NKM : des boules puantes pour sauver l’oligarchie ?
Une campagne de dénigrement de la ministre de l'environnement achève les PME du photovoltaïque et protège les intérêts du cartel d'énergies sales.

Avant-hier matin sur RMC, en réaction au témoignage d'un confrère, industriel du solaire en grève de la faim, la Ministre de l'Environnement a pu dérouler une fois de plus les éléments de sa longue campagne de dénigrement contre le photovoltaïque. Le péril jaune ! Le déficit commercial ! Un coût pour le consommateur d'électricité exorbitant de 10 € par an et ménage ! (1) Tous des vilains spéculateurs ! (2) Aucune industrie en France ! (3) Ca ne se recycle pas ! (4) Malgré tout cela, un avenir rayonnant s’ouvre à la filière grâce à la générosité du gouvernement, sous forme de superbes appels d'offre à venir ! (5) L’alignement de contrevérités est d'autant plus sidérant qu'il émane d'une experte reconnue au delà de son camp.
S'il y'a une chose qui me met encore en rogne dans ce discours désormais rodé, c'est bien l'argument de coût : Tout en finesse, Nathalie Kosciusko-Morizet nous présente comme une brochette d'opportunistes assistés, quémandant une énième augmentation de subventions. Malheureusement, cela ne cadre pas tout à fait avec l'entreprise familiale que j'ai eu le bonheur de reprendre, fondée par mon père en 2002 pour promouvoir les énergies renouvelables, portée à bout de bras pendant six ans avant un timide début d'essor commercial, pérennisée enfin malgré les récentes attaques du gouvernement. Entreprise évoluant sur un modèle assez collaboratif avec ses clients agricoles, qui emploie maintenant deux salariés, fait vivre quelques artisans et qui, soit dit en passant, a gardé son compte à La Poste parce qu'aucune banque d'affaires n'a voulu suivre la phase de développement.
Quand on est photovoltaicien, on aimerait que la France développe une ambition comparable à celle de ses voisins en matière d'énergies renouvelables. Si on regarde les investissements programmés, on en est à un quinzième de ce que font les allemands. Si on regarde la progression de la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique, la France stagne depuis 15 ans alors que l'Allemagne est remontée de 7 points sur la même période. C'est l'équivalent d'une petite dizaine de centrales nucléaires.
On rêve de plus d'ambition mais attention, on ne conteste pas la baisse des tarifs d'achat d’électricité : D'une on est en période d'austérité, avec un gouvernement de droite qui s'est engagé sur un formidable essor du pouvoir d'achat. Alors oui : Le gouvernement est dans son rôle en décidant quel coût faire supporter à la société pour le photovoltaïque. D'autre part il faut savoir que le prix du matériel photovoltaïque baisse très rapidement parce qu'une énorme industrie se développe au niveau mondial : les capacités doublent ou triplent chaque année depuis une décade. Grâce aux économies d'échelle, dans le sud de la France, le photovoltaïque est déja tout proche de la parité de coûts avec le bouquet d'énergies sales commercialisé par EDF. Des offres innovatives dans ce sens devraient émerger avant même la présidentielle ! Du coup, cet hiver, Touche Pas à mon Panneau Solaire et beaucoup d'autres acteurs de la filière ont pu contribuer à la concertation 'Charpin' en proposant une série de mesures pour faire beaucoup plus d'ENR en dépensant moins. Malheureusement la direction de l'énergie en est restée à son carnet de route inefficace, les alternatives ont été passées sous silence. Une installation photovoltaïque continuera donc de coûter 30% à 50% de plus qu'en Allemagne, à cause d'un bureaucratisme d'ampleur soviétique, et à cause de la panique continue organisée par le gouvernement. Pendant ce temps, les énergéticiens en place, actifs eux-même dans le photovoltaïque, gagnent du temps pour consolider leur hégémonie.
Ce qui est inadmissible dans l'affaire du moratoire sur le photovoltaïque, c'est de voir le gouvernement bafouer les principes du droit - on ne peut pas légiférer de manière rétroactive. Un recours de la filière devant le conseil d'Etat est toujours en cours. L'Etat ne peut pas manquer à son rôle régalien au point de laisser des acteurs qui sont juge et partie saboter la mise en oeuvre d'un dispositif de soutien qu'il a voté : La grève de la faim de Saint Allouestre résulte avant tout de manquements du gestionnaire de réseau ERDF (groupe EDF) dans sa mission de service public (6). L’organisme croulant sous les contentieux pour des cas comparables, les syndicats insistent pour avancer vers une porte de sortie efficace et honorable pour le gouvernement : Une commission d’arbitrage indépendante. Sur un plan plus stratégique, la tendance du moment est intenable : si une certaine dose de lobbying des mastodontes semble inévitable, un Etat qui en vient à pratiquer une politique de la terre brulée contre ses propres entrepreneurs pour éviter que le dogme du tout-nucléaire soit mis en question est en faillite morale. C'est asocial, c'est anti-démocratique, c'est sans lendemain : Une société a besoin de toute la diversité de ses forces vives pour assurer son développement, elle a besoin de résilience. Il se peut bien que la grande cohérence de nos élites soit un atout industriel, mais faut il en venir à ce que des politiques et des hauts fonctionnaires gaspillent des milliards pour maquiller le potentiel d'une technologie à la baisse, pour protéger les petits intérêts des copains, ou pour s'assurer une reconversion lucrative ? Voilà ce qui se passe dans le photovoltaïque : Les plus optimistes d'entre nous présumaient de l'incompétence, mais il devient de plus en plus clair que nous sommes confrontés à de la mauvaise volonté.
N’est-il pas tout bonnement surréaliste de voir notre gouvernement laminer les PME de la filière, qui ont créé 25 000 emplois en quelques années et qui viennent d'en perdre plus de 10 000 en 9 mois ? Ces boites ne manquent pas de compétitivité parce que les entrepreneurs sont trop nuls ou parce que la main d'oeuvre coûte trop cher - elles sont pénalisées par le manque de lisibilité, de continuité de la politique du gouvernement, qui décourage les investisseurs, et a fortiori les banques, déjà très frileuses. Elles souffrent du manque d'anticipation des bureaucrates : si on en est là, c'est que Pierre-Marie Abadie, directeur de l'énergie et administrateur d’EDF toujours en poste, a raté le pilotage tarifaire en 2009, alors qu'il suffisait de faire appel aux nombreux experts de carrure internationale disponibles pour éviter cela : il y'en avait même en France. Elles pâtissent aussi des difficultés d'implémentation et d'accès au financement propres à la France, puisqu'on parle ici d'une industrie qui demande des investissements lourds. Ce sont des problèmes que n'ont ni les allemands, ni les chinois, ni les américains.
En fait, tout pousse à croire que la situation rejoint un mal français bien connu : Les élites politico-financières et administratives ne jurent que par les grands groupes et Grands Corps d'Etat. Pour la petite comparaison, la filière photovoltaïque allemande emploie directement 150 000 personnes (7), presque toutes dans des PME. C’est beaucoup plus que les 120 000 emplois du nucléaire français, alors que cette dernièrer coûte beaucoup plus cher à la société (8). Quelle opportunité manquée, quel fiasco de politique industrielle !
David Mulhaupt, 35 ans, est entrepreneur dans le solaire agricole en PACA et a été coordinateur pour les propositions de "Touche Pas à mon Panneau Solaire" durant la 'concertation Charpin' : http://tpamps.fr/?p=930
Notes :
(1) Facile quant on maquille le chiffre d'un facteur deux ou trois : la CSPE finance aussi et surtout la péréquation tarifaire servant à garantir l'unité des tarifs d'électricité sur le territoire.
(2) Sauf Proglio qui vient de racheter EDF EN, un énorme développeur photovoltaïque ?
(3) Sauf Franck Le Borgne justement, le fabricant de suiveurs solaires en grève de la faim ? Et en passant sous silence les capacités de production françaises avant moratoire, presque équivalentes à la puissance installée en 2010 ? Sans compter la R&D très en pointe des pôles de compétitivité, dans un pays qui inventé la technologie photovoltaïque ?
(4) Si on fait abstraction du fait qu'au niveau mondial, tous les fabricants majeurs se sont alliées pour créer une fondation dans ce but, PvCycle, qui entretient déjà plusieurs points de collecte en France alors que la masse des panneaux n'arrivera en fin de vie que dans 20 ou 25 ans. On peut également se demander pourquoi personne ne pose la même question concernant les centrales nucléaires.
(5) Filière qui a perdu plus de 10 000 de ses 25 000 emplois en 9 mois suite aux annulations de dossiers de décembre 2010. La moitié des entreprises n'ont même plus renouvelé leurs certifications Quali'PV. Notons également que les appels d'offre en question sont truffés de clauses éliminant les PME.
(6) Le rôle d'ERDF, filiale à 100% d'EDF, est de garantir un accès équitable au réseau électrique français à tous les usagers, selon des procédures validées par le Conseil Supérieur de l'Energie. Dans le photovoltaïque, les dates des dossiers de raccordement au réseau déterminent souvent les tarifs auxquels les producteurs pouront vendre l'énergie produite. Or la plupart des entreprises de photovoltaïque ont reçu des piles de contrats de raccordement attendus depuis des semaines juste après l'entrée en vigueur du moratoire. ERDF semble avoir fait de la retention de dossiers. A l'inverse, des dossiers de centrales développées par les filiales d'EDF semblent avoir été favorisées.
(7) Si on rajoute l'éolien et le biogaz, on en atteint 450 000.
(8) Sans même chercher à chiffrer la perte de l’un ou l’autre département dans un éventuel accident, à travers l’ardoise des 40 ans de subventions, mais aussi en creusant la dette publique avec les charges futures de démantèlement et de stockage sécurisé des déchets.
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