Les yeux dans les voeux
On ne change pas une équipe qui gagne : Nicolas Sarkozy finira l’année comme il en a passé la majeure partie, en direct à la télévision. L’ostentatoire président présentera ses vœux à ses « chers compatriotes », à sa façon, loin sans doute de celle de ses prédécesseurs.
Du haut de ces talonnettes, presque huit mois d’histoire de France vous contemplent. Déjà. Pour fêter cela, ce soir, l’homme qui adore Louxor et les chanteuses sans voix, sacrifiera à la tradition des vœux. Dans un court laïus, qui ne devrait pas excéder 6 ou 7 minutes, selon ses conseillers, le président en mouvement nous souhaitera une bonne et heureuse année, en insistant sans doute sur ceux qui souffrent, comme il l’avait déjà fait lors de son premier discours d’après élection, le 6 mai au soir. Ce soir, devant les caméras de toutes les télévisions, le nouveau chéri de Carla s’adressera donc aux aveugles, paralytiques, lépreux, pestiférés, non-voyants et autres mal-logés, miséreux, sans le sou, exclus, égarés, laissés pour compte, démunis, sans défense, orphelins, cul de jatte, sourds et muets que l’on devine, parfois, d’une statistique à l’autre, sans que l’on sache véritablement si tout empire ou rien ne s’arrange. Ce soir, Nicolas le bellâtre (qui sur ses dernières photos de villégiatures avait manifestement rattrapé les centimètres qui le séparaient encore hier de la tête de sa nouvelle compagne), Nicolas le tombeur saura trouver les mots, et les gestes, et l’accent pour parler à cette France qui doute, cette France qui se cherche, cette France qui voudrait bien gagner plus, se lève tôt pour cela, mais ne récolte que des soucis, du stress ou de la frustration. Il va lui dire, à cette France-là, que 2008 sera son année, que cette fois-ci ça y est, le temps est bien venu de voir s’exaucer les vœux.
Ainsi, en 2008, le plein emploi devrait envahir la France, la croissance repartir, Ingrid Betancourt revenir, le terrorisme se dissiper, les pêcheurs repêcher, le service minimum empêcher les blocages dus aux grèves, les riches devraient moins payer d’impôts, Johnny revenir sur sa décision d’arrêter la scène en 2009, Jean-Marie Bigard se voir nommer cardinal, Kadhafi recevoir le prix Nobel de la Paix, Marielle de Sarnez rejoindre l’UMP, Ségolène Royal prendre la tête du PS, Carla quitter Nicolas qui pourrait aller se consoler dans les bras d’une présentatrice télé dont on taira le nom. En 2008, certaines choses, par contre, ne changeront pas, Air Bolloré sera encore préféré à Easy Jet pour le déplacement du premier homme de France, qui arborera toujours une Rollex à son poignet, qui portera des Ray Ban, qui parlera de temps à autre aux poissonniers comme une poissonnière, qui jurera bien des fois de punir les coupables et protéger les innocents, qui assurera de son soutien Rachida ou Rama ou François, qui ouvrira son gouvernement un peu plus à gauche encore, et toujours plus au centre, ou ce qu’il en reste. Qui conservera son art de brouiller les pistes, d’embrouiller les foules, d’enfumer les auditoires et d’ensabler les portugaises pour que ne se voient pas trop ses échecs, ses oublis ou ses manques. En 2008, Sarkozy sera fidèle à lui-même, l’expérience en plus, les Municipales par-dessus et une opposition qui ne pourra que renaître, même difficilement, même du bout des lèvres. Deux possibilités s’offriront alors à lui : se bonifier, ou se bouchonner.
On a passé l’intégralité de l’année 2007 avec cet homme de taille modeste, d’abord candidat pressé, puis vainqueur éclatant, et enfin jouisseur arrogant. On a passé l’année presque complète avec cette bourrasque-là, devenue inévitable, intarissable, inusable. Une « modernisation » spectaculaire de ce qu’on appelait encore au début du mois de mai « la vie politique » et qui s’est subitement mué en antichambre du show-biz, avec ses paparazzi et ses coups de théâtre, ses photos volées et ses rumeurs, ses divorces et ses liaisons cachées. Sarkozy n’est pas le seul responsable : Royal y est aussi pour beaucoup. L’affrontement entre les deux, impitoyable et inégal, impitoyable parce qu’inégal, aura ringardisé les troisièmes larrons, Le Pen et Bayrou, pseudo-dynamiteurs transformés d’un seul coup d’un seul en pétards mouillés, à courte mèche et poudre sèche, bien incapables de faire « bouger les lignes », comme ils le prétendaient pourtant. Le match Royal-Sarkozy restera comme le grand tournant de la politique française, virage serré et sans prisonniers qui a changé la donne, modifié l’horizon, rien de moins. Que ces deux combattants-là, différents mais complémentaires, en soient remerciés. Ils ont rendu la politique frivole, gaie, abordable et intéressante, comme peu de candidats avant eux. Ils ont fait voter les Français comme jamais. Ils ont pulvérisé les codes, piétiné les conventions, sinon parfois les convenances. Vainqueur, Sarkozy en a bien sûr rajouté, dans l’outrance, dans la provocation, dans l’excès. Appliquant sans réserve son adage favori « plus c’est énorme, plus ça passe », le locataire d’Elysée a davantage rappelé Paris Hilton que de Gaulle, Super Dupont que Guy Môquet. Mais même là, il est difficile de lui en vouloir complètement. Ses vacances à Malte, ou à Louxor, ses déplacements en jet ou sur un yacht, sa villégiature américaine ou sa romance chez Disney, tout cela, ce cirque, ces « clinquances » n’auront pas suffi à rendre le personnage complètement antipathique. On attend plutôt la suite, avec une certaine forme d’impatience, dans Voici ou dans Gala, dans Paris Match ou dans Les Echos, chez le coiffeur ou chez le dentiste, avec PPDA ou Michel Drucker.
On passera l’année 2008 avec cet homme pas très grand, mais très agité, avec encore quelques vacances bruyantes, peut-être quelque rupture consommée, ou bien un mariage presque princier. On ne sera pas surpris : le style Sarkozy est désormais connu, et les années qui viennent vont confirmer la tendance, sans que l’on puisse dire aujourd’hui si c’est un bon ou un mauvais présage. Le spectacle, de toute façon, doit continuer. Vive la République, vive la France !
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