Les béquilles du macronisme
Dans notre précédent article intitulé « Les gilets jaunes » nous avons montré que la trahison des directions traditionnelles du mouvement ouvrier s’est clairement exprimée dès le 6 décembre 2018, au plus fort de la première phase du mouvement des gilets jaunes, par un communiqué commun des directions syndicales. Les dirigeants des principaux syndicats dénonçaient en effet les violences mais sans préciser d’où elles venaient. Ils dénonçaient donc les gilets jaunes et aussi, faut-il croire, les lycéens de Mantes la Jolie que les policiers avaient contraints à se tenir agenouillés avec les mains entravées ou sur la tête.
Sur le plan politique, il aurait suffi que le PCF, le PS et la FI présentent un candidat commun dès le premier tour de l’élection présidentielle pour que Macron ne soit pas élu. Examinons en effet le résultat du premier tour de cette élection présidentielle pour les cinq candidats arrivés en tête. Nous donnons pour chacun d’eux successivement les trois chiffres suivants : le nombre de voix, le pourcentage par rapports au nombre des inscrits et le pourcentage par rapport au nombre de suffrages exprimés.
Emmanuel MACRON 8 657 326 18,19 24,01
Marine LE PEN 7 679 493 16,14 21,30
François FILLON 7 213 797 15,16 20,01
Jean-Luc MÉLENCHON 7 060 885 14,84 19,58
Benoît HAMON 2 291 565 4,82 6,36
S’il y avait eu un seul candidat des organisations ouvrières, il aurait remporté l’élection. Il suffit pour le voir de cumuler les voix de Jean-Luc Mélenchon et de Benoît Hamon. Dans ce cas d’ailleurs la dynamique de l’unité aurait probablement amené plus de voix que n’en donne la simple addition.
14,84 % + 4,82 % = 19,62 %
Une deuxième remarque s’impose : Emmanuel Macron a été bien mal élu avec seulement 18,19% des inscrits au premier tour. Ce sont de piètres résultats si on tient compte du fait que les électeurs ont été souvent abusés, que les voix ont été extorquées par d’honteuses méthodes de marketing. D’ailleurs, aujourd’hui que les gilets-jaunes sont probablement ses plus farouches opposants certains d’entre eux avouent avoir voté pour lui.
Par ailleurs, les dirigeants du PCF, du PS et de la FI sont opposés au Frexit alors que de l’aveu même de Macron s’il y avait un référendum sur cette question c’est le Frexit qui l’emporterait et d’ailleurs les français ont voté contre la constitution européenne en 2005. A l’évidence, au moins la moitié de l’électorat de ces trois partis est favorable au Frexit et d’ailleurs aucun des arguments en faveur de l’UE ne résiste à l’analyse.
Ainsi, il apparaît clairement que, tant sur les questions politiques que sur les questions syndicales, le macronisme n’a pu se mettre en place et se maintenir que parce que les directions du mouvement ouvrier refusent de répondre aux attentes des travailleurs et par là même de la majorité de la population. Il faudrait bien peu de choses pour que le système s’effondre. Emmanuel Macron a été bien mal élu et le système a montré toute sa fragilité dans les jours qui ont suivi le 8 décembre 2018 (acte 4 des gilets jaunes). Les milliardaires ont pris peur face à l’ampleur de la révolte des gilets jaunes au moment même où les directions syndicales publiaient leur immonde communiqué commun. Les grosses fortunes qui dirigent désormais le pays ont décidé d’agir pour se tirer de ce mauvais pas. Un petit comité de ces grosses fortunes a pris la décision de donner une prime de fin d’année à leurs employés et ce petit comité a demandé à Emmanuel Macron d’en faire l’annonce dans un discours. Ainsi, ces grosses fortunes en ont profité pour présenter Emmanuel Macron comme l’homme providentiel, ayant beaucoup de pouvoir. L’homme capable de régler bien des problèmes. Cette opération visait d’une part à sauver le pouvoir des grandes fortunes et d’autre part à renforcer Emmanuel Macron dans son rôle de Président.
Irène Inchauspé, journaliste à « L’Opinion » explique à sa façon quel était l’esprit de ces grands patrons (Voir sur YouTube la vidéo intitulée : « GJs : les patrons du CAC40 ont eu peur d’avoir leur tête sur une pique ») :
« Ils ont vraiment eu peur à un moment d’avoir leur tête sur des piques. (…) Quand il y a eu le samedi terrible avec toutes les dégradations, ils avaient appelé le patron du Medef, je crois ou de (inaudible), en lui disant : « tu lâches tout. Tu lâches tout parce que sinon… » Ils se sentaient menacés physiquement, les grands patrons. ». Yves Calvi intervient : « Alors, vous voulez dire qu’il y a eu une démarche des grands patrons français qui pensaient qu’ils pouvaient être physiquement menacés en disant : maintenant, t’es gentil maintenant il faut lâcher avec les gilets jaunes » Irène Inchauspé reprend : « Voilà. Ils envoyaient des textos en disant : tu lâches sur le SMIC. Il faut qu’on distribue des primes. Tu lâches tout. Bon ! Voilà ! Alors là, ils distribuent des primes. C’est pas compliqué non plus. Ils ont 80% de leurs salariés qui sont à l’étranger. Alors ça leur coûte pas cher non plus. »
Effrayé par le mouvement des gilets-jaunes mais refusant d’apporter une réponse politique, les dirigeants s’enferment depuis dans une dérive autoritaire. Cela n’est possible que parce que les directions traîtresses du mouvement ouvrier sont les béquilles de ce système qui menace de s’effondrer.
Pourtant, indépendamment du niveau de confiance qu’ils accordent aux dirigeants, les travailleurs n’ont pas d’autres solutions pour s’organiser que de passer par les organisations du mouvement ouvrier notamment les organisations syndicales.
Nous sommes, le nombre, les forces vives, les seules qui soient indispensables pour produire, pour assurer la vie et le progrès et pourtant – nous l’avons longuement expliqué – ce sont quelques dizaines d’ultra-riches qui dirigent le pays pour le bénéfice d’une toute petite caste d’au plus quelques milliers de personnes. Ils s’attaquent en effet à toutes les autres couches de la société depuis les plus miséreux jusqu’aux couches relativement aisées comme les médecins, les pharmaciens, les avocats, les notaires…
Il est certain que le mouvement des gilets jaunes a bouleversé profondément tout le mouvement ouvrier et en particulier les directions des partis ouvrier-bourgeois. C’est ainsi que Trotski qualifiait ces partis qui ont été créé initialement pour défendre la classe ouvrière mais qui sont, à un moment, passé du côté de l’ordre bourgeois. C’est le cas pour le PCF et le PS mais c’est aussi le cas pour la FI qui est issue d’une fraction du PS via le Front de Gauche et a ensuite grossi ses effectifs par un accord avec le PCF. Confrontés à des situations comme l’irruption du mouvement des gilets jaunes, les dirigeants de ces partis ouvrier-bourgeois s’avèrent être de « parfaits imbéciles » comme le disait Trotski dans un article de janvier 1932 intitulé « La révolution allemande et la bureaucratie stalinienne » :
« Les politiciens du réformisme, ces affairistes habiles, ces vieux routiers de l'intrigue et du carriérisme, ces hommes expérimentés dans les combines parlementaires et ministérielles, s'avèrent - on ne peut trouver d'expression plus tendre - de parfaits imbéciles, dès que la marche des événements les projette hors de leur sphère habituelle et les confronte à des faits importants. »
« La social-démocratie, malgré sa composition ouvrière, est un parti entièrement bourgeois, dirigé dans des conditions "normales" de façon très habile du point de vue des objectifs de la bourgeoisie ; mais ce parti ne vaut rien dans des conditions de crise sociale. Les dirigeants sociaux-démocrates sont bien forcés, même contre leur gré, d'admettre le caractère bourgeois de leur parti. »
Le mouvement des gilets jaunes devient ainsi un profond révélateur. Le PS, le PCF et la FI avec quelques nuances disent maintenant apporter leur soutien aux gilets jaunes mais ils ont commencé par sérieusement tergiverser. Mais alors que les gilets jaunes exigent le départ de Macron aux cris de « Macron démission » ou parfois « Macron destitution », aucun des députés du PS, du PCF ou de la FI n’a signé pour lancer la procédure de destitution de Macron proposée par l’UPR. Seul le député LR Franck Marlin a réclamé cette destitution. Les organisations du mouvement ouvrier protègent donc Macron autant, voire même davantage, que LR, le parti de la bourgeoisie. Nous savons très bien que la destitution aurait été refusée par la chambre des députés et le sénat. Cependant, pourquoi ces mêmes politiciens demandent le vote d’une motion de censure qui revient à destituer le premier ministre et qui est tout autant refusée ? Avez-vous entendu un manifestant demander cela ? Aucun ne le fait. C’est une préoccupation de politiciens professionnels mais ce n’est nullement la préoccupation des exploités. Il en est d’ailleurs de même pour ceux qui réclament des élections législatives. Macron faisait déjà passer des lois réactionnaires (loi El Komri et loi Macron) quand il le voulait à coup de 49.3 alors qu’il était ministre de l’économie. Les mots d’ordre des gilets jaunes sont : « Macron démission », « Révolution ». Ils n’ont que faire des « motions de censure » et des « dissolutions de l’assemblée nationale » qui ne sont que des préoccupations d’histrions de la politique. « Macron destitution » : c’est à cela que les organisations du mouvement ouvrier devraient s’atteler si elles écoutaient leur base. Mais les carriéristes corrompus ont d’autres préoccupations. Ils voudraient montrer que leurs prérogatives de député ou de sénateur leur confère un rôle à jouer alors que toutes les décisions viennent de Bruxelles et que le théâtre qu’ils font dans les assemblées n’y change rien.
Dans le même temps, ce mouvement des gilets jaunes a aussi permis de mettre à jour la véritable nature de dirigeants et d’organisations qui se disent « révolutionnaires », « trotskistes ». La plupart de ces organisations comme le NPA et LO ne sont même pas pour le Frexit. Il en est de même pour des petits groupes qui se disent trotskistes mais qui militent à l’intérieur du NPA ou de la FI. Et, qu’en est-il des organisations lambertistes issues du trotskisme mais qui lui ont tourné le dos depuis près de 40 ans ? Elles continuent formellement à réclamer le Frexit mais le mouvement des gilets jaunes a révélé à quel point elles viennent prêter main forte aux bureaucrates du mouvement ouvrier pour les aider à maintenir le régime avec leurs béquilles.
Nous ne reprendrons pas ici toute l’analyse que nous avons faite au sujet des lambertistes dans notre livre « De François Mitterrand à Jean-Luc Mélenchon ». Pour faire vite rappelons seulement que, jusqu’à la fin des années 70, les organisations lambertistes (OCI, AJS, FER) étaient des organisations révolutionnaires mais elles se sont compromises avec l’arrivée de François Mitterrand à la présidence de la république. Elles ont d’ailleurs fourni une quantité de cadres et de militants au PS lesquels se sont dits que, quant à soutenir le PS, le mieux était de le rejoindre. Depuis, les lambertistes se sont scindés en deux organisations le POI et le POID
Daniel Gluckstein est le plus connu des lambertistes puisqu’il a été candidat à une élection présidentielle et qu’il était le « dauphin » choisi par Lambert pour lui succéder. Ce seul fait donne une idée du fonctionnement peu démocratique de ces organisations. Il est actuellement l’un des dirigeants du POID. Il a écrit des monuments de calomnies contre les gilets jaunes le 22 novembre 2018 et le 10 janvier 2019 dans deux numéros de l’hebdomadaire du POID « La tribune des travailleurs ». Nous en avons fait une analyse détaillée dans deux autres articles intitulés : « Où vont les lambertistes ? » et « Où vont les lambertistes (suite) ? ». Nous n’en ferons ici qu’un bref résumé.
Dans son premier article de calomnies, il explique que pour lui c’est un discours patronal et raciste « qui a dominé les blocages ce week-end ». Il veut bien admettre cependant qu’il y avait aussi des ouvriers. Il dit pour finir :
« Sous le gilet jaune, l’ouvrier reste un ouvrier, et le patron un patron. Sans parler de ceux dont la chemise brune dépasse sous le gilet jaune (2) ! »
Et, pour ceux qui ne comprendrait pas ce qu’est « la chemise brune » il prend le soin d’expliquer dans une note que c’est une référence à l’uniforme des SA, sections d’assaut du parti hitlérien. En plus des patrons, il y avait donc des nazis. Et il a expliqué auparavant que cette mobilisation des patrons et des nazis revêtus de gilets-jaunes a été organisée par les milliardaires qui tiennent les médias. Il écrit en effet :
« pour les médias, propriétés de grands groupes capitalistes, qui n’ont cessé d’appeler aux blocages, et même de les coorganiser de fait, dire… ».
Dans ce même article, il se félicite que les dirigeants des grandes centrales syndicales aient refusé d’apporter leur appui aux gilets jaunes. Voici exactement ce qu’il écrit :
« C’est un fait, aussi : les dirigeants des centrales syndicales, s’ils ont résisté à raison aux pressions visant à les entraîner avec les gilets jaunes persistent néanmoins à se concerter… ».
Il critique donc, à juste titre, la collaboration des dirigeants syndicaux dans des instances participatives puisqu’il dit qu’ils « persistent néanmoins à discuter… ». Mais il se félicite que ces dirigeants fassent obstacle à la convergence des luttes. Daniel Gluckstein donne raison aux directions traitresses du mouvement ouvrier contre les gilets jaunes. Au moins cela a le mérite d’être clair. Il ne s’agit plus pour lui de lutter avec la base et des syndicalistes pour faire plier les directions traîtresses. Il est tout entier du côté des bureaucrates contre-révolutionnaires. Mais il mélange, avec son style de commère, ses grossières calomnies avec des critiques qui pourraient être justifiées s’il disait à qui elles s’adressent. Il semble en effet qu’il critique, à juste titre, ceux qui rejettent les syndicats en invoquant les trahisons des dirigeants. Il reprend à ce sujet la métaphore classique : « Il est facile à certains d’appeler à jeter le bébé avec l’eau du bain. ». Nous apprécions toujours pour ce qu’il vaut le très anonyme : « certains ». Pour poursuivre sa métaphore nous dirons que, pour sa part, il jette d’emblée le bébé (le mouvement des gilets jaunes) prétextant que l’eau du bain contient quelques traces d’excréments (Quelques racistes anti-migrants poussés là par le RN).
Ayant probablement pris connaissance de notre analyse de ses calomnies, il répond à nos critiques et peut-être à d’autres dans un deuxième article. Non satisfait d’avoir abondamment calomnié les gilets jaunes, c’est maintenant nous qu’il s’apprête à calomnier. Il persiste dans un style bien étranger aux habitudes des grands leaders du mouvement ouvrier que furent notamment Marx, Engels, Lénine ou Trotski. Au lieu de dire clairement à qui il répond et de citer les mots, les phrases, les textes qu’il incrimine, il adopte le ton des semeurs de ragots en procédant par insinuations et sous-entendus laissant ainsi la porte ouverte à toutes les équivoques et les ambiguïtés. Voici comment il nous désigne :
« Depuis quelques semaines, le POID et La Tribune des travailleurs sont la cible d’attaques diverses. Quand ils ne se réfugient pas dans l’anonymat, leurs auteurs ont un point commun : naguère partisans de la lutte de classe, du mouvement ouvrier et de la démocratie politique, ces convertis au « gilet-jaunisme » proclament aujourd’hui que partis et syndicats appartiennent à un monde définitivement disparu. ».
Faut-il prendre la peine de répondre à de tels ragots ? Tout ce que nous écrivons ici prouve exactement le contraire de ce qu’il dit. Nous savons très bien que partis et syndicats n’appartiennent pas au passé et nous savons de plus quels sont ceux qui jouent un rôle de béquille du régime actuel. Comme en plus nous manions la dialectique ce sont les directions traitresses que nous accusons et non pas les organisations du mouvement ouvrier dans leur globalité. Mais, contrairement au dauphin de Lambert nous ne voyons pas le mouvement des gilets jaunes comme un mouvement de patrons racistes et fascistes, coorganisé de fait par les grands groupes capitalistes. Nous disons tout au contraire, à l’instar de Lénine, qu’objectivement ce mouvement défend les exploités et s’attaque au capital. Rappelons en effet cette citation de Lénine :
« Quiconque attend une révolution sociale “pure” ne vivra jamais assez longtemps pour la voir. Il n’est qu’un révolutionnaire en paroles qui ne comprend rien à ce qu’est une véritable révolution. (…) La révolution socialiste en Europe ne peut pas être autre chose que l'explosion de la lutte de masse des opprimés et mécontents de toute espèce. Des éléments de la petite bourgeoisie et des ouvriers arriérés y participeront inévitablement - sans cette participation, la lutte de masse n'est pas possible, aucune révolution n'est possible - et, tout aussi inévitablement, ils apporteront au mouvement leurs préjugés, leurs fantaisies réactionnaires, leurs faiblesses et leurs erreurs. Mais, objectivement, ils s'attaqueront au capital, et l'avant-garde consciente de la révolution, le prolétariat avancé, qui exprimera cette vérité objective d'une lutte de masse disparate, discordante, bigarrée, à première vue sans unité, pourra l'unir et l'orienter, conquérir le pouvoir, s'emparer des banques, exproprier les trusts haïs de tous (bien que pour des raisons différentes !) et réaliser d'autres mesures dictatoriales dont l'ensemble aura pour résultat le renversement de la bourgeoisie et la victoire du socialisme, laquelle ne "s'épurera" pas d'emblée, tant s'en faut, des scories petites-bourgeoises. »
Daniel Gluckstein est ici désigné par Lénine comme : « un révolutionnaire en paroles qui ne comprend rien à ce qu’est une véritable révolution. ». Il invente en plus le concept de « partisan de la lutte de classe », qui surprendrait bien des marxistes. La lutte des classes est une réalité qui s’imposera aussi longtemps qu’il y aura des exploités et des exploiteurs. S’il existe sans doute quelques autruches qui refusent de voir cette réalité, il faut cependant avoir l’esprit fécond du dauphin de Lambert pour parler de « partisan de la lutte des classes ».
Nous entendons, pour notre part agir comme devrait le faire une « avant-garde consciente de la révolution ». Nous cherchons en effet à unir ce mouvement, dans toute sa diversité, pour l’orienter vers la prise du pouvoir.
Nous n’allons pas répondre à tout ce que dit Daniel Gluckstein, mais il nous donne l’occasion d’aborder à nouveau la question importante des relations entre les syndicats et le mouvement des gilets jaunes et cela nous intéresse. Au préalable rappelons quelques généralités sur le rôle des syndicats. Soulignons d’abord que comme les partis issus du réformisme et du stalinisme ce sont des organisations ouvrière-bourgeoises et que de plus, il y a toujours eu de la part des capitalistes la volonté de les intégrer à l’état ou à l’entreprise pour en faire des instruments de domination de classe. Il en fut ainsi des syndicats pétainistes ou des syndicats des grosses dictatures staliniennes qui n’étaient que des instruments du pouvoir : simples courroies de transmission chargées de faire passer les décisions prises par les dirigeants. Ainsi les cadres des syndicats deviennent des collaborateurs du pouvoir et les représentants du personnel représentent en fait les dirigeants auprès du personnel et non l’inverse. Il y a une entente au sommet entre dirigeants et représentants du personnel sur le rôle de chacun. Les patrons confient aux dirigeants des syndicats les informations à faire circuler et les mandatent pour recueillir l’avis des employés voire même pour repérer et moucharder les opposants. Nous connaissons la fameuse loi de promotion syndicale : « Pour se débarrasser d’un syndicaliste trop revendicatif sans risquer une grève, il faut le nommer cadre ». Quand le syndicat est bien intégré à l’entreprise, il n’est plus nécessaire d’appliquer cette loi. Il n’est plus question de corrompre ou d’acheter un dirigeant syndical puisqu’il est par nature collaborateur du pouvoir. L’idée de mettre en place des syndicats corporatifs obligatoires reste d’actualité. Ségolène Royal pour remédier à la désyndicalisation a tout simplement déclaré : « Je suis favorable à une solution simple et radicale : l’obligation d’adhérer à un syndicat » (Cf. La Dépêche du midi du 15 mai 2006). Or, la « charte du travail » du 4 octobre 1941 visait justement à rendre obligatoire l’adhésion à un syndicat unique en même temps qu’elle supprimait le droit de grève. L’affirmation de Daniel Gluckstein sur les syndicats mérite d’être sérieusement nuancée. Voici ce qu’il dit :
« (…) Mais cela n’empêche nullement les travailleurs, dans les grèves et autres mouvements de classe (et dans les élections professionnelles), de manifester leur attachement aux syndicats. Parce que ces derniers leur appartiennent et sont les instruments de leur combat de résistance. »
Nous venons de l’expliquer, dans certains cas les syndicats appartiennent aux patrons et sont un instrument de domination. Alors, il faut, là aussi, manier un peu la dialectique. La réalité est complexe et contradictoire. Les syndicats, le plus souvent, ne sont ni la propriété des patrons ni celle des travailleurs mais sont un peu les deux en même temps. De même, ils ne sont ni purement des instruments de combat ni uniquement des instruments de pouvoir. Ils sont à la fois enjeu et instrument de la lutte car c’est par la lutte que leur indépendance à l’égard du pouvoir peut être gagnée. Nous nous en tiendrons là pour ce qui est des généralités sur les syndicats. Voyons, plus précisément où nous en sommes actuellement en France. Le premier trait marquant c’est qu’il n’y a plus que 8% des travailleurs qui sont syndiqués. C’est le résultat d’une longue série de trahisons. Les travailleurs ne font plus confiance aux syndicats. La France est le pays d’Europe où il y a la plus grande proportion de permanents syndicaux au regard du nombre de syndiqués. C’est dire, qu’évidemment les apparatchiks des syndicats ne sont pas payés par les cotisations des syndiqués mais principalement par diverses dotations patronales et aussi par la CES (Commission Européenne des Syndicats). Cela porte un coup sérieux à l’affirmation de Daniel Gluckstein « ces derniers (les syndicats) leur (les travailleurs) appartiennent ». Venons-en maintenant au rôle des syndicats dans les grandes mobilisations ouvrières comme celle que nous connaissons actuellement en commençant par rappeler une citation du programme de transition rédigé par Trotski.
« Les syndicats, même les plus puissants, n’embrassent pas plus de 20 à 25% de la classe ouvrière et, d’ailleurs, ses couches les plus qualifiées et les mieux payées. La majorité la plus opprimée de la classe ouvrière n’est entraînée dans la lutte qu’épisodiquement, dans les périodes d’essor exceptionnel du mouvement ouvrier. À ces moments-là, il est nécessaire de créer des organisations ad hoc, qui embrassent la masse en lutte ».
Ce que Trotski observe ici se trouve décuplé du fait qu’il n’y a plus que 8% des travailleurs qui sont syndiqués et que les directions syndicales sont largement déconsidérées. Cela explique la défiance du mouvement des gilets jaunes à l’égard des dirigeants syndicaux et leur farouche volonté de ne pas se faire confisquer leur mouvement par eux. Le remède proposé par Trotski s’impose « il est nécessaire de créer des organisations ad hoc, qui embrassent la masse en lutte ». Il pense alors essentiellement aux comités de grèves, aux comités d’usine, aux conseils ouvriers mais la volonté des gilets jaunes de ne pas se faire récupérer s’inscrit aussi dans cette proposition. C’est pourquoi ils se sont organisés en assemblées locales et en assemblées des assemblées.
Les lambertistes en prenant ainsi parti contre les gilets jaunes, se joignent aux bureaucrates des syndicats, qu’ils appuient d’ailleurs ouvertement, pour servir de béquille au macronisme.
Il aurait sans doute pu, malgré tout subsister quelques trotskistes. A un moment Lambert a exclu le dernier des trotskistes en se faisant d’ailleurs aider par Jean-Christophe Cambadélis qui avait un pied au PS et un autre à l’OCI. Ce dernier des révolutionnaires s’appelait Stéphane Just. Il est décédé le 12 août 1997. Il a essayé jusqu’à sa mort de regrouper une avant-garde révolutionnaire mais il a finalement échoué. Le petit groupe qu’il a laissé derrière lui s’appelle CPS (Combattre Pour le Socialisme). Ils ont sorti un texte sur les gilets jaunes qui est un tissu de calomnies du même acabit que la mauvaise littérature de Daniel Gluckstein. Vous pourrez trouver ce « Supplément à CPS n°71 » sur le site web intitulé lui aussi « Combattre Pour le Socialisme ».
Cela nous amène à conclure qu’il n’y a plus ni révolutionnaires ni trotskistes en France.
Jamais il n’y a eu une telle rupture dans le mouvement ouvrier en France. Quand, au début du XXème siècle, les partis de la IIème internationale ont fini par accepter la guerre, reniant ainsi leurs engagements, il s’est trouvé en France, comme dans tous les pays d’Europe, des militants pour assurer la relève : Jean Jaurès en tête et après son assassinat Pierre Monatte et Alfred Rosmer. D’abord assez isolés, ils sont devenus majoritaires dans le mouvement ouvrier à la suite de la révolution russe et le parti communiste a été proclamé. A la suite de la dégénérescence stalinienne, Trotski a repris le flambeau du combat révolutionnaire et a créé la 4ème internationale. Les trotskistes français ont pu assurer dans des conditions difficiles la continuité du combat révolutionnaire. Un petit groupe autour de Pierre Lambert a rapidement pris de l’ampleur dans les années 60 et 70. Il pouvait jouer un rôle important mais Lambert a capitulé face aux réformistes lors de l’arrivée de François Mitterrand à la présidence de la république en 1981 comme nous l’avons déjà dit. Quelques militants ont résisté comme Stéphane Just mais beaucoup ont abandonné le militantisme et beaucoup ont trahi en rejoignant le PS.
Parmi ceux-là, donnons une palme particulière à Jean-Luc Mélenchon car, lui, il est parti quand l’OCI était encore une organisation révolutionnaire. C’est donc un renégat qui a tout simplement décidé de faire une carrière de politicien professionnel avec d’ailleurs une certaine réussite puisqu’il est maintenant millionnaire. Dans un long texte en date du 2 septembre 2019 et intitulé « Chemin faisant », il relate son dernier voyage en Amérique du Sud. Il parle de Pépé Mujica ancien chef d’état de l’Uruguay, tout en évoquant son départ de l’OCI en ces termes :
« Et c’est en l’écoutant et en le voyant faire, il y a de cela plusieurs années que je jetais à mon tour l’uniforme des guerriers en politique et entrais dans le registre des poèmes lus sur les tribunes et du lyrisme assumé en politique, par amour de la vie elle-même »
Pour faire un parallèle avec les guerilleros d’Amérique du Sud, il emploie l’expression « je jetais à mon tour l’uniforme des guerriers en politique ». Passons sur cette histoire « d’uniforme », il reste un aveu : il cesse à partir de ce moment d’être un combattant politique. Il ne lutte plus contre le capitalisme. Certes, il ne dit pas qu’il cesse d’être un combattant pour œuvrer à la sauvegarde du capitalisme. Non ! Assurément ! Mais pour quoi faire ? Il le dit : c’est pour entrer « dans le registre des poèmes lus sur les tribunes et du lyrisme assumé en politique ». Il cesse de combattre le capitalisme pour faire de beaux discours. Il faut que les militants de la FI qui se laissent impressionner par sa gouaille, sa faconde et ses envolées lyriques, comprennent bien de quoi il s’agit. Ce n’est que de la belle littérature destinée à émouvoir et à séduire un public. Il n’est plus question d’un quelconque combat si ce n’est de la peu glorieuse perspective de devenir un Mitterrand ou un Tsipras.
Revenons à l’essentiel. La continuité du combat révolutionnaire est rompue au moment où se déclenche ce mouvement des gilets jaunes qui a un caractère insurrectionnel. Au moment où ce mouvement cherche les voies de la révolution cette rupture est dramatique. On ne peut guère imaginer ce que serait ce mouvement s’il y avait l’OCI, l’AJS et la FER que nous avons connues. Malgré toutes les qualités des leaders du mouvement des gilets jaunes et des intellectuels qui les soutiennent, il sera difficile pour les gilets jaunes de construire une force politique capable d’assurer une victoire mais cela doit rester la perspective.
Dans ces conditions, que pouvons-nous faire ?
Nous avons essayé de répondre à cette question dans un autre article intitulé : « Que faire ? ».
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