Mitterrand : explication de texte
L’affaire Polanski a déclenché les turpitudes de notre ministre de la culture. Un soutien hâtif à un homme qui ne le méritait pas, en raison des éléments factuels soutenus par la justice d’une puissance étrangère amie. Il s’agit là d’une erreur et d’une faute qui justifieraient la démission d’un ministre de la République car elles portent le discrédit sur notre Nation. Mais nous sommes en France, et on ne démissionne pas. Malheureusement, devrait-on ajouter. Frédéric Mitterrand ou Bernard Kouchner, qui s’est rendu coupable de la même inconséquence, ne sont donc en rien différents de leurs pairs ; ils s’inscrivent dans un long héritage monarchique. Et la voix de la France peut toujours s’égosiller dans le désert aphone : la République est une entreprise unipersonnelle. C’est le message envoyé par l’Elysée.
1. L’affaire du passage de la mauvaise vie
Je n’ai pas lu le livre, je ne savais même pas que Frédéric Mitterrand avait écrit un tel ouvrage jusqu’à ce qu’Agoravox publie l’article d’Omnibuzz. D’ordinaire, la vie privée et les commérages ne m’intéressent pas. Mais, selon le passage présenté par Omnibuzz, Frédéric Mitterrand aurait eu une relation tarifée avec un enfant ou un adolescent en Thaïlande. C’est le groupe nominal « jeune garçon » qui permettait de déduire l’implication de mineurs sans doute aucun. J’ai donc mêlé ma voix aux accusateurs car on ne touche pas à un enfant. Or, il s’avère que dans l’édition originale - le livre écrit par Frédéric Mitterrand -, l’adjectif « jeune » n’a jamais été associé au nom « garçon », et cela change tout. Je vous propose donc une explication de texte à l’aide des outils que fournit la grammaire pour prouver qu’en réalité, rien ne permet d’associer Frédéric Mitterrand à la pédophilie. Il faut donc que cesse cette rumeur.
Quatre champs lexicaux (ensemble de mots qui s’inscrivent dans un thème) dominants se conjuguent pour donner sens au texte : l’argent, la misère, le sexe et la jeunesse. Bref, un homme « riche » exploite la misère de jeunes gens pour assouvir ses fantasmes.
Les noms communs « gosses », « éphèbes », « étudiants » renvoient-ils à la pédophilie ? Pas nécessairement. Un éphèbe était un garçon de 15 à 20 ans ; c’est aujourd’hui un synonyme de jeune homme beau et vigoureux. Un étudiant est un garçon majeur, même s’il est vrai que de nombreux lycéens se déclarent « étudiants » par préciosité. Les noms communs « garçon », « gosse » ou encore « gamin » sont couramment employés par des entraîneurs sportifs pour qualifier leurs protégés de 20 ans et plus. J’entends encore Pape Diouf, ex président de l’OM, parler de la prestation de ses « garçons ». Par extension, cela appartient au registre des sexagénaires qui parlent de la génération précédente sur un ton affectueux et/ou paternaliste. Quand on a 30 ans, on est un gosse. On emploie même le néologisme adulescent. Voilà pour la dénotation. Le passage de Mitterrand aborde la jeunesse ; ni l’enfance, ni l’adolescence.
Nous sommes en présence d’un roman autobiographique. Il s’agit donc d’une œuvre littéraire qui, comme toute œuvre littéraire, n’énonce pas la vérité mais le vraisemblable. Le narrateur demeure un personnage distinct de l’auteur, malgré le trouble que suscite la focalisation interne : le lecteur ne sait rien de plus que le narrateur-personnage dont il partage les pensées. Dans l’incipit (le début) des Confessions, Rousseau passe avec ses lecteurs ce que Philippe Lejeune a nommé, « le pacte autobiographique » : l’auteur promet de dire toute la vérité, les bons côtés comme les mauvais. Tous les auteurs d’autobiographie essaient de respecter ce pacte. Or, il s’agit d’une démarche impossible et vaine pour des problèmes qui relèvent de la transfiguration poétique, de la psychologie cognitive et de la philosophie ; le conflit entre le sujet et l’objet pour cette dernière discipline.
La mémoire se reconstruit en permanence, ce n’est pas un disque dur qui stocke fidèlement les données. Combien de patients, influencés par les questions de praticiens lors de séances de psychanalyse, ont cru avoir été violés ou maltraités ? D’autre part, le cerveau ne fait pas bien la distinction entre le vrai et le faux, c’est pourquoi nous réagissons physiquement aux scènes d’action que projette notre écran. C’est le fameux réflexe de survie (affronte ou fuis) hérité de notre cerveau reptilien. Quand on écrit sur un vécu ancien, on ne fait donc qu’interpréter ce vécu en fonction de son état présent : on ne révèle pas ce qui s’est passé, c’est rigoureusement impossible. Rousseau a lui aussi interprété les faits qu’il a vécus, le sens qu’il leur a donnés et tous les étudiants qui ont analysé Les Confessions ont pu noter la distance entre la vie de l’auteur et ses écrits. Tout auteur est un peu schizophrène, sinon il ne saurait écrire.
Il y a une dimension supplémentaire à considérer lorsqu’on analyse un texte littéraire, et c’est là qu’intervient la transfiguration poétique. Est qualifié de littéraire un texte qui fait une large place à la fonction poétique du langage, la capacité créatrice de la langue. La littérature est donc un jeu de création linguistique, pas uniquement la construction d’un schéma narratif (le déroulement de l’histoire) ou actanciel (le rôle-type attribué aux personnages). Pour analyser un texte littéraire, il faut donc rechercher les effets de style, les sonorités, les connotations, les symboles, l’intertextualité (…) au-delà de ce qui est écrit, y compris dans une autobiographie. Or, Frédéric Mitterrand maîtrise parfaitement son style et les effets poétiques y sont nombreux et raffinés. On ne peut condamner un auteur parce que son style suscite chez le lecteur l’évocation (représentation mentale du monde physique en l’absence de sa perception) des scènes avec l’effet souhaité ! Ce qui m’amène à relever une allitération (répétition d’un son consonne) en G dans le passage incriminé, par l’emploi des mots « garçon », « gosse » et « drogue ». Remplacer le mot « gosse » par « jeune homme », « homme » ou autre mot dépourvu de G n’aurait pas provoqué de synesthésie : garçon, gosse et drogue ne sont rien d’autre que la déflagration d’une grenade dégoupillée que reçoit dans sa gueule le lecteur. Je viens à mon tour de commettre une allitération en G, un effet poétique. Le talent en moins. Mitterrand voulait partager avec le lecteur le profond désordre dont il était l’objet à cette époque là, la tension qu’il éprouva entre le désir et l’interdit. Lorsqu’il a écrit ce passage, Mitterrand a réactualisé ses souvenirs, il les a transfigurés, pour ensuite les confronter avec le jugement moral de l’homme qu’il est devenu, et il en a mesuré la portée. Cela ne se fait qu’a posteriori. Difficile de vivre le présent et le juger en même temps. Mitterrand ne fait donc pas l’apologie du tourisme sexuel, mais il nous livre le témoignage d’une expérience troublante d’un homme en proie au doute, avec une étonnante sincérité. Il nous a fait entrer dans la partie animale de l’homme qui existe en chacun de nous. Nul doute qu’il ait voulu s’inspirer de Rousseau.
A la lecture de l’extrait incriminé du livre de Frédéric Mitterrand, il est parfaitement impossible d’affirmer que notre ministre de la culture ait eu des relations sexuelles avec des mineurs. Seule demeure la supputation parce que la prostitution enfantine fut effectivement pandémique en Thaïlande entre les années 70 et 90. Mais le doute ne tient pas lieu de preuve, et s’il fallait condamner sur la foi du doute (antithèse), nous serions alors tous coupables de quelque chose. Mitterrand n’a pas écrit « jeune garçon ».
Demeure alors le problème de l’exploitation de la misère humaine par un riche occidental. A la frontière de plusieurs cultures, et soucieux de m’étonner (de cet étonnement philosophique dont parle Jeanne Hersch), je crois jeter sur le monde un regard multipolaire, que je veux objectif et ouvert, sans que me soit forcément révélée la vérité. Mais, en matière de prostitution, les choses ne sont pas aussi simples qu’on pourrait le croire, et on aurait tort de condamner sans chercher à comprendre.
Il y a plusieurs formes de prostitution. La prostitution régulière d’abord. De nombreux prostitués (hommes, femmes, travestis) sont les esclaves de réseaux plus ou moins maffieux. Ils sont enlevés ou achetés à leur famille. On les trouve dans des lieux parfaitement déterminés ; l’un de ceux dont parle Mitterrand. Mais notre auteur en parle trop bien. La réalité est beaucoup plus ridicule que vulgaire ; il faut être sous l’effet de l’alcool, de drogues ou vraiment perdu pour être excité par les spectacles proposés sur fond de musique techno. Cette forme de prostitution est effectivement condamnable puisqu’il s’agit bien d’exploiter la misère humaine pour assouvir ses besoins sexuels ou ses fantasmes, et on entretient alors la criminalité. Pas certain qu’on y pense toujours et plus que la répression, il faut de l’éducation. D’autres prostitués travaillent en solo ou pour leur famille ; ils le font de mauvaise grâce. Que les clients ne se laissent pas abuser par les sourires coutumiers de ces dames (ou hommes). Pour que le client revienne, il faut devancer ses désirs et se montrer entreprenante, souriante. Ce cas trahit également l’exploitation de la misère, mais de façon plus nuancée. D’autres prostituées ont le choix d’exercer une profession honorable, mais elles préfèrent l’argent facile que procurent les passes, tant qu’elles sont jeunes. Le client n’exploite donc pas la misère humaine dans ce cas. Le rapport au corps est aussi différent. La culture judéo-chrétienne et ses tabous, la littérature courtoise et ses mensonges, n’ont pas fait leur lit dans les pays africains et asiatiques que j’ai connus. Faut-il rappeler que le preux chevalier qui libère sa belle du dragon est un mythe ? Les chevaliers étaient au contraire d’odieux bandits, pilleurs et violeurs, qui se sont appropriés les terres des paysans au haut moyen-âge. Si l’on cherche aujourd’hui du romantisme, il faut aller en Pologne. On s’y conduit avec la plus extrême délicatesse.
Et il y a les « occasionnels » que rien ne distingue du commun des mortels. Vous êtes seul, vous prenez un verre dans un établissement chic, ou vous faites des achats, on vous aborde, la conversation s’engage, la séduction est à l’œuvre. Il ne s’agit donc pas d’une chasse libidineuse, c’est beaucoup plus subtil, c’est une histoire humaine. Ceux qui sont allés dans ces pays vous diront que les contacts sont faciles et chaleureux, au contraire de nos pays froids et impersonnels, minés par la solitude anonyme. Lorsque le sexe parachève cette rencontre, ce qui n’est pas toujours le cas, il n’est pas automatiquement tarifé. Et cet échange se conclut même par des histoires d’amour. Il faut alors payer une dot à la famille de la jeune femme. Toutes ces filles attendent en effet d’être emmenées en occident. Ce cas, loin d’être rare (il n’y a pas que le « no money no honey »), ne relève pas de l’exploitation de la misère humaine. C’est un jeu de dupes qui réunit deux acteurs. Je crois que l’image qui siérait le mieux à ce genre de relation est celle d’un homme qui entretiendrait une maîtresse. Chaque histoire est unique.
Qui est l’homme (et de plus en plus la femme) type qui pratique le tourisme sexuel ? Il n’existe pas. Le riche, le pauvre, l’éduqué, l’analphabète, le jeune, le vieux, le timide, le dépravé, l’habitué, le candide, le beau, le moche, celui qui se tient bien et l’autre qui se comporte mal. Sans compter le contingent d’occidentaux qui travaillent dans ces pays et fréquentent les filles de façon occasionnelle. Une étude sociologique sur les Français de l’Etranger conclurait à un impressionnant taux de divorce ou d’infidélité. Que font les hommes seuls qui partent trois ou six mois pendant que leur femme reste en France ? Ce ne sont pas des pays où l’on vit par procuration devant son poste de télévision. Ce sont des pays de relation humaine comme nous n’en connaissons plus en France, dans nos villes de solitude où tout est soumis à des règles strictes, des normes et des tabous, où la liberté est surveillée et sévèrement encadrée, où il faut papiers et autorisations pour l’acte le plus insignifiant.
S’il y a effectivement une misère pécuniaire dans les pays d’Afrique et certains pays d’Asie, il y a une misère sexuelle et relationnelle dans nos pays occidentaux qui explique ce tourisme. Nous avons troqué la chair contre la matière. Les sondages sur la fréquence des relations sexuelles qui placent les Français parmi les premiers sont tout simplement faux. Le mode de vie occidental, l’individualisme et la difficulté des relations qu’il entraîne sont un frein à l’épanouissement. La majorité des occidentaux qui vont dans ces pays pour assouvir leurs fantasmes y vont aussi pour trouver des relations humaines même s’ils n’en ont pas forcément conscience. Pour prévenir les attaques que je devine, je précise n’avoir jamais fait de tourisme sexuel – je n’aime pas les conquêtes faciles -, mais je connais ces pays, et effectivement j’ai fréquenté ces quartiers parce que c’est une expérience à tenter. Comme on irait visiter Pigalle. Et je préfère largement
Il ne s’agit donc pas ici de défendre la prostitution ou le tourisme sexuel, mais d’expliquer combien les choses sont compliquées. Elles sont en tout cas très éloignées des reportages de journalistes en mal de sensations, même si le pervers existe. En fait, comme souvent, tout dépend de la nature de l’individu, de ce qui le pousse à agir, de son système de valeur, de son état affectif et moral du moment…
La fréquentation des prostituées serait-elle le seul fait des occidentaux ? Rien de plus faux. Les clients locaux sont nombreux. Il y a même de plus en plus de filles des pays de l’Est, victimes de réseaux maffieux, qui sont livrées à la clientèle locale. Ceux qui sont allés visiter le Laleli d’Istanbul et vu ses Natasha me comprendront. L’occidental ne détient donc pas le monopole du vice.
Frédéric Mitterrand a-t-il commis une erreur, une faute ou un crime en recourant à la prostitution en Thaïlande ? Nul autre que les témoins directs ne sauraient le dire car cela dépend des circonstances, comme expliqué plus haut. Avoir des relations sexuelles avec un mineur est intolérable car ce dernier n’est pas en mesure de donner un consentement libre et éclairé. Exploiter la misère d’adultes prisonniers de réseaux maffieux est également inadmissible. Mais quand deux adultes échangent leur consentement libre et éclairé, la nature de leur relation ne concerne personne d’autre que les intéressés. La morale psychorigide est aussi dangereuse que l’absence de morale.
S’il fallait condamner Mitterrand parce qu’il a eu une relation tarifée avec des thaïlandais, il faudrait aussi condamner nombre de nos jeunes soldats basés à l’Etranger. Car leurs parents ou épouses ne sauraient ignorer qu’ils ne passent pas seuls les longs mois de campagne. C’est fréquent, mais évidemment pas automatique. L’armée informe d’ailleurs fort bien ces recrues sur la nécessité de se protéger. Et que dire de ceux qui utilisent les services de rencontre ? Il s’agit là aussi de relation tarifée.
Si le soutien de Frédéric Mitterrand à Polanski est effectivement une erreur et une faute politiques, son livre ne saurait lui porter préjudice. Après tout, le sexe et l’argent sont effectivement plus ou moins au cœur de nos systèmes !
2è affaire : le soutien au filleul
D’après les éléments présentés par la presse, Frédéric Mitterrand aurait agi en faveur de son filleul, condamné par la justice française pour viol. Je crois que nous pouvons tous reconnaître à Frédéric Mitterrand le sens de l’amitié quand les amis s’en vont souvent lorsqu’on a besoin d’eux. Mitterrand, au contraire, a porté son concours dans des circonstances graves, et on devrait lui en attribuer le mérite. C’est le témoignage d’un homme sensible et loyal.
Seulement, le ministre de la culture aurait rédigé sa lettre privée sur un papier officiel, et promis d’utiliser sa fonction pour aider son filleul. Mitterrand aurait donc engagé la notoriété et la responsabilité de l’institut qu’il dirigeait. J’imagine que si j’en avais fait autant, mes associés m’en auraient tenu rigueur. Malheureusement, encore une fois, le mélange des affaires privées et publiques mine trop souvent le paysage politique français – le ministre de la culture est loin d’être le premier ou le seul à s’adonner au mélange des genres-, signe qu’il y a quelque chose de pourri au royaume du Danemark. Je ne crois pas que Mitterrand ait agi avec malignité, mais avec inconséquence et légèreté, certainement. Si l’on peut condamner le politique, épargnons l’homme.
Pour finir, oui,
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