Parallèlement et périodiquement depuis les "années fric", les médias et
analystes nient cette façon de voir qui pourtant perdure chez eux (comme
d’ailleurs d’autres classifications dépassées telles les CSP, établies après la
guerre et complètement déconnectées de la réalité actuelle.. mais ce problème-là, même s’il a un rapport direct avec la politique et la vision que nous en
donnent les médias, n’est pas le sujet de cet article).
En période non électorale, la différence essentielle qui s’exprime tous les
jours à l’Assemblée nationale est la connaissance ou non de l’entreprise par les
députés. Une minorité connait le monde des entreprises pour y avoir travaillé ou
en venir tandis que l’autre n’en a qu’une vision partielle via les rapports,
études et théories qui sont portés à sa connaissance.
En période électorale, ce schisme disparaît car, d’une part l’économie des
entreprises intéresse peu les électeurs à convaincre (elle intéresse plus les
électeurs déjà convaincus) et, d’autre part, la discipline de partis réoriente
ses soldats et obligés vers la politique communément qualifiée de
politicienne.
En lisant, écoutant et même analysant les discours de M. Sarkozy et des
autres candidats, notamment Mme Royal ou M. Bayrou, un autre clivage essentiel des
personnels politiques en 2007 apparaît. Il s’agit de la manière de concevoir son
rôle politique, comme dirigeant/manager ou comme représentant du peuple.
Par une bizarrerie dont l’Histoire est coutumière, on retrouve à notre
époque une sorte d’affrontement "1789" tel qu’il est décrit dans les livres
scolaires.
D’un côté, on a le pouvoir en place (représenté par M. Sarkozy), avec tous
les caciques du régime (ministres en place, ministres des gouvernements
précédents, hommes et femmes politiques de droite présents depuis plus de 20 ans
en politique) et les puissants (grandes entreprises, medias).
M. Sarkozy ne présente pas vraiment de programme mais plus sa personnalité
et sa prétendue capacité (définie et encensée par son équipe, ses supporters et
sa communication) à diriger le pays.
De l’autre côté, on a des candidats qui pour la plupart s’appuient sur un
programme, co-élaboré avec le peuple (y compris par l’intermédiaire de débats
ou d’écoutes de la population - une résurgence des cahiers de doléances de 1789 ? -
dont ils se veulent les représentants.
Bien sûr, M. Sarkozy dit lui aussi être le représentant du peuple mais son
attitude, son histoire personnelle, la manière dont il exerce le pouvoir et
surtout ses mots (dont le fameux "il ne me reste qu’une marche") montrent bien
que pour lui, l’élection n’est pas le moyen, le chemin pour appliquer un
programme ou même une doctrine (qui pourrait d’ailleurs en définir une sans
faire le grand écart entre la communication de "rupture", les promesses faites
aux différentes corporations et l’équipe dont il s’est entouré ?) mais plutôt un
aboutissement pour sa personne et un trône où il pourra montrer sa capacité de
chef régnant.
Mme Royal ne se place pas du tout dans cette optique puisqu’elle essaie de
mettre en avant les résultats de ses débats participatifs et son pacte. Mais les
journalistes, qui aiment d’avantage les combats, querelles et affrontements de
personnes, en parlent peu et lui reprochent implicitement sa focalisation sur
le contenu en mettant en avant soient les inévitables querelles internes soit
l’absence regrettée dans sa campagne des habituels bretteurs de gauche comme M. Fabius et
autres héritiers de la gauche opposante d’avant.
Mme Royal se veut représentante du peuple et de ses doléances. c’est
son discours, c’est son attitude. Elle se voit comme projection aux manettes de
la population française. Elle n’a pas dans cette optique à s’interroger sur sa
stature puisque celle-ci lui est donnée, dans sa logique, par son rôle de représentante du
peuple.
M. Bayrou avait la même attitude au début de la campagne et c’est quand il
est entré dans le jeu classique d’affrontement entre personnalités que les
médias ont commencé à en parler comme du troisième homme et maintenant comme
d’un concurrent sérieux pour Nicolas Sarkozy. Il est le seul à avoir dans ce début de
campagne les deux aspects.
La grande question est finalement : veut-on un chef, un
manager, en y cherchant les qualités de dirigeant, les capacités de réaction et
de conduite du navire France, ou veut-on un programme avec des servants et un
chef d’équipe ?
Quand on écoute les analystes et les sociologues, les Français veulent du
changement dans la manière de faire de la politique ; ils veulent à la fois plus
de responsabilité pour les élus et les pouvoirs locaux et, bien que le "plan" ait été
supprimé, plus de lignes directrices pour l’action générale afin d’empêcher les
débordements et surprises causés par le contexte mondial. ; et cela va dans le sens d’une "dépersonnalisation" de la fonction présidentielle au profit de la mise en avant de la fonction de rouage de l’Etat et de l’administration dans son ensemble.
On reste toutefois très attaché en France aux personnalités comme le
montre la sympathie dont bénéficie Jacques Chirac qui a toujours su utiliser et
mettre en avant sa préférence pour les personnes et les histoires humaines
plutôt que pour les dogmes et programmes en sortant périodiquement du rôle qu’il occupe en théorie.
Dans les autres pays, les deux types de pouvoirs existent.
On voit d’évidentes ressemblances entre M. Berlusconi, M. Poutine, M. Bush
et M. Sarkozy : pragmatisme politique tournant autour du principe "je m’adapte,
l’important c’est que JE décide" et culte de la personnalité selon la culture locale.
On peut constater par ailleurs les caractéristiques proches qu’ont les attitudes
de Mme Royal, de Mme Merkel, de M. Prodi et de M. Zapatero (ces trois derniers ayant
mis en avant leurs idées et leurs programmes devant leur personne pour être
élus).
La lutte entre "programme et personne" ou "contenu et contenant" est donc
indécise.
Il y a même fort à parier que plus la campagne approchera de son terme et plus
les deux aspects seront pris en compte par les deux favoris pour éviter de tout jouer sur un aspect.
M. Sarkozy devra quand même avoir du contenu et un programme autre que
quelques mesurettes destinées à agrémenter des articles de journaux et Mme Royal
devra faire apparaître sa personnalité et ses capacités par d’autres moyens
qu’une mains serrée sur l’estomac et un sourire de madone.
En d’autres termes, Madame Royal devra se lâcher et rappeler avec ses mots
qu’elle a de l’expérience, notamment une expérience internationale importante,
puisqu’elle a préparé beaucoup de rencontres internationales pour M. Mitterrand
(ce que les médias prompts à la prendre pour une bécassine internationale
oublient souvent... comme ils oublient d’ailleurs de mentionner les bourdes de M.
Sarkozy et son inexpérience internationale)
M. Sarkozy devra, lui, prononcer moins de phrases dont il est le sujet et
plus d’explications sur le programme qu’il entend proposer (ce qui risque de
poser un problème entre la nature attendue du programme "redressement, rupture"
et son équipe et ses soutiens qui ne sont pas spécialement des hommes nouveaux
(M. Mehaignerie, M. Fillion, Mme Alliot-Marie, M. Santini, M. Balladur pour ne
citer qu’eux). Le fait qu’il soit de facto le candidat de la majorité sortante l’oblige aussi à répondre du bilan (il est à ce sujet "marrant" de constater que déjà en
1993, à la victoire aux législatives, M. Sarkozy parlait déjà de redressement de
la France.. Savoureuse vidéo d’un affrontement entre Mme Royal et M. Sarkozy ici :
http://www.youtube.com/watch?v=TrsK6Au_IT0 )
A l’inverse, M. Bayrou, qui louvoie entre les deux aspects depuis le
début, sera obligé en fin de compte de choisir.
S’il met trop en avant sa personnalité, cela l’empêchera de solidifier son
socle et pénalisera l’UDF lors des législatives (les députés UDF ont besoin
d’une alliance avec l’UMP). S’il met trop en avant son programme, les électeurs
pourraient s’apercevoir lors de débats que des positions de principe modérées
entraînent automatiquement une inertie de fait à cause des contraintes
extérieures qui amortissent toujours les projets (on ne traverse pas une rivière
en partant du point situé en face de celui qu’on veut atteindre !)
Jouer sur
les deux aspects laisserait les nouveaux
sympathisants devant la vitrine sans savoir par quelle porte entrer, donc
s’approprier la candidature et voter.
Une bonne fin de campagne sera pour M.
Bayrou le résultat d’une réflexion pour savoir quel aspect privilégier pour
perdre le moins possible l’élan qui l’entraîne lui et l’UDF (à moins qu’un
accord de dernière minute avec des promesses pour les législatives et un
ministère ne le fasse retourner dans le giron de la droite... M. Sarkozy en est
bien capable)
Tous ceux qui désespèrent de la perte
d’importance du contenu au profit du contenant ont donc jusqu’à la dernière étape de la campagne pour enfin savoir qui est le plus fort grâce à cette
bataille dont les lieux sont innombrables (médias, internet, rues, esprits,
inconscients).
C’est en effet sur la première partie de campagne
que se construit la fin et l’on verra quelle approche a eu la meilleure mise en
orbite pour la dernière ligne droite. A ce titre, les sondages pourront pour une
fois se révéler utiles.
On pourrait aussi penser déterminer après les
élections qui du contenu ou du contenant a gagné mais, comme d’habitude, le
gagnant réécrira l’Histoire ... qui pourrait bien, comme pour 1789, faire
ressortir finalement ensuite l’autre facette que celle qui a gagné.
Ne connait-on pas mieux les hommes de la Révolution
que leurs idées ? Ne connait-on pas mieux les idées et les principes de la
royauté que les rois de France ?