Les conflits d’intérêts d’un ministre du budget
Eric Woerth prétend n’avoir jamais donné d’ordre pour effectuer ou empêcher un contrôle fiscal. L’avenir dira si sa réputation d’honnêteté était ou non surfaite. Mais un ministre ne peut être en charge des poursuites en matière fiscale et prétendre n’en rien connaître. Si le gouvernement ne donne aucune indépendance à l’autorité en charge des poursuites de la fraude fiscale, il est normal qu’il en assume la responsabilité politique. Or il n’est plus dépendant du ministre de l’économie que ses propres services.
Ainsi, en amont des opérations de vérification elles-mêmes, aucun agent des impôts de ne peut s’auto-saisir d’un dossier fiscal et décider d’une procédure de contrôle fiscal externe (Vérification Générale ou Examen de la Situation Fiscale Personnelle). A chaque fois la hiérarchie administrative doit être informée, et c’est elle qui décide. Il ne suffit pas d’avoir des raisons plausibles de soupçonner qu’une infraction a été commise.
Passé ce stade de l’autorisation préalable, et une fois la vérification fiscale achevée, de multiples filtres légaux viennent interférer dans la procédure avant d’en arriver à la mise en recouvrement des sommes dues et des pénalités encourues.
Les pénalités de retard, comme les pénalités pour mauvaise foi ou manœuvres frauduleuses font souvent l’objet de négociations ou de transactions aux divers stades de la procédure. La transaction est une convention portant atténuation de pénalités. Elle peut être consentie d’office ou à la demande du contribuable.
Lorsque la demande de remise ou modération ou de transaction porte sur une somme importante, la décision est de la compétence du directeur général des impôts ou du ministre. Elle est prise après avis consultatif du Comité du contentieux fiscal, douanier et des changes.
Aucune information n’est disponible sur le volume des pénalités et des droits annulés en matière d’impôt. Le Sénat l’avait déjà dénoncé dans un rapport d’information de 2007. Il rappelait notamment que le niveau global des remises de pénalités (environ 85%) est préoccupant car "il peut alimenter un sentiment d’injustice chez les personnes qui ont acquitté l’intégralité des sommes réclamées, voire entretenir des comportements d’incivisme fiscal, résultat à l’opposé de la finalité des pénalités".
Si aucune transaction n’est proposée ou acceptée, la décision de transmettre le dossier à la justice peut être prise. Mais la saisine de la Commission des infractions fiscales et, en cas d’avis favorable, la transmission au parquet dépendent encore du ministre.
Tout cela explique le petit nombre de poursuites et de condamnations : environ un millier chaque année (sur 600000 condamnations pour délits). Beaucoup sont d’ailleurs des affaires modestes, concernant des petits commerçants à la dérive ou des contribuables ayant un rapport obsessionnel à l’impôt. Le procureur de la République n’est qu’un exécutant en matière d’infractions fiscales. Tout est entièrement verrouillé en amont.
M. Woerth n’est pas le premier a être soupçonné d’avoir à mauvais escient fait obstacle à l’application de la loi. M. Strauss-Kahn l’avait déjà été après avoir traité le dossier de M. Lagerfeld.
Ainsi, le premier des conflits d’intérêts d’un ministre en charge de la répression de la fraude fiscale tient au fait qu’il est en permanence soumis à la tentation de faire primer son intérêt, celui de ses amis ou celui de son parti sur l’intérêt général.
Si le droit français laisse une telle place à l’arbitraire politique en ce domaine, il est bien normal que le gouvernement en assume la responsabilité. D’autant plus que rien ne lui interdit de faire évoluer la loi pour soustraire les infractions fiscales à cette législation d’exception.
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