Mais où est donc l’esprit des lois ?
Est-il encore dans la
lecture de Montesquieu, auteur du mondialement célèbre « Esprit des
lois » (1748) ? Est-il du côté de Nicolas Sarkozy qui impose
son style ou encore dans la
démarche de Paul Quilès, socialiste, auteur d’une proposition de loi adoptée le
18 mai 2006 en première lecture par l’Assemblée nationale, et qui veut redonner
à la loi force et crédibilité ?
D’abord un constat
partagé : trop de lois tuent la loi.
« Les lois inutiles
affaiblissent les lois nécessaires », déclarait déjà Montesquieu (De
l’esprit des lois).
Précisément, le texte de
Quilès vise à combattre l’inflation des
normes législatives inutiles. « Les lois trop nombreuses
dévalorisent la loi. Elles dévalorisent un Parlement déjà peu favorisé par la
Cinquième République, à la fois dans son texte fondateur, tel que conçu en 1958
et tel que modifié en 1962, et dans sa pratique. » (Rapport N° 3075 du
10 mai 2006 à l’Assemblée nationale).
Le rapport montre aussi du
doigt la mauvaise applicabilité : Les lois non applicables constituent plus
de 50 % de l’ensemble législatif, les lois partiellement applicables 40 %, et
les lois applicables seulement 10 % ! (Source : Sénat, Contrôle de l’application des lois, 57e
rapport Année parlementaire 2004-2005)
Il faut ajouter que ce qui
tue aussi la loi, c’est le mauvais usage de certaines procédures. Ainsi la
promulgation de la loi sur l’égalité des chances par le président de la
République qui demanda de ne pas appliquer l’une de ses dispositions (celle concernant sur le CPE) !
Après cela, Esprit des lois,
si tu es encore là, frappe trois coups !
« Esprit des lois, frappe
le premier coup ! » Pour rappeler le principe de séparation des
pouvoirs.
- Ce
principe cher à Montesquieu, qui disait « Il n’y a point encore de
liberté si la puissance de juger n’est pas séparée de la puissance législative
et de l’exécutrice », a été repris strictement dans le régime
présidentiel américain. L’article 16 de la
Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 le
proclame : « Toute Société dans laquelle la garantie des Droits
n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de constitution. » Enfin, ce principe est le premier garant de l’Etat de
droit.
- Mais l’indépendance de la
Justice semble aujourd’hui menacée. Le 19 juin 2006, Nicolas Sarkozy écrit
à Jean-Pierre Rosenczveig, président tribunal des enfants de Bobigny. C’est la
première fois qu’un ministre de l’Intérieur apostrophe un président de tribunal.
« Ces attaques basées sur des informations erronées constituent une atteinte
violente et jamais égalée au principe de la séparation des pouvoirs », dit alors
un juge. Les deux principaux syndicats et les douze juges des enfants du
tribunal de Bobigny saisissent le Conseil supérieur de la magistrature.
- François Bayrou nous propose
de regarder au-delà des seuls pouvoirs institutionnels classiques cités
par Montesquieu (le législatif, l’exécutif, le judiciaire) et, dans une lecture
plus moderne, nous alerte sur l’importance prise par les autres pouvoirs : "Je
suis pour qu’on sépare le pouvoir politique, le pouvoir économique, le pouvoir
médiatique", a-t-il déclaré à l’université d’été
de son parti à la Grande-Motte (Hérault) faisant allusion à la médiatisation
excessive et abêtissante des candidats Royal et Sarkozy et aux liens étroits de
ce derniers avec les puissances financières et les médias.
Le principe de l’Etat de
droit suppose aussi l’existence d’une hiérarchie des normes, et le principe
d’égalité des sujets de droits.
« Esprit des lois, frappe le deuxième
coup ! » Pour réaffirmer le respect de la hiérarchie des
normes.
L’existence d’une hiérarchie des normes respectée est
l’une des plus importantes garanties de l’Etat de droit. Mais ici règne un
certain désordre aussi. Un exemple : Les normes européennes dans certains
domaines (ainsi l’environnement) sont peu appliquées en droit interne par la
France. Un autre : Notre gouvernement se substitue au législateur en
prenant des ordonnances. La raison invoquée est l’encombrement du Parlement, la
nécessité d’aller vite ou la nature impopulaire des mesures. Mais il est
anormal que le recours à ce procédé soit de plus en plus fréquent et qu’il se
traduise parfois par l’intrusion dans le
domaine « réservé » de la loi. Troisième exemple : Le fichier ELOI, créé pour recenser les étrangers en situation irrégulière
ainsi que ceux qui les hébergent, a été pris sur simple arrêté du ministère de
l’Intérieur au risque de méconnaître gravement l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme, ainsi que la loi Informatique et libertés. Le Conseil d’Etat a été saisi d’un
recours.
Faut-il craindre une dérive
de l’Esprit des lois vers l’esprit d’ELOI ?
« Esprit des lois, frappe le troisième
coup ! » Pour mieux asseoir l’égalité des sujets de droit.
L’égalité des sujets de droits - sinon de citoyens,
du moins d’humains - subit aujourd’hui des entorses. Ainsi, la circulaire des
ministres de l’Intérieur et de la Justice du 21 février 2006 exige des préfets
et des procureurs "des interpellations aux guichets de la préfecture,
au domicile ou dans les logements, foyers et les centres d’hébergement » et
jusque dans les blocs opératoires des hôpitaux. L’Etat est-il fondé, au vu du seul respect formel des règles, à
porter atteinte au respect de la vie familiale, de la vie privée, de négliger les
risques en cas de retour au pays et ses conséquences sur la santé ?
On doit cependant reconnaître
à Sarkozy une tolérance plus grande que celle de Montesquieu, que je cite
ici : « De petits esprits exagèrent trop l’injustice que l’on fait
aux Africains. Car, si elle était telle, qu’ils le disent, ne serait-il pas
venu dans la tête des princes d’Europe, qui font entre eux tant de conventions,
d’en faire une générale en faveur de la miséricorde et de la pitié ? »
(De l’esprit des Lois, XV, 5)
Les débordements de langage
reprochés à Sarkozy (« racaille », les délinquants au stéréotype du
« grand noir ») ne sont rien en comparaison de ce que disait
Montesquieu : « On ne peut se mettre dans l’esprit que Dieu, qui
est un être sage, ait mis une âme, surtout une âme bonne, dans un corps tout
noir. »
Mais Montesquieu a aussi
dit : « La crainte est un ressort qu’il faut ménager ; il ne
faut jamais faire de loi sévère lorsqu’une plus douce suffit. » En
cela n’aurait-il pas admis le bien-fondé et le maintien du statut spécial accordé
aux mineurs délinquants par l’ordonnance de 1945 ? Statut que Sarkozy veut
réformer voire vider de son contenu ?
Alors où se trouve l’esprit des lois ?
Pas en tout cas dans cette
citation de Montesquieu qui dit « La liberté est le droit de faire ce
que les lois permettent. » En vertu
de ce principe, les citoyens ne pourraient faire que ce que les lois autorisent,
alors que la liberté consiste au contraire à faire tout ce qui n’est pas
interdit par la loi (voir l’article 4 de la Déclaration de 1789) et qui ne nuit
pas à autrui.
Si une
certaine rigueur est nécessaire sur les questions de délinquance et
d’immigration, si aborder ces domaines requiert un certain courage politique,
la médiatisation excessive et la précipitation ne sont guère des manifestations
de l’esprit des lois. L’est bien davantage le projet de Paul Quilès, d’ailleurs
voté à l’unanimité par l’Assemblée. Cette loi, si elle devient définitive,
permettra au Parlement d’assurer un véritable contrôle de l’application
et d’évaluation des lois qu’il vote. En instaurant des mécanismes
efficaces du suivi de l’application des lois, le Parlement en mesurera les
effets, de même qu’il pourra vérifier que les dispositions adoptées restent
conformes à l’esprit de la loi.
Rapport : http://www.assemblee-nationale.fr/12/rapports/r3075.asp
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