Les îlots sociaux
Les politiques semblent tous regretter l’époque où la France était unie et patriotique. Parallèlement ils dénoncent le communautarisme. Je tente de montrer dans cet article que cet état de fait est dû à l’accélération des communications, qui empêche d’homogénéiser la société comme avant, et je tente d’avancer une solution politique au problème.

C’est un fait, la société évolue de plus en plus vers ce que les politiques appellent le communautarisme. Ce terme est généralement employé pour désigner le repli sur soi des communautés religieuses, mais la réalité est que l’ensemble de la société tend vers une communautarisation. Il suffit de regarder sur Internet le nombre de sites et de forum dits « communautaires » pour comprendre que le communautarisme extrémiste n’est qu’un cas particulier de communautarisme. Par la suite j’emploierai l’expression « îlot social » pour désigner une communauté.
Comment ces îlots sociaux se sont- ils constitués ?
Jadis, les moyens de communications (télé, presse...) étaient concentrés entre quelques puissants. Or, une communauté, qui est par essence un regroupement d’individus, ne pouvait se constituer que si ces gens pouvaient communiquer entre eux. La seule chose qui permettait aux communautés de se former était donc la proximité géographique. Pour qu’une communauté puisse exister, il fallait une certaine densité de population partageant les mêmes intérêts. C’est ainsi que l’habitant d’un petit village qui avait une passion exotique se retrouvait souvent seul pour la pratiquer.
Dans cet environnement, les médias de masse pouvaient se permettre d’imposer une culture commune à la population. Il est bien connu des historiens que c’est l’imprimerie qui a réellement crée la notion de nation. La télévision et la radio l’ont renforcée, tout en permettant l’émergence d’une culture populaire de masse. Dans ce sens, on peut dire que les médias ont uniformisé le mode de pensée de la population et créé la société actuelle, avec un paroxysme lors de la seconde moitié du XXe siècle.
Puis est arrivé Internet. Ce petit outil a eu plusieurs effets dévastateurs sur les fondations de la société. On peut même dire qu’il l’a minée :
- Abolition des distances : cette propriété permet à des communautés de se créer, et de vivre là où cela aurait été impossible. La communauté des développeurs du logiciel libre Linux n’aurait par exemple eu aucune chance d’apparaître sans Internet, car dans de nombreuses villes, il n’y avait parfois qu’une seule personne intéressée par ce type de développement. Nul ne peut douter que cette communauté a apporté d’énormes bienfaits à l’humanité en rendant le logiciel abordable pour tous.
- Abolition du temps : sur Internet, tout va vite, tout change, en permanence. Un nouveau disque sera éclipsé par le suivant en quelques heures. Le cerveau n’a pas le temps de s’imprimer de toutes ces créations culturelles. La culture devient une culture de l’instantané. On en jouit sur le moment, mais on cherche la nouveauté en permanence. Du coup, il est très difficile de créer une culture commune entre les individus. Après tout, si l’on n’avait pas rabâché les disques de Johnny à longueur d’antenne pendant trente ans, il ne resterait probablement pas grand-chose de cet artiste.
La longue queue
Vous pensez peut être que j’affabule, mais ce que j’avance est en train d’être remarqué par les gens du marketing qui doivent s’adapter à ce changement de société pour mieux vendre.
Chris Anderson a écrit un livre fort intéressant intitulé The long tail ou La longue queue. Ce livre traite de marketing. Et il tente de démontrer comment le marché des médias s’est radicalement transformé en quelques années. Les marchés de niches qui jusqu’ici n’intéressaient personne ont explosé, tandis que les marchés tout-venant (musique de hit parade, série B) se sont littéralement effondrés. Le livre donne de nombreux exemples réels, et est étayé de statistiques qui tendent à prouver :
- qu’il est de plus en plus difficile de vendre un article conçu pour plaire à l’ensemble de la population
- qu’il est de plus en plus facile de vivre sur un marché de niche si l’on a bien ciblé sa communauté
- que les distributeurs qui font un gros chiffre d’affaires sur Internet sont ceux qui ont un large choix de produits qui, individuellement, se vendent très peu.
Ainsi, en musique, les ventes de hit-parade s’effondrent. Mais dès que l’on attaque des genres très précis, on note une étonnante créativité. C’est ainsi que certains festivals vont réussir à ramener plusieurs dizaines de milliers de personnes pour voir des artistes inconnus du grand public. (Sensation Black d’Amsterdam, par exemple). Cela aurait été impensable il y a seulement quinze ans.
Les conséquences
Nos concitoyens vivent donc de plus en plus dans des mondes parallèles. Le monde dans lequel vit un citoyen est de plus en plus façonné par les communautés qu’il fréquente, beaucoup plus que par la culture de son pays.
Cela crée de considérables difficultés pour les politiques qui ne sont pas habitués à traiter ce problème. Certains vont se tourner vers le clientélisme, alors que ce faisant, pour contenter un îlot, ils vont mécontenter une bonne partie des autres.
D’autres vont au contraire vouloir restaurer l’autorité et les valeurs, sans comprendre que cela ne peut qu’échouer, car tous les jours, une force puissante pousse vers la destruction de l’ancienne société. En effet, comme l’a dit de façon visionnaire (dans les années 1690) le sociologue Marshall McLuhan, le média est le message, ce n’est pas le contenu qui affecte la société, mais le canal de transmission lui-même. Ce nouveau média qu’est Internet s’est ainsi introduit dans « la galaxie Gutenberg » et il en mine tous les jours les fondations. Car des valeurs trop rigides, faute de pouvoir plier, finissent par se rompre. D’où la perte des valeurs traditionnelles et leur remplacement progressif par de nouvelles valeurs.
La seule solution va alors être d’assouplir la société pour éviter de la rompre. Cela implique de simplifier au maximum les règles de vie commune, et de redéfinir l’Etat comme un simple service permettant aux différents îlots sociaux de cohabiter. Cela inclut essentiellement la justice, la police et quelques services d’infrastructures minimaux. Une telle société pourrait s’approcher de celle prônée par l’idéologie libertarienne et minarchiste. Avec un Etat minimum juste là pour garantir les libertés des citoyens.
Notez bien que je ne parle pas de communautarisme de masse comme le communautarisme religieux, et surtout je ne parle pas de communautarisme exclusif. D’où mon emploi de l’expression îlots sociaux. C’est bien l’individu qui reste au centre du modèle, en choisissant librement les îlots auxquels il va appartenir, et en acceptant leurs règles, sans contrainte.
Conclusion
Loin d’être un phénomène réservé aux extrémistes religieux, le communautarisme touche toutes les franges de la société. Avec des aspects extrêmement bénéfiques à côté des effets caricaturaux présentés par les politiques. Ce communautarisme est poussé par Internet et s’installe progressivement comme une force dans la société nouvelle.
Il pose une menace pour l’Etat tel qu’on le connaît aujourd’hui, mais il est tout à fait envisageable de continuer à vivre en bonne entente dans le pays avec le communautarisme. Les idéologies libertariennes et minarchistes apparaissent comme une bonne réponse à ce problème.
43 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON