Les Etats-Unis pourraient tenter de transformer l’OTAN en tour de Babel
Le prochain sommet de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) se tiendra les 28 et 29 novembre à Riga, capitale de la Lettonie, en présence des chefs d’Etats et de gouvernements d’Amérique du Nord et d’Europe. On pourrait y assister à la mondialisation de cet organisme régional de défense.
Cette conférence qui a été appelée à l’initiative du président de la République de Lettonie aura lieu pour la première fois dans un pays qui pendant la Guerre froide, avant la démolition du mur de Berlin, faisait partie des territoires soumis au Pacte de Varsovie. Principal adversaire nucléaire de l’Otan.
Les objectifs de cette conférence ont été définis par les commissions politique et de défense et sécurité de l’organisation.
« Il faut rappeler encore une fois que l’Otan conserve son importance en tant que principale enceinte transatlantique chargée d’assurer notre sécurité collective. »
« Le monde d’aujourd’hui recèle, pour notre sécurité, des risques et menaces nombreux les origines sont multiples :
États défaillants ou en déliquescence, sous-développement, mauvaise gouvernance, déséquilibres démographiques, radicalisation religieuse, résurgence d’idéologies hostiles à la démocratie, compétition accrue pour l’accès aux ressources naturelles ou énergétiques, instabilité régionale, crime organisé transnational, prolifération d’armes de destruction massive et terrorisme. »
La difficulté de cette mission provient du fait qu’il n’existe plus d’ennemi bien défini dont les structures et les pôles de décisions ne peuvent pas être situés avec précision.
La déclaration préliminaire publiée au sujet du prochain sommet par la commission permanente de l’Otan à Bruxelles tout en proclamant que la « mission première de l’Otan est la défense collective » n’est guère optimiste. Elle n’apporte rien de nouveau, mais elle ne précise pas, en parlant d’objectifs, en quoi consiste la sécurité collective de vingt-six membres aussi disparates dans leur doctrine que celles qui vont être présentées à Riga par leurs chefs d’Etat.
Autant, de 1948 à 1989, les perspectives étaient claires sous la menace d’une vitrification par l’atome, pour les seize pays membres et ceux d’Union de l’Europe occidentale ; autant constituent un vœu pieux la nouvelle impulsion et l’expansion globale de l’Otan, dont on parle tant à Bruxelles au sujet de la Conférence de Riga. Une nouvelle impulsion ? Mais dans quelle direction ? Au profit de qui ?
Que la déclaration fasse cette injonction ne traduit pas un optimisme. En fait, il semble bien que l’on tire la sonnette d’alarme. On recommande aux pays membres de se pencher « de toute urgence sur les sujets de préoccupations suivants :
1 - La situation de sécurité difficile en Afghanistan :
M. Bert Koenders, membre du Parlement néerlandais, a déclaré lors d’une
réunion de l’assemblée parlementaire de l’Otan, dont il est vice-président, que
la situation en Afghanistan s’est détériorée gravement depuis le mois de
janvier 2006 au point d’atteindre un seuil critique, et que seule une
augmentation des moyens déployés par l’Otan pourrait encore la sauver.
"Les attaques lancées par les insurgés à la frontière Sud-Est pakistanaise ont été les plus sanglantes depuis que la chute des talibans a été officiellement proclamée", a-t-il déclaré devant la commission politique de l’Assemblée parlementaire atlantique.
D’autre part,
M. Koenders a signalé comme circonstance aggravante le fait que la
production d’opium d’Afghanistan atteindra 6100 tonnes cette année, en
augmentation record de 59 % sur l’année précédente. Cette production
représente 92 % de la production totale mondiale.
Il a estimé que la population qui se consacre à cette culture a augmenté d’un tiers en 2006, doit 2,9 millions d’agriculteurs, représentant 12,6 % de la population totale.
La situation en Afghanistan a dominé les débats de l’Assemblée parlementaire de
l’Otan réunie en session annuelle à Québec, jusqu’au 17 novembre.
Cette question va certainement dominer les débats du prochain sommet de l’Otan en Lettonie.
De son côté M. Robert Hunter, ancien ambassadeur des Etats-Unis auprès de
l’Otan et actuellement conseiller spécial auprès de la Rand Corporation, a
estimé devant la commission politique de l’Assemblée que l’Alliance avait misé
sur son avenir en Afghanistan et qu’elle ne pouvait pas se permettre d’échouer.
« À tout prix cette mission doit réussir », a-t-il proclamé solennellement.
« L’engagement de l’Otan dans ce pays met à l’épreuve sa capacité à relever les défis du nouvel ordre de sécurité », avait-il été souligné en octobre 2006 par la commission permanente de l’Otan à Bruxelles dans une déclaration préliminaire publiée au sujet du sommet de Riga.
« La présence d’un plus grand nombre de soldats sur le terrain dans le Sud de l’Afghanistan est nécessaire afin d’assurer une stabilité suffisante pour permettre une reconstruction durable de ce pays. »
« Un échec définitif en Afghanistan portrait un coup fatal à l’Otan », conclut la déclaration de Riga.
2 - La détérioration rapide de la situation de sécurité au Moyen-Orient et le terrorisme
Ces crises préoccupent vivement la commission. Elle exprime ses inquiétudes à l’égard de la situation en Méditerranée orientale et au sujet de la réputation dont souffrent au sein des populations orientales et dans une partie de l’Europe.
Les Etats-Unis, ancrage central de l’organisation atlantique
« Il faudra pourtant que l’Otan reçoive l’appui des opinions publiques et des parlements des pays de l’Alliance. Certains événements survenus récemment ont montré que ce soutien ne pouvait être tenu pour acquis. »
En ce qui concerne le terrorisme international, la commission surprend par la pauvreté de ses propositions en la matière.
Elle se borne à donner l’assurance que « nous continuons à soutenir le rôle de l’Alliance dans la lutte contre le terrorisme. Nous pensons que l’Alliance en constitue la dimension transatlantique essentielle, mais notons que le terrorisme ne peut pas être vaincu par des moyens exclusivement militaires. En terme clair l’Otan se défausse sur les armées de l’Alliance de ces problèmes qui sont de sa compétence mais qu’elle se déclare incapable de traiter.
3 - L’instabilité de la situation dans les Balkans occidentaux et en particulier au Kosovo.
4 - L’insuffisance et les faiblesses des capacités opérationnelles de l’Alliance et la nécessité de mettre au point des modalités de financement mieux adaptées aux missions à l’étranger.
5 - En insistant sur la « nécessité d’une coopération plus fructueuse avec « l’Union européenne », l’Organisation euroaméricaine souligne clairement en termes diplomatiques que les affaires continuent à ne pas aller très fort entre les deux rives de l’Océan atlantique.
L’Otan, dans sa volonté « philo-américaine » de contrôler le monde et d’en être le gendarme traditionnel, ne parvient pas à mettre en harmonie en tant qu’organisme international ses relations avec la Fédération de Russie. Elle est prisonnière des préjugés du passé. « Nos relations avec ce pays, vient de dire sa commission permanente à Bruxelles, restent en bute à des suspiscions et des erreurs de perception profondément enracinées. Des questions comme les droits de l’homme, la sécurité énergétique et les situations dans les pays voisins devraient être abordées avec franchise et dans un esprit de confiance mutuelle. »
C’est ici qu’apparaît clairement le fossé qui s’est creusé entre les deux rives de l’Atlantique. À l’Ouest, sur les rives du continent américain, on est dangereusement rétrograde. Du côté oriental, dans la vieille Europe, que l’on ne souhaite ne pas voir réaliser son unité politique et stratégique, on va de l’avant.
C’est ainsi qu’au même moment, le 23 septembre, avait lieu à Compiègne, au Nord de Paris, une des réunions tripartites franco-gernano-russes, prévues par l’accord Europe Unie-Russie de coopération signé en 1997. On y a entendu, en présence du président Wladimir Poutine, et de Mme Angéla Merkel, chancelière de la République fédérale d’Allemagne, Jacques Chirac déclarer : « Nous voulons aller de l’avant dans le cadre des réflexions qui sont celles de l’Union européenne, pour la réalisation de nos quatre espaces communs : économie, justice et affaires intérieures, action extérieure, culture et éducation. Ce sera d’ailleurs l’objet de nos discussions, à nouveau l’an prochain, dans le cadre de l’accord de partenariat Union européenne-Russie. »
« Nous avons abordé les questions qui concernent l’énergie, les infrastructures intereuropéennes, l’aéronautique, nos relations économiques », a précisé au cours d’une conférence de presse le président français.
« Nous avons évoqué les problèmes de la négociation avec l’Iran. Nous avons parlé du Liban et du Proche-Orient et du peuple palestinien. Et de la nécessité de favoriser la realisation de la paix dans cette région. »
Il en est de même en ce qui concerne « le dialogue méditerranéen » dont les pays des deux rives de l’Atlantique se disputent les faveurs par tous les moyens.
De mutation en mutation dictée par Washington.
« In principio verbum erat. » En 1945 à 1989, la parole fut toujours au plus puissant des vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale. Nos libérateurs, aux prix de destructions énormes dans les pays qu’ils sauvaient du joug hitlérien, avaient apporté un nouvel esprit de liberté et l’obligation pour les trois principales nations européennes - France, Grande-Bretagne et Pays-Bas - de démanteler « au nom de la morale » leurs empires coloniaux européens.
Tandis que le
« péril soviétique » disparaissait et que l’Union de l’Europe,
conséquence du Traité de Rome de 1958, prenait forme, les Etats-Unis, dont le
gouvernement Washington avait affirmé le contraire, tentaient progressivement
- et y réussissaient partiellement, grâce à l’état de leur puissance nucléaire - de
transformer l’Otan en un organisme de surveillance tous azimuts et de contrôle
de ses alliés européens. Il était devenu essentiel pour Washington que ce
troupeau de nations non nucléaires ne se dispersât pas, devant le danger
nucléaire soviétique. Seule du groupe des inconditionnels, la France, en
1996, refusa de jouer ce rôle de vassal et quitta la structure intégrée de
l’Otan pour conserver la pleine maîtrise de sa force de dissuasion nucléaire
sans avoir de compte à rendre à quiconque. Mais sous la conduite du général de
Gaulle, elle demeura cependant fidèle à l’alliance, comme ce fut le cas lors de
la crise provoquée en 1962 par l’installation par Moscou de missiles « nucléaires »
à Cuba.
Le virage
Depuis 1989, les temps ont changé, Après la disparition de l’Union soviétique et le pacte de Varsovie, l’Otan a progressivement perdu sa raison d’être en tant qu’alliance de défense. Après plus de cinquante ans de paix imposée par la terreur atomique, l’Europe se trouvait sans ennemi et la moitié de son territoire allait être libérée du joug communiste.
Il s’agissait pour le principal animateur de l’Alliance - le gouvernement de Washington - de maintenir la foi et le dogme : La fidélité des non-nucléaires et le dogme d’une union patronnée par l’hyperpuissance pour, officiellement, le bien de l’humanité. Entreprise qui paraissait contre nature dans la mesure ou le Pacte de Varsovie, l’adversaire de l’Alliance atlantique, avait disparu dans l’écroulement de l’URSS.
« Le pire est que nous n’avons plus d’ennemis », écrivait à cette époque un poète grec.
Il était urgent de trouver un nouvel objectif qui ne paraisse pas trop offensant pour la Fédération de Russie, puissance toujours nucléaire, et serait le ciment d’un atlantisme évanescent.
Faute d’avoir à défendre l’intégrité territoriale de ses membres, comme le prévoit l’article cinq du traité, le concept « d’intervention humanitaire » fut mis en pratique -avec l’inspiration américaine - quand la dislocation de la Yougoslavie provoqua un chaos sanglant dans les Balkans où les haines ethniques s’étaient libérées entre Serbie, Bosnie Herzégovine et Kosovo. Massacres, viols, pillages justifièrent l’intervention de l’Otan à laquelle participèrent également des forces françaises. L’Otan, affirmait-on alors à Bruxelles, ne devrait pas uniquement servir à défendre l’intégrité territoriale de ses membres, mais également à mener des « interventions humanitaires » en dehors de son territoire. La situation l’exigeait. C’était un virage dans lequel se mêlaient hardiment incertitude et hypocrisie diplomatique..
C’était la première fois que l’Otan intervenait en dehors du territoire couvert par le traité. Ce « nouveau concept stratégique » a été ratifié par la suite lors d’un sommet qui se tint à Washington à la fin du mois d’avril 1999.
L’Otan avait été la conséquence d’une alliance entre les cinq signataires du Traité de Bruxelles de mars 1948 et les Etats-Unis et le Canada, conclue avec le Traité de l’Atlantique nord signé en avril 1949 à Washington. L’apparition de la puissance nucléaire soviétique et ses entreprises de pénétration de l’Europe de l’Est avaient été des raisons incontournables pour inciter les alliés occidentaux de la Seconde Guerre mondiale à se regrouper pour défendre leurs intérêts vitaux.
D’autres pays s’y joignirent. La Grèce et la Turquie en 1952, la République fédérale d’Allemagne en 1955 déjà membre de l’UEO, depuis la conclusion du Traité de Bruxelles réformé en 1954, fondateur de l’Union de l’Europe occidentale. Le but de ce traité et de cette alliance était d’organiser un système de défense proprement européen.
Cinquante années plus tard, l’UEO a été intégrée( en 2000) dans l’organisation politique de défense et de sécurité de l’Europe unie. Parallèlement, une agence d’armement, dans le cadre de cette politique et une force d’intervention intereuropéenne de 60 000 hommes ont été créées, et fonctionnent, en 2006.
Faisant allusion à ces plans concernant sa sécurité, au cours d’une conférence d’information organisée récemment à Washington, un officier supérieur américain détaché à l’Otan à Bruxelles/Mons a estimé que « L’Union européenne persiste toujours à avoir sa force de réaction mais elle n’a pas de capacité hors de ses forces nationales. » Cette attitude n’est pas nouvelle, à la fin de l’intervention de l’Otan au Kosovo, un général venu du Pentagone a estimé que désormais les forces américaines et celles de l’Europe ne pourraient plus jamais combattre sur le même champ de bataille en raison de l’écart technologique qui les sépare. Évoquant ensuite en privé les relations des Etats-Unis avec la France et l’Union de l’Europe, il les a qualifiées de « toujours mauvaises » en soulignant que l’ambition permanente de la France était d’établir une « Nato européenne indépendante »
Interrogé sur qui était l’ennemi de l’Otan, il avait répondu, comme les rédacteurs de la déclaration de Riga, qu’en plus du terrorisme, il y avait l’instabilité du monde. Mais sans aller plus avant sur ce sujet.
Il avait souligné que les Européens avaient des problèmes avec les immigrants de leurs anciennes colonies parce qu’ils n’avaient pas su les intégrer comme citoyens. Se trouvant dans la capitale fédérale des Etats-Unis, il n’avait pas jugé utile de donner son avis sur le mur de 1500 km que gouvernement de Washington va faire construire le long du Rio Grande pour empêcher l’invasion du territoire américain par les immigrants clandestins mexicains.
De l’atlantisme à la tour de Babel
La capacité de l’Otan de contribuer à la prise en charge des nouveaux défis de
sécurité dépendra de la poursuite de sa transformation, affirme la déclaration
publiée un mois avant le sommet de Riga.
Les membres de la commission permanence de l’Otan qui l’ont publiée estiment qu’en dépit des guerres et des crises en cours, qui soulignent souvent une puissance limitée aux intérêts immédiats de chacun de ses membres, l’organisation atlantique recherche sa survie dans son expansion à travers le monde. S’agit-il d’une fuite en avant ?
Espère-t-on créer un nouveau concept de défense planétaire qui, de New-York aux antipodes, substituerait à l’atlantisme l’établissement d’une « organisation mondiale de défense » en créant de nouvelles formes d’association avec des « pays contributeurs non-partenaires », avec l’Ukraine en tant que partenaire stratégique, et avec, de l’autre côté de la planète, l’Australie, le Japon, la Nouvelle-Zélande et la République de Corée (du Sud), tous pays auxquels on prêterait l’intention de partager les valeurs de l’Alliance -en bref celles des Etats-Unis - et qui en apporteraient la preuve en étant présents aux côtés de forces de l’Otan an Afghanistan et dans les pays où elle décide d’intervenir ? Ce sont les mercenaires qui manquent le plus !
C’est ainsi qu’allongeant la liste des candidats possibles à cette entreprise, la commission permanente de Bruxelles/Mons affirme que l’Otan devrait rester ouverte à tous candidats - à des pays comme l’Albanie, la Croatie, l’ex-république yougoslave de Macédoine et la Géorgie... en vertu de la déclaration de Riga, qui suggère au prochain sommet de « s’atteler à l’élaboration d’une vision stratégique sur les perspectives d’élargissement à long terme ».
Contre qui, contre quoi, contre une Russie renaissante, concurrente des USA, contre une Chine à la conquête de grands marchés, comme le Japon des années trente à quarante et un ?
Le thème choisi pour la conférence de Riga, auquel les Etats-Unis ne sont certainement pas étrangers, est défini comme devant préparer « la transformation de l’Otan dans une ère nouvelle pour le monde ». La nouvelle ère dont il sera question est celle de la globalisation. Et dans ce cas précis, elle ne sera pas seulement économique et financière, mais également militaire.
Pendant ce temps, l’Union de l’Europe, quoiqu’affaiblie par sa trop rapide extension à vingt-cinq membres, poursuit lentement son chemin vers son intégration politique et diplomatique et stratégique, en dépit du manque de solidarité de certains de ses membres et des actions diplomatiques de sape menée par un atlantisme envahissant aidé par certains amis slaves du monde occidental qui ne voient aucun intérêt à voir battre en brèche, par le renforcement de l’Union européenne, la position dominante du puissant protecteur et bienfaiteur économique que représente pour eux la seule hyperpuissance qui existe, pour le moment, dans le monde.
Et comme on peut le dire
trivialement : il va y avoir du sport à Riga à la fin du mois !
© Bertrand C. Bellaigue -novembre 2006
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