Les tourments de Luc Ferry
Hier, le philosophe a été invité à venir s'expliquer à Matignon.
Il a voulu faire le malin dans une émission à large audience. Il a osé mettre en cause « un ministre ». On va voir ce que l'on va voir.
À l’origine de cette convocation, un article du Canard Enchaîné qui affirme que l'ancien ministre reçoit un salaire de 4 499 € net par mois par l'université Paris-VII alors qu'il n'a assuré aucun cours.
Dans cette atmosphère délétère que traverse la France, il est curieux que Matignon se bouge aussi rapidement. Peut-être importait-il de circonscrire ce "feu de broussaille" et de régler quelques comptes, de faire un exemple.
Tous en rang pour la prochaine présidentielle, et dans l'ordre !
Le Canard, organe de presse indispensable et à la réjouissante lecture, aurait pourtant dû donner à ses lecteurs assidus, une information complète.
Luc Ferry est loin d’être le seul dans ce cas.
Les détachements sont légion au sein du Ministère de l’Éducation nationale. Ils font partie d’une certaine tradition française, les différents régimes politiques comptant ainsi acheter la paix sociale ou se constituer des réseaux particulièrement dévoués.
C’est le système de la MAD (mise à disposition) dont bénéficient quelques centaines de structures en France.
À part les syndicats, souvent de gauche, ce sont les associations d’Éducation Populaire qui bénéficient de ce traitement de faveur.
On y trouve les FRANCAS (abréviation de Franches et Francs Camarades, terme tombé en désuétude depuis), les CEMEA, la Fédération Léo Lagrange, pour ne citer que les plus connus.
La plupart sont réunies au sein du CNAJEP (Comité national des Associations de Jeunesse et d’Éducation Populaire).
Mais on en trouve également dans l’environnement, la culture.
On trouve surtout ces MAD au sein de la Ligue de l’Enseignement, superstructure associative, qui a construit son réseau sur ces salariés dont elle n’a pas à payer les salaires.
N’importe quel président d’une association souhaiterait pouvoir bénéficier, même pour un temps limité, de cette facilité.
Mais les associations dont l’action est essentiellement basée sur le bénévolat n’ont pas cette chance.
Ainsi, des instituteurs et des professeurs, certifiés ou non, et qui ne supportent pas le face à face pédagogique dans une classe surchargée en effectif, trouvent-ils là une possibilité de carrière souvent plus passionnante et surtout plus valorisante.
Ce n’est pas qu’ils y fassent des merveilles car ils reproduisent souvent au sein du milieu associatif les mêmes fonctionnements qu’au sein de l’Éducation nationale.
C’est ainsi que la Ligue de l’Enseignement a pu, au cours des ans, prendre en charge des pans entiers de l’action associative, parfois sans la moindre concertation avec les associations voisines qui ne peuvent aligner les mêmes effectifs dans les comités et réunions de tous ordres organisés par les collectivités territoriales et l’État.
La Ligue de l’Enseignement a désormais sa propre compagnie d’assurance, sa propre agence de voyages et de séjours linguistiques, vendus aussi cher que n’importe quelle boite privée à but lucratif.
Ses responsables au niveau national cachetonnent, comme les autres, politiques non renouvelés dans leurs mandats par des électeurs décidément bien peu reconnaissants, syndicalistes sur le retour, au Conseil Économique et Social (CESE).
Ce faisant, ils perçoivent une indemnité mensuelle supérieure au salaire de Luc Ferry.
Mais ils diront que c’est pour la bonne cause et répondront, pour les plus audacieux, qu’il n’y a plus de MAD.
Pardi, ils ont négocié avec l’État une subvention d’un égal montant, ce qui leur permet d’assurer les salaires.
Pour les syndicats, la chose est entendue. Ils ne l’avoueront pas franchement mais, lorsqu’un professeur ou un instit se lasse d’affronter des générations de bambins de plus en plus effrontés, il s’offre la carrière de mise à disposition pour devenir syndicaliste.
S’il faut condamner Ferry, s’il faut le convoquer publiquement pour le remettre au pas, il faut en tirer toutes les conséquences.
Il faut avoir le courage d’aller regarder dans les comités d’entreprises, dans les associations, dans les syndicats et analyser, évaluer (le mot est à la mode) les véritables apports que représentent « les détachés » pour le bien commun.
Concernant Luc Ferry, le Canard a eu tort d’appeler cela un emploi fictif. Il n’a pas pu s’empêcher de surfer sur l’actualité en dénonçant ce qu’il croit être un avantage et qui n’est qu’une pratique usuelle au sein des grandes administrations.
Ou alors, il lui fallait être juste et dénoncer les errements et les exagérations, les confusions des genres et les copinages qui dévoient cette superbe conquête sociale qu’est la Loi de 1901, véritable exception française.
Mais il est vrai que Luc Ferry s’est créé de véritables et pérennes ennemis au sein du monstre froid qu’est l’Éducation nationale et ses mouvements affidés lorsqu’il était ministre.
Il a aggravé son cas, à gauche comme à droite, avec son livre, « Comment peut-on être ministre ? » (Plon, 2004).
Alors, parce qu’il s’est laissé aller sur le plateau du Grand Journal, décidément bien une émission de divertissement, à des confidences qui n’avaient pas lieu d’être, il fallait le lui faire payer.
C’est fait.
Pendant ce temps, la dette court et va bientôt nous étouffer. Le système financier européen s’écroule doucement mais sûrement.
Les réacteurs de Fukushima s’enfoncent peu à peu dans le sol avec leur magma mortel. Les Syriens crèvent sans que personne ne hausse le sourcil.
Mais l’histoire Luc Ferry, ça c’est du bon, Coco, c’est du lourd…on va s’amuser.
Il est président délégué du Conseil d'analyse de la société (CAS), un organisme placé auprès du premier ministre.
Un penseur de son acabit au ton aussi libre sera toujours plus utile à ce poste que les différents "fromages" que la République reconnaissante tolère et encourage, à tous niveaux, sans rien exiger en retour qu’un silence servile.
Paul Lémand
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