Moderniser la démocratie française : changer les institutions ou les comportements ?
La participation forte aux élections présidentielles de 2007 ne doit pas masquer la crise de confiance, de défiance et quelquefois de mépris dont les élus font l’objet depuis de nombreuses années. Dans ce contexte, le débat sur la réforme des institutions débute. Les partisans de changements mineurs s’opposent aux tenants d’une sixième République. Pourtant, tout se passe comme si la discussion était réservée aux professionnels de la politique. Comme si les changements institutionnels pouvaient se limiter aux rapports institutionnels entre l’exécutif et le législatif, à l’organisation des instances représentatives. La problématique devrait aller bien au-delà. Les relations entre la République, les élus et les citoyens sont au coeur de ce débat sur la modernité. Il ne pourra pas être conduit efficacement si on fait l’économie d’une réflexion sur la légitimité du politique.
Les premières réflexions du monde politique ou des membres de cette commission restent pour l’instant trop générales pour espérer changer véritablement l’esprit de notre démocratie. Or, c’est bien de cela dont il s’agit. L’introduction d’une dose de proportionnelle ou la suppression du poste de Premier Ministre ne corrigent que partiellement la crise de la représentativité et de la légitimité. C’est aussi largement une crise de la responsabilisation des élus. Les théoriciens affirment que le vote remplit déjà ce rôle de sanction. Mais, les campagnes électorales sont souvent des moments de création de rêves, plus ou moins réalistes, plutôt que des débats d’idées. La modernisation de la démocratie française passe donc par d’autres régulations et d’autres comportements. Les enjeux sont essentiels, tant sur le plan de l’identité nationale, que sur l’influence de la France dans le monde. Notre pays ne peut s’affranchir des règles des grandes démocraties qui ont tendance à se standardiser en Europe et dans le monde.
I) La démocratie de la responsabilité existe-t-elle ?
Chaque siècle porte des valeurs spécifiques. Sous l’influence anglo-saxonne, le XXIe est celui de la responsabilité. Quelle que soit la situation que l’on occupe dans la société, chacun doit être responsable de ses actes. Cette évolution concerne tous les domaines de la vie sociale. L’environnement, la pédagogie ou la parenté doivent aujourd’hui répondre à la même exigence éthique. Cela se traduit en politique par une demande sociale latente de changements dans l’exercice de la démocratie et des mandats électifs qui pour l’instant est loin d’être satisfaite.
Le principe de responsabilisation et les valeurs de la démocratie
La mondialisation n’est pas seulement économique. Elle est aussi politique dans les pays développés du Nord. L’influence américaine se traduit par la standardisation et la normalisation de la pensée. Parmi les valeurs transmises par les États-Unis, le principe de responsabilité des élus est sans doute le moins compatible avec la culture française. Pourtant, il s’impose comme une valeur universelle de la modernité dans de nombreux pays. La démocratie porte en elle le principe de responsabilité des élus devant le peuple. Mais, chacun sait qu’au moment du vote, peu d’électeurs se décident en fonction des résultats obtenus par l’élu. Les campagnes électorales se cristallisent souvent sur deux ou trois enjeux et l’ensemble du débat tourne alors autour de ces questions.
Dans la société actuelle, il n’y a plus guère que les politiques et les juges qui s’affranchissent de leur responsabilité. Les dirigeants défendent leur résultat devant un conseil d’administration. Les sportifs connaissent l’heure de vérité au moment de la compétition. L’étudiant obtient la sanction de son travail après les examens. Pourquoi l’homme politique ne rend-il jamais de comptes à ses électeurs, sauf en cas d’erreur majeure ou de malversations évidentes ? Au niveau national, comme au niveau local, l’électeur attribue rarement à l’élu les errances et les erreurs commises pendant son mandat. Seuls les maires payent comptant une mauvaise gestion de la ville. Mais, la « prime au sortant » compense en général les erreurs de l’édile. Au fond, tout se passe comme si chaque élection était un éternel espoir et qu’après 10, 20 ou 30 ans de mandat, les citoyens ne pouvaient toujours pas évaluer les compétences des élus. À écouter les promesses des hommes politiques, l’action publique change la vie des citoyens. La diminution du taux de chômage, le taux de croissance..., seraient le résultat de décisions politiques, donc également de leur responsabilité. D’une collectivité territoriale à l’autre, d’un mandat au suivant, les résultats divergent. Or, le principe de responsabilisation reste très théorique en France, contrairement aux autres grandes démocraties.
Les enjeux pour la démocratie
La déresponsabilisation n’est pas le seul fait des élus. Le comportement des électeurs entretient une forme « d’impunité politique ». Pourquoi contraindre un candidat à présenter son bilan, si les citoyens eux-mêmes ne s’y intéressent pas avant leur vote ? Les annonces de François Mitterrand sur l’éradication du chômage en 1981 ou les promesses de Jacques Chirac sur la réduction des prélèvements obligatoires en 2002, sont devenues des cas d’école pour les étudiants de sciences politiques. La majorité des électeurs se décide souvent en fonction d’une sensibilité, souvent familiale, de l’espoir d’amélioration rapide de sa situation personnelle et du sentiment, plus ou moins confus, des compétences du candidat ou du travail réalisé.
Qui se souvient des promesses de l’élection précédente ? Tenues ou oubliées, elles influencent faiblement le vote. En conséquence :
- les élus ne sont donc pas incités à l’action, surtout pas à long terme et engagent peu de réformes structurelles sans un retour de popularité immédiat ;
- les citoyens n’améliorent pas leur niveau de conscience et leur exigence de résultats. Ils se laissent convaincre par les projets démagogiques qu’ils ont envie d’entendre ;
- les incompétents ne sont pas sanctionnés, n’hésitent pas à se représenter et la classe politique se renouvelle difficilement et n’intègre pas la diversité française.
La démocratie française apparaît donc à l’extérieur comme anachronique. L’influence française n’est pas renforcée par cette curieuse image de fonctionnement passéiste.
Les évolutions de la société
Aujourd’hui, les conséquences de l’irresponsabilité sont immédiates. Paradoxalement, la mondialisation renforce le pouvoir des nations. Les Etats construisent un environnement économique plus ou moins favorable à l’activité économique. C’est aujourd’hui la véritable source de pouvoir géostratégique. Si les structures internationales se développent et définissent une rationalité supranationale, les Etats restent libres de s’adapter plus ou moins rapidement. Les dirigeants anglais ont compris depuis longtemps que le monde était devenu libéral et qu’il ne servait à rien de résister. Qu’il valait mieux corriger l’impérialisme américain plutôt que d’essayer en vain de le changer. A contrario, les Français s’accrochent depuis trop longtemps à un supposé modèle universel de solidarité et de redistribution avant même la création de richesses. Force est de constater qu l’on ne retrouve nul part ailleurs ce « modèle français ».
Mais, seuls les principes d’une démocratie sont universels. L’exercice au quotidien dépend plus de la culture et de l’histoire politiques. L’expérience anglo-saxonne doit être relativisée dans l’environnement français. La théorie de la justice de John Rawls fait sens aux Etats-Unis ou au nord de l’Europe. Dans un environnement plus latin, ses axiomes restent plus neutres parce que l’identité française est construite autour de trois fondamentaux :
- la centralisation pour donner le pouvoir au Prince unique du Royaume. Les décentralisations successives n’ont jamais été que des concessions du pouvoir central ;
- la langue française pour créer une unité et un patrimoine commun dans un Etat divers et écarté entre la Méditerranée, la Flandre et l’Allemagne ;
- l’immigration et l’intégration pour enrichir la culture et l’économie.
II) Qui doit changer : les hommes politiques ou les électeurs ?
La vie politique française ressemble de plus en plus à la société du spectacle, annoncée par Guy Debord. En soi, ce n’est pas un problème. Par contre, cette réalité suppose d’imaginer les nécessaires mécanismes démocratiques afin d’éviter de dénaturer les vertus du système et d’imaginer des contre-pouvoirs plus efficaces. La commission de révision des institutions devrait aussi porter la modernisation des rapports entre le citoyen et les élus. Les trois propositions ci-après sont destinées à ouvrir le débat et à imaginer les moments dans lesquels une démocratie directe peut s’exprimer.
Une agence des promesses pour évaluer les élus
En premier lieu, pourquoi ne pas contraindre les candidats à une élection à formaliser leurs trois principales propositions sous forme d’engagements précis, voire chiffrés, et les obliger à inscrire les résultats de leurs actions précédentes dans la profession de foi ? Au moment où ils sollicitent un nouveau mandat, il apparaît normal de demander « des comptes ». On éviterait ainsi les promesses démagogiques. Les électeurs seraient invités à réfléchir avant de voter. Et surtout, on inciterait les élus à avoir une réflexion sur l’efficacité de décisions pendant leur mandat.
On peut même imaginer une agence des promesses, chargée d’enregistrer puis d’évaluer les résultats obtenus au moment du renouvellement du mandat. Si un peu moins d’hommes politiques en faisaient une profession exclusive « ad vitam eternam », l’engagement et le retrait de la vie politique dépendraient moins de leur réseau que de leurs résultats. Il ne peut s’agir de sanctionner mais simplement de contraindre à informer. Si les élus s’engagent sur des objectifs concrets et que les électeurs sont attentifs aux résultats de l’action, alors le contrat entre le candidat et le citoyen s’établit sur une autre base que la démagogie ou le rêve. L’agence des promesses modifierait le contrat social français en traduisant concrètement l’argument lockéen d’un État garant de l’organisation de la vie collective, tout en respectant les droits individuels de chacun.
Une démocratie directe plutôt que des jurys populaires
Bien sûr il y avait la proposition de Ségolène Royal d’instituer des jurys populaires pour exercer le droit de contrôle de l’action publique. Au-delà du caractère démagogique de la proposition, destinée à flatter les sentiments antipoliticiens, la nécessité d’instances délibératives, au sens de Ricoeur, demeure. L’obligation annuelle de faire le bilan des actions de l’année est une proposition plus réaliste et moins démagogique. Les moyens médiatiques existent : journaux, radios, blogs ou télévisions locaux sont des supports naturels. La procédure peut facilement être formalisée. Chaque homme politique pourrait présenter en quelques pages ses actions et ses résultats, les rapprocher de ses engagements au moment de la campagne et annoncer ses projets pour l’année à venir. Beaucoup de salariés ont des entretiens annuels d’évaluation, certaines entreprises pratiquent le 360° (méthode d’évaluation d’une personne par son équipe), pourquoi les élus ne seraient-ils pas aussi responsables de leurs actions ou de leurs inactions devant le peuple ? La responsabilisation passe aussi par l’acceptation du regard des électeurs en cours de mandat.
Dans une conception idéaliste de la démocratie, telle que l’imaginent les intellectuels et les philosophes, le moment du vote se confond naturellement avec cette instance délibérative. Les idéalistes et les théoriciens de la démocratie invoqueront la République platonicienne pour démontrer que le vote remplit cet impératif moral. Mais, la complexité des situations, le raffinement du marketing politique et la société du spectacle « embrument » le bon sens populaire et la qualité des débats électoraux. Trop souvent, un flou artistique, né d’une communication démagogique, prime sur les projets, les actes et les résultats.
Une inspiration anglo-saxonne
Les valeurs des démocraties anglo-saxonnes pourraient également contribuer à la modernisation et à la moralisation françaises. Un élu américain, danois... n’imagine même pas se représenter lorsqu’il commet une faute politique grave. De toute façon, les électeurs ne lui accorderaient pas leur suffrage. En France, c’est souvent l’inverse qui se réalise. Mais, l’inspiration anglo-saxonne de la responsabilisation du politique ne doit pas nier le caractère latin de la démocratie et son caractère malheureusement plus rousseauiste que lockéen. La tradition contractualiste, comme l’a définie Rawls, manque à la culture française. La fragmentation actuelle de la société française conduit à la perte des repères collectifs et à un individualisme de revendication catégorielle.
Ce sont donc les comportements plutôt que les institutions qu’il faut faire évoluer en France pour redonner un sens à l’idée de communauté politique responsable :
- changer les comportements des élus dans l’exercice de leur mandat. S’ils sont jugés sur leurs actes, le débat sur l’absentéisme à l’Assemblée nationale n’a plus de sens. Chaque député jugera lui-même de l’utilité dans l’exercice de son mandat ;
- changer les comportements des électeurs en leur apportant une information plus sérieuse sur la personne pour laquelle ils votent.
Certaines élections s’inscrivent déjà dans cette perspective. Les présidentielles d’avril et mai 2007 se sont jouées sur un projet de société avant tout. Les candidats ont été interrogés sur leur diagnostic et leurs propositions pour la société française. Et les électeurs ont choisi cette fois un projet de société incarné. Ces moments deviennent de plus en plus rares dans notre espace politique français.
Conclusion
Le débat est maintenant ouvert avec la commission de réforme des institutions créée par Nicolas Sarkozy. Il ne faut pas laisser aux seuls hommes politiques les termes de la discussion. Elle n’aboutirait qu’à accroître la distance entre les électeurs et les élus. De nombreux citoyens veulent s’impliquer dans ce débat. Les propositions précédentes ne doivent pas rester incantatoires. La démocratie française a un besoin urgent de modernisation. Le principe de responsabilité devrait largement y contribuer.
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