvement de ce président. Plus de modestie
siérait aux finances de l’Etat ! »
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