Les enjeux politiques de l’élection européenne
Malgré un taux d’abstention record prévu pour les élections européennes à venir, et le désintérêt des principaux média pour le débat européen au profit des querelles politiciennes franco-françaises, cette élection du 7 juin prochain recèle une série d’enjeux politiques nationaux et européens de première importance.
Quelle Europe politique pour demain ?
- Les rapports de forces au Parlement Européen
Les électeurs qui se déplaceront le 7 juin prochain voteront pour élire des députés européens. Les pouvoirs du Parlement Européen n’ont cessé de croître au fil de la construction de l’Union Européenne. Actuellement, 20 à 30% (et non 70%) des lois nationales sont des transcriptions directes de lois et directives européennes, et concernent surtout l’environnement, les règles de libre-échange et de concurrence, la protection des consommateurs. Bien que les lois européennes soient initiées par la Commission (comme elles le sont très majoritairement par le gouvernement en France), leur adoption dépend du Parlement Européen et, par codécision, du Conseil Européen des ministres concernés. Ce système de codécision, qui permet aux États membres de garder une influence importante pour défendre leurs intérêt nationaux, explique pourquoi les parlementaires européens cherchent au maximum à obtenir de larges consensus en leur sein, afin de peser sur le conseil (une loi adoptée par les trois-quarts du Parlement Européen aura plus de chance d’être aussi acceptée par les ministres, contrairement à une loi votée à une courte majorité).
Cette recherche de consensus est favorisée par l’absence de majorité absolue détenue par un seul parti au Parlement Européen : actuellement, le PPE (Parti Populaire Européen, de droite, où siège l’UMP), détient 288 sièges sur 785, tandis que le PSE (Parti Socialiste Européen) en détient 217. Le reste des parlementaires se distribue dans l’ADLE (Alliance des Démocrates et Libéraux Européens, parti centriste où siège le MoDem, une centaine de députés), les nationalistes (Union pour l’Europe des Nations, 43 députés), les Verts (43 députés), la gauche de la gauche (Gauche Unitaire Européenne, 41 députés), les indépendants (une vingtaine de députés) et des non inscrits (13).
Mais ce parlement devrait connaître de sérieux changements lors de la prochaine mandature : à droite, les conservateurs britanniques devraient quitter le PPE pour aller chez les nationalistes eurosceptiques, tandis que le PPE accueillerait en revanche l’ensemble des députés du nouveau parti de Silvio Berlusconi. Ce parti demeure dominé par la CDU allemande, très active au parlement européen, tandis que l’UMP a jusqu’ici eu un rôle modeste, faute notamment de ténors politiques. Autrefois leader dans la construction européenne, il est devenu progressivement partisan d’un statu quo. L’inconnue concerne les parti de droite des nouveaux pays d’Europe centrale, notamment de Pologne, plus eurosceptiques et conservateurs que la CDU. A gauche, le PSE est tiraillé entre différentes tendances sociales démocrates (Labour britannique, PSD allemand, PSE espagnol…) ou plus étatistes (PS français, socialistes grecs…). Comme le PPE, le PSE est aussi devenu moins favorable à la construction européenne avec le poids du Labour britannique, subit une concurrence accrue à sa gauche (en Allemagne ou en France par exemple). Ceci renforce mécaniquement le poids du parti central, l’ADLE, qui devrait bénéficier de la venue du parti Irlandais Fine Gael et du renouveau des démocrates néerlandais de D66 par exemple, et surtout du poids des LibDems britanniques, crédités d’excellents sondages. L’un des enjeux est ici l’équilibre interne au sein de l’ADLE, actuellement composé de deux partis européens (les libéraux, et les démocrates où figure le MoDem), qui s’accordent sur leur vision d’une Europe intégrée, mais divergent au niveau de leur soutient à la libre concurrence. Les Verts devraient eux conserver un poids équivalent à la mandature précédente, malgré une baisse chez les Verts allemands, en raison de la remontée dans d’autres pays. Les Verts sont avec l’ADLE le parti le plus favorable à l’intégration européenne, mais ont sur les sujets économiques un positionnement souvent plus à gauche que le PSE.
On le voit, même si pris individuellement le vote français ne fera pas basculer ces grands équilibres, les rapports de forces au sein du parlement européen pourraient évoluer le long de deux axes principaux : plus ou moins eurosceptiques, plus ou moins libéral économiquement, et de faibles variations peuvent faire basculer rapidement ces équilibres.
- La présidence de la Commission Européenne
La Commission Européenne était jusqu’ici garante de l’intérêt général Européen, en contrepoids des gouvernements nationaux, et possède l’initiative des lois. Jusqu’en 2004, les commissaires européens étaient priés non seulement de laisser leur appartenance nationale au vestiaire, mais aussi leur couleur politique. Depuis 2004, la Commission s’est fortement politisée sous la pression des grands partis politiques, et est maintenant censée aller dans le sens de la majorité politique du Parlement Européen. De plus, l’arrivée des nouveaux États membres, qui avaient le droit à un commissaire chacun, a renationalisé une partie de la Commission, qui a ainsi perdue en cohésion. Ayant à sa tête un président avant tout désireux de plaire aux principaux gouvernements, la Commission a ainsi perdu le rôle moteur qu’elle avait auparavant dans la construction européenne, au profit du Conseil, partisan d’un statu quo.
Faute de l’adoption du nouveau traité constitutionnel, chaque pays membre devrait conserver « son » Commissaire au sein d’une Commission pléthorique. L’enjeu de cette élection est donc de savoir si le président actuel sera réélu, comme le souhaite le PPE, une partie du PSE, et de nombreux chefs de gouvernements (désireux de conserver le contrôle de l’Union) ou si un président plus indépendant et volontaire sera nommé, comme le souhaitent notamment l’ADLE et les Verts. En théorie, la réélection de Mr Barroso n’est pas assurée, mais le problème pour ses opposants est de s’accorder sur une personnalité alternative ; or, il y a fort à parier que partisans et opposants à l’intégration européenne (ADLE, Verts, une partie du PSE d’un côté, eurosceptiques nationalistes et extrême gauche de l’autre) auront du mal à proposer une candidature commune contre Mr Barroso. Faute d’un accord suffisamment large au sein du Parlement Européen, le dernier mot reviendra au Conseil, favorable à son second mandat. L’enjeu est donc ici le nombre de députés opposés à Mr Barroso qui seront élus : de cela dépendra le visage de la Commission et en réalité le futur de l’Europe ces prochaines années : statu quo (une Europe au rôle limité à des domaines économiques et techniques) ou relance du processus (construction d’une Europe politique jouant un rôle accru au niveau politique étrangère, défense etc.).
Vers un renouveau du paysage politique français ?
Traditionnellement, les élections européennes, situées à mi-mandat et suivant un scrutin proportionnel, se traduisent par une forte dispersion des voix et sont l’occasion d’un vote protestataire. On se souvient de scores désastreux de partis de la majorité (PS en 1994, UMP en 2004 par exemple), et de la percée de listes de circonstances (listes Tapie en 1994 ou Pasqua en 1999). Le fort taux d’abstention peut aussi amplifier le score de listes contestataires, tandis que l’électorat des partis principaux est souvent moins mobilisé. Pour autant, 2009 se traduit par une situation politique particulière, dans la mesure où le quinquennat a accéléré le tempo politique et que la France traverse une période de fortes turbulences en raison de la crise économique.
- Une majorité présidentielle affaiblie.
Curieusement, cet élément semble avoir échappé aux instituts de sondages, qui persistent à donner des estimations pour une liste UMP. Or la liste qui se présente aux suffrages des électeurs, comme on le constate sur ses clips de campagne et autres bulletins de vote, rassemble bien UMP, Nouveau Centre, Gauche Moderne et progressistes, soit l’ensemble des composantes de la majorité actuelle. Avec des prévisions tournant autour de 25%, cette élection européenne pourrait bien ressembler à une sanction pour le gouvernement et son président, puisque soutenir le Président de la République constitue le premier argument mis en avant par les défenseurs de cette liste (« Avec Nicolas Sarkozy »). Même en ajoutant le score des listes nationalistes de droite, qui soutiennent au niveau national la majorité, on pourrait n’arriver péniblement qu’à un petit tiers des suffrages, situation inédite pour une majorité lors de ce type d’élection.
- Une gauche éclatée
Les divisions internes au Parti Socialiste pèsent lourdement sur les intentions de vote en sa faveur. La situation est aggravée par le fossé interne au Parti Socialiste Européen, incapable de se mettre d’accord sur une opposition au président libéral de la Commission Européenne. L’absence de cohérence et de cohésion, à la fois au niveau de ses leaders et de ses idées, continue d’affaiblir ce parti qui semble incapable de profiter de la faiblesse de la majorité. Un mauvais score (sous les 20%) pourrait encore aggraver la situation en relançant la guerre des chefs et en réduisant d’autant les chances d’unité en 2012.
A contrario, la situation bénéficie aux Verts : pour la première fois depuis 10 ans, ceux-ci présentent une liste rassemblant les différents courants de l’écologie politique (malgré la présence d’une petite liste dissidente), sous la houlette d’un leader charismatique. On aurait pu croire ses chances diminuées par la crise, alors que l’environnement avait le vent en poupe en 2008, mais la faiblesse du Parti Socialiste a permis aux Verts de servir de refuge aux plus européens des électeurs socialistes. L’enjeu sera pour les Verts de maintenir une cohésion entre des tendances très différentes après l’élection européenne, et rien ne dit qu’une guerre des chefs n’éclatera pas de nouveau en son sein. Mais un score au-delà de 10% pourrait pour la première fois permettre à Daniel Cohn-Bendit de prétendre à une candidature en 2012.
Fort logiquement, la crise économique profite aux partis d’extrême gauche. Mais leur division pèse sur leur influence et risque de les priver de nombreux sièges. Le gagnant est néanmoins le Parti Communiste, qui s’est refait une virginité en se fondant dans le « Front de gauche », et à qui la truculence du Sénateur Mélanchon a redonné une visibilité. Reste que cet essai ne pourra être transformé que si un accord politique est trouvé avec les partis révolutionnaires, et en premier lieu le NPA, ce qui ne semble pas à l’ordre du jour.
- Les nationalistes en perte d’influence
Confronté au problème de la succession de son leader et au discours sécuritaire de la majorité, le Front National ne parvient pas à rebondir. A ses côtés, la listes des nationalistes de droite menée par de Villier, qui avait connue son heure de gloire en 1999, ne parvient pas à véritablement percer, et celle de Nicolas Dupont Aignant demeure privée d’audience. Curieusement, alors qu’un certain euroscepticisme traverse l’opinion, l’échec relatif annoncé pour ces listes nationalistes illustre le succès de l’Europe. Malgré l’insatisfaction d’une partie importante de l’électorat vis-à-vis du fonctionnement de l’Union, une infime minorité remet en cause la construction européenne, au point que le slogan des nationalistes est devenu « Une autre Europe ». Faute de crédibilité au niveau de leur projet européen, ces listes sont concurrencées dans leur aspect protestataire par d’autres partis plus actifs au niveau national.
- Le renouveau du centre
Depuis la première élection de 1979, quand l’UDF était le parti du président, le centre pro-européen n’avait jamais dépassé 12% des suffrages lorsqu’il se présentait seul à une élection européenne. Si les prédictions se confirment, le MoDem pourrait dépasser ce score et se rapprocher de celui du parti socialiste en 2009. Largement dû à la personnalité de François Bayrou et à son opposition vigoureuse au Président de la République, ce succès pourrait marquer le renouveau d’un centre indépendant en France, après une longue période d’alignement à droite. En faisant émerger de nouvelles personnalités aux côtés du leader démocrate, cette performance permettrait au Mouvement Démocrate de s’ancrer dans le paysage politique français, après des débuts difficiles (7.6% aux élections législatives de 2007 et des résultats confus aux municipales de 2008). Parallèlement à l’affaiblissement du Parti Socialiste, un bon score du MoDem (autour de 15%) lui permettrait de lutter plus efficacement contre le travail de sape de ses opposants et d’apparaître pour la première fois comme un recours crédible pour l’électorat modéré.
Conclusion
On le voit, malgré une campagne atone dans les média et le désintérêt des électeurs, cette élection européenne comporte des enjeux politiques majeurs. Au niveau Européen, au-delà de la cuisine électorale, les résultats auront une influence importante sur l’évolution de la construction européenne et sur le rôle de l’Europe dans notre société. Quant au niveau français, en redessinant le paysage politique, ces élections pourront peser sur la formation de futures majorités et donc sur les politiques menées.
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