Les américanistes sont les pires amis des Américains (2e partie)
L’aspiration universaliste des idéaux américains étant bien connue, il est donc essentiel au pouvoir américaniste de régulièrement organiser un show « internationaliste », susceptible de convaincre l’Américain moyen que, malgré les apparences (rejet croissant des Etats-Unis dans le monde entier), l’attractivité internationale de l’américanisme est en fait intacte.
L’intox du show washingtonien de Sarkozy et la petite clique américaniste parisienne
Et nous voici ainsi arrivé aux véritables raisons du show américaniste de Nicolas Sarkozy à Washington. Car, contrairement à ce que le président français et ses clients américanistes voudraient bien faire croire (à l’opinion publique américaine en particulier) : la France et les Français ne sont pas désespérés de la brouille entre Paris et Washington suite à l’invasion de l’Irak ; au contraire, l’attitude de Jacques Chirac en la matière est même la seule chose positive que la plupart des Français lui reconnaissent pour ses 12 années de pouvoir.
Et ce pour une bonne raison, suite à l’enlisement de leur pays en Irak, la grande majorité des Américains se sont rendus compte que les positions française et allemande lors de l’invasion de l’Irak étaient en fait raisonnables et clairvoyantes. La cote de la France aux Etats-Unis est revenue au plus haut depuis au moins deux ans. Les « Freedom Fries » ont disparu depuis 2005 pour redevenir classiquement des « French Fries ».
Le show américain de Nicolas Sarkozy représente donc une double manipulation :
- faire croire à tort aux Américains que les Français veulent à tout prix renouer avec Washington, afin de maintenir la fiction du succès de la politique américaniste de G. W. Bush (bien écornée en Europe avec les éliminations successives de ses poulains précédents Blair, Berlusconi, Aznar ou Kaczynscki) ;
- faire croire à
tort aux Français que Nicolas Sarkozy est celui qui restaure
l’image de la France aux Etats-Unis.
Et derrière ces manipulations se cachent deux projets bien précis :
- essayer d’affaiblir le plus possible les résistances françaises (opinion publique, armée, diplomatie...) au retour dans l’Otan programmé par les américanistes. Un tel retour, annoncé au printemps 2008, constituerait en effet un formidable coup de pouce en terme de politique étrangère pour le candidat républicain à la Maison-Blanche ;
- rétablir les
meilleures conditions possibles pour que les milieux financiers des
deux pays puissent allègrement continuer leurs affaires, au
détriment des intérêts des peuples français,
européen et américain.
A propos de ce dernier
point, il est temps d’éclairer la nature de la petite clique
américaniste qui, depuis une dizaine d’années, a
littéralement pris le contrôle des élites
parisiennes. La centralisation du pouvoir français, concentré
sur quelques centaines de personnes, vivant dans 5 ou 6
arrondissements du centre de Paris, rend une telle opération
très aisée. On a vu, avec la fusion Euronext-NYSE
comment cette petite coterie financière a pu brader
l’intérêt européen pour quelques millions de
dollars de plus. On constate avec Alcatel-Lucent combien ces petits
bénéfices de dirigeants se traduisent par des erreurs
stratégiques majeurs. De manière plus durable et plus
insidieuse, on en voit un exemple patent avec Sciences-Po (que je
connais bien pour en être diplômé) qui en une
décennie s’est détournée de sa vocation à
être l’une des écoles formant les futures élites
européennes pour devenir une sorte de fac américaine de
seconde zone, ne devant plus sa réputation internationale qu’à
son prestige passé et à la qualité des magasins
et des restaurants du quartier et concentrant tout ce qui a conduit
l’enseignement supérieur américain à la faillite
pédagogique actuelle : développement du politiquement
correct au sein de l’établissement (débats
« politiques » avec les étudiants via
des questions filtrées à l’avance), américanisation
à outrance des enseignements (y compris des références
pédagogiques), financement des enseignements par des
entreprises privées, marginalisation des recherches et
enseignements sur l’Europe, opérations de communication
amalgamant charité et ouverture sociale...
D’ailleurs le monde académique français est au premier rang de cet américanisme militant, comme si, étant arrivés très tard à l’américanisme, ils devaient en rajouter pour convaincre. Entretenu par les petits cadeaux qui assurent la docilité (cours bien rémunérés aux Etats-Unis, visites d’études, accélération de carrière...), le dernier carré de ceux qui croient encore qu’un diplôme américain est supérieur à un diplôme européen en rajoute sur le thème de la supériorité des Etats-Unis (en dépit bien entendu de l’avalanche de nouvelles qui contredit chaque jour un peu plus cette croyance et dont la valeur du dollar est le baromètre synthétique). Mais, bon, c’est un défaut bien connu des élites françaises. Elles ont toujours une guerre ou une idéologie de retard : en 1939, elles préparaient 1914 ; la France possède le dernier Parti communiste d’Europe occidentale ; et, donc, au moment, où du Royaume-Uni aux Pays-Bas en passant par l’Italie, les « américanophiles historiques » s’éloignent de Washington, les élites françaises s’y précipitent.
Refonder la relation transatlantique en passant par les réseaux citoyens aux Etats-Unis et dans l’Union européenne
Si ce n’était in fine dommageable aux intérêts des peuples américain et européen (français inclus bien entendu), tout cela serait risible. Car face aux tendances lourdes en cours, les efforts de ces réseaux américanistes ne font pas le poids ; et les élites américanistes françaises seront certainement les dernières à avoir de l’influence. Cependant, à un moment où tant d’enjeux essentiels se combinent (dangers pesant sur la démocratie dans l’UE comme aux Etats-Unis, conflit israélo-palestinien, confrontation avec l’Iran, réchauffement planétaire, crise systémique globale...), s’il n’y a pas une forte vigilance des citoyens pour éviter de se faire abuser par une propagande omniprésente, nous Européens, nous Français, pouvons laisser passer le mauvais message aux citoyens américains, un an avant les prochaines élections américaines. Il nous faut pourtant être clair : nous, Européens, considérons les relations entre nos deux continents comme essentielles à la stabilité mondiale. Mais elles doivent être fondamentalement redéfinies pour prendre en compte les évolutions de ces soixante dernières années.
Et, nous devons insister
pour qu’il n’y ait aucun doute : la poursuite d’une politique
américaniste, comme celle conduite depuis 2001 par le
président G. W. Bush, conduira à un rejet par les
Européens de tout partenariat structurel avec les Etats-Unis.
Rappelons, qu’à la différence de Nicolas Sarkozy, ou
d’une vieille baderne de l’humanitaire comme Bernard Kounchner,
l’image des Etats-Unis pour les Européens de moins de 40 ans,
c’est surtout : l’invasion de l’Irak, Guantanamo, les « renditions »
et les tortures de la CIA, la paralysie du programme spatial, la
criminalité et les deux millions d’Américains en
prison, la peine de mort, les 60 millions d’Américains sans
couverture sociale, Katrina et la Nouvelle-Orléans, les ponts
qui s’effondrent...
On est donc loin de
l’admiration. Et c’est sur de nouvelles bases d’un partenariat
stratégique rationnel, loin de la moindre fascination pour un
modèle (qu’il soit américain ou européen
d’ailleurs), qu’il faut désormais rebâtir les relations
transatlantiques. C’est ce à quoi je vais notamment oeuvrer,
avec Newropeans, à partir de la fin 2008, en continuant à
travailler à la base, avec les citoyens américains et
leurs réseaux, loin des élites américanistes.
C’est à mon avis la seule voie d’avenir si on veut éviter demain une confrontation directe entre l’UE et les Etats-Unis. La voie empruntée par Nicolas Sarkozy est une impasse car elle est fondée sur la soumission aux puissants, la manipulation des opinions publiques et la profonde ignorance du monde d’aujourd’hui. Jose Maria Aznar, Silvio Berlusconi et Tony Blair en ont déjà fait l’expérience avant lui. Et, au rythme où il se démène, l’avocat d’affaires français risque d’en faire l’expérience encore plus rapidement. Pour ce qui est des élites américanistes françaises, l’attractivité déclinante de l’économie américaine, l’explosion de la sphère financière liée au dollar, et l’épuisement de la génération des babyboomers devraient les avoir réduites à peu de choses d’ici deux ou trois ans.
65 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON