Lettre à l’intention de nos chers candidats
Sachant qu’en général les politiques que nous avons ne font pas grand-chose pour la France, une fois élus, le problème vient peut-être du fait qu’ils ignorent qui sont les Français, et comment réformer. Tentative d’explications pour une France en mouvement... Après les élections.
Qui sont les Français ? Grave et complexe question à priori, qui tarabuste beaucoup de politiques à l’heure actuelle. Question qu’il faut néanmoins se poser. En effet, si j’ai bien compris, vous voulez gouverner la France, et peut-être mieux encore, la présider. C’est déjà beaucoup d’avoir une si grande ambition, car la France va vous demander beaucoup d’amour. De l’amour, oui, bien avant même toutes les choses fort intéressantes d’ailleurs, que vous nous proposez dans vos projets et programmes. Mais peut-on présider à la destinée d’un grand pays comme la France, sans savoir qui sont les Français, et en partant de l’idée préconçue qu’ils seraient ingouvernables, pour cause « d’indiscipline » ?
Je ne crois pas. Je pense au contraire qu’on n’a pas besoin d’être un grand politique pour connaître la France, mais qu’on peut être un grand politique si on connaît les citoyens. Le meilleur exemple de cette théorie est bien sûr ce Béarnais, que nous aimons vous et moi, qui devint le « bon roi Henri ». Je pense que les Français ne sont pas ingouvernables, mais qu’il s’est passé quelque chose qui fait qu’aujourd’hui, nombreux sont les politiques qui ne savent pas « gouverner ».
La raison est simple : ils ne connaissent pas les Français ! (Ou peut-être ne veulent-ils pas les connaître, mais ça c’est une autre question) Par conséquent, il n’y a rien de surprenant si les choses vont si mal du côté de la politique, et si la France, qu’on ne doit cependant pas enterrer, tombe.
Quand on ne sait pas ramer, c’est connu, on largue les amarres. Vous, chers candidats à la présidentielle, je ne suis pas certaine que vous connaissiez bien les Français. Sinon, vous auriez compris pourquoi les Français ont voté « non » au référendum de 2005, pourquoi si souvent les Français sont partagés en deux, et pourquoi votre parti existe.
Afin de mieux comprendre ce peuple qui comptera sur vous, si vous faites ce qu’il faut pour cela, il est à mon sens fondamental de revenir sur un événement de notre Histoire, qui va vous clarifier immédiatement la pensée des Français. La Révolution ? Non. On en parlera plus tard. Mais pour commencer il faut aller voir Jules César. Ca y est ? Vous y êtes. Il est là sur son cheval, le grand César, et il approche de la Gaule. Que font les Gaulois ? Ils « élisent » un chef : Vercingétorix. Mais les « Gaulois » sont ils un peuple unifié ? Non. En général, il y a des tribus un peu partout. Bref, il n’y a pas d’unité. Et voilà. Vous venez de faire connaissance avec les Français. Ils vivent de manière individuelle, mais appellent des terres différentes, qui appartiennent à des peuples différents... La Gaule ! Ils ne se parlent pas, se combattent...Mais voilà qu’arrive Jules et ses romains, et ils se rassemblent autour de la bannière du chef des Arvernes !
On continue ? Voici le temps des féodalités. Bref, c’est un peu le coup des tribus gauloises en amélioré, et un peu plus d’unité du territoire : le royaume franc. La belle terre des Francs est en danger ? On choisit un « roi ». Il ne doit pas trop embêter les féodaux, mais assurer. l’indépendance du royaume ! Charles V au pouvoir. Et un petit traité, qui préconise des « lois fondamentales du royaume » : vous avez dit « indivisibilité » ? « Unité » ? Non, non, nous ne sommes pas en 1789, mais en pleine guerre de Cent Ans.
Bon, je passe un peu vite. Voici la Révolution. La France sera « indivisible » mais on crée les départements, et on ne touche pas aux communes (d’Ancien Régime rappelons-le) ! XXIe siècle : une France unie mais qui cherche à s’émanciper du « centralisme » étatique ! Des citoyens français, mais qui sont d’un « pays » nommé Carcassonne ! Lille ! Angoulême !
Bilan : les Français sont des personnes qui aiment les équilibres. Ni soviétiques ni américains. Ni individualistes ni collectivistes. Ni socialistes, ni libéraux. Rien de tout cela : Français, tout simplement ! Nous sommes les deux ! D’ailleurs, regardez nos chefs d’Etat : de Gaulle, le défenseur de la France, mais qui la met au sein de l’Europe, Pompidou qui se dit porteur du message du Général mais tient compte de "l’esprit de Mai", Giscard le président "centriste", Mitterrand le plus droitiste des présidents de gauche, Chirac le plus "gauchiste" des présidents de droite.
Les Français seraient-ils donc des admirateurs du "ni ni" ? Non.
Les Français ne veulent pas d’un coup à gauche, un coup à droite, ils veulent les deux ! Ils ne veulent pas de "ni ni" mais de "et et". Cela Henri IV, Napoléon et de Gaulle l’avaient compris.
Les Français ont besoin de communion, de se rassembler, de partager un destin commun, unique, différent, un rêve à eux. Rien qu’à eux...Qui ne soit pas partagé par les autres Européens, qui n’appartiendrait qu’à la France. Ils aiment l’Europe, mais ne veulent pas que ce soit la seule alternative.
Les Français ne sont pas individualistes, ils ont une préférence pour la responsabilité collective. Les Français aiment Rousseau, et regardent avec méfiance Tocqueville. Les Français aiment faire partie d’un tout, d’une culture, d’un groupe, tout en ayant la possibilité de s’en écarter ou d’en revenir. Bref, que cette unité soit le fruit d’un choix, non celle d’une décision arbitraire, comme se fut le cas en URSS.
Les Français veulent un garant de cette unité, de ce petit miracle français qui les fait se trouver sur un territoire phénoménal, où ils peuvent choisir une vie individuelle, mais revendiquer dans le même temps une appartenance à la patrie, tout en gardant en leur cœur la « petite patrie ». Ce garant et notre Histoire le montrent très clairement, c’est d’abord le chef, ensuite le seigneur, puis le roi, et enfin l’Etat. Une institution quasi sacralisée, symbole, malgré ses grandes difficultés et l’exaspération croissante, d’une continuité dans la « protection » de la France. Les Français remettent ainsi le destin collectif à cet organe un peu mystérieux, se chargeant de leur côté (car ils ne restent pas inactifs) de garantir leur propre destinée et de donner le nécessaire pour que le garant puisse assurer la charge qui est la sienne.
Rousseau a le génie de faire du collectif, de la communion de l’intérêt général, le possible retour du bonheur entre les hommes contre les passions et les égoïsmes, mais sans sacrifier la liberté. Il concilie le privé et le social. Cet équilibre s’incarne dans la loi, dans le pacte social, ce pacte que les Français passent avec eux-mêmes. Mais là où le génie français est formidable, c’est que la France n’a pas pris le risque du collectivisme absolu, du communisme. La fin de la propriété, c’est la fin de l’identité de l’homme, le retour au servage. La France, contrairement à l’URSS, a compris cela et a fixé des bornes au principe d’égalité. Elle refuse la soumission, mais ne sombre pas non plus dans la domination. Dès lors, la liberté peut s’exprimer. Vient alors s’insérer dans le système la seconde exigence française, la liberté. Elle peut souvent paraître contradictoire avec l’égalité. C’est là que vient s’ajouter la fraternité, qui n’est rien de moins que le nœud qui soude l’égalité avec la liberté.
Les cinquante dernières années de l’équilibre de la terreur de la guerre froide ont permis à la France d’être cette troisième voie, cet autre choix entre l’Est et l’Ouest. Un centre de paix et de prospérité où la liberté d’entreprise devenait conciliable avec la solidarité.
Mais voilà, et il va falloir que vous le compreniez, un nouveau modèle tente de s’imposer : le modèle libéral. Du coup, ne pas s’aligner devient problématique, inquiétant. Et c’est la crise d’identité, un peu comme lorsqu’on a perdu l’empire colonial, ou que la France a lâché Louis XVI.
Rassurez-vous, chers candidats. La France est capable de se redresser, si vous empêchez vos copains de la clouer au lit. La France n’a plus l’impression d’incarner grand-chose. Que font par conséquent les citoyens ? Eh bien ils s’opposent à ces deux modèles - communiste social et libéral - qu’on veut leur imposer. La France ne veut pas choisir alors évidemment, ses enfants suivent... C’est l’évidence même !
Et c’est ce qui explique que les Français refusent le Yalta politique (s’il existe, en apparence, un "clivage gauche-droite", en réalité les choses sont différentes, à l’intérieur des partis (ex DSK, Fabius), à l’intérieur du "clivage" (ex : Dupont-Aignan et de Villiers, des traits communs mais beaucoup de différences néanmoins).
...Et qu’ils aient voté en majorité « non » à votre traité constitutionnel. (en grande partie). Ce n’est pas parce que le monde accepte un modèle dominant, libéral, que l’on va l’accepter les yeux fermés ! Il manquait cet élément si cher aux Français qu’on appelle l’équilibre.
Vous savez pourquoi les Français sont si épris de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen ? Parce que justement elle respecte cet équilibre. Equilibre, mais aussi indépendance. C’est la condition sine qua non si vous voulez franchir les grilles de l’Elysée. Regardez donc notre Histoire et vous verrez que ce n’est qu’une longue et grande quête d’indépendance à la fois d’ordre privé et d’ordre collectif, associée à une recherche constante de l’unité, d’où la necessité de la communion entre les citoyens (comme pour la Coupe du monde).
Lisez votre traité constitutionnel... Vous verrez que la France se fait croquer sa souveraineté et que le super empire, chéri de Bruxelles, est en totale opposition avec le désir d’unité. Comment voulez-vous donc que les Français soient pour ? Ce que veulent les Français ? Démontrer que l’on peut faire autrement, différemment, sans renier les réalités mais en gardant une différence, une longueur d’avance.
Bilan : ce que désirent au fond les Français n’a rien de compliqué : ils veulent de la politique. Du possible. Et non pas seulement du souhaitable. Le problème ? Depuis trente ans, vous faites en général n’importe quoi (en tout cas vos partis respectifs). Et si les politiciens que vous êtes devenient des politiques dignes de ce nom ? Heureusement que vous n’avez pas connu Machiavel ou Talleyrand !
Que faites-vous pour l’heure ? Vous gérez, minimisez les risques, scrutez les réactions de la rue, des syndicats, des médias ; vous vous réfugiez dans les théories, les dogmatismes, et les idéologies... tellement plus faciles !
Bref, il semble que vous n’ayez pas encore compris que les Français attendaient de la politique, et non des expédients. (Ou du moins, vous l’avez compris, mais saurez-vous faire de la politique ? C’est ce que j’espère. Je précise : une "petite phrase", ce n’est pas de la politique.)
La France est en quête de sens. Si vous voulez devenir président, il va falloir lui en donner. Et le sens pour la France, c’est la recherche de l’équilibre. Toute politique sera bonne si elle respecte cet équilibre. Si on fait trop de social, les Français désigneront ceux qui profitent du système. Si on privilégie trop les fortunés, même chose, les Français crieront au scandale.
Que faut-il faire alors ? Les deux, bien évidemment, c’est-à-dire une fusion de bonnes idées. Si par exemple on prend le cas du problème du logement en France, on va avoir d’un côté Nicolas Sarkozy qui va défendre les propriétaires, au nom de l’aspect constitutionnel du droit à la propriété, et de l’autre, Ségolène Royal qui va nous assurer être pour les réquisitions sans contrepartie au nom du droit au logement. Bref, à priori c’est l’impasse. Sauf que non, il y a une troisième voie...Celle qui consiste à mettre tout le monde d’accord. Est-ce impossible de faire des "pourparlers" en politique ?
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