Non à la laïcité bisounours
Karl Marx nous l’avait bien dit : la religion, c’est l’opium du peuple. Cette maxime, bien que provenant du fondateur du communisme, n’a en tout cas pas échappé au président de la République ou à ses conseillers. En effet, il ne se passe plus une semaine sans que Nicolas Sarkozy n’évoque ce sujet dans ses discours, comme ce fut le cas à Saint-Jean-de-Latran, à Ryad ou lors du dîner annuel du CRIF. Chrétiens, musulmans ou juifs, personne n’est oublié, chacun a droit à sa petite attention. Il n’y a rien de surprenant à tout cela, ici comme ailleurs, Nicolas Sarkozy fait maintenant ce qu’il a annoncé hier, sa vision est ainsi très clairement exposée dans son livre « La République, les Religions, l’Espérance ». Pour faire court, Nicolas Sarkozy est un partisan de la laïcité bisounours, c’est-à-dire tolérante et naïve.
Qu’y a-t-il en effet derrière le concept de laïcité "ouverte" défendue par le chef de l’État ? Avant tout une volonté de tourner la page des oppositions passées entre les religions, au premier rang desquelles la religion catholique, et la République. Il s’agit de proposer une paix des braves, à laquelle seraient conviés les nouveaux venus depuis 1905, en particulier les musulmans. Au nom de l’égalité, on réclame donc que l’État puisse subventionner la construction de mosquées, comme il l’a fait auparavant pour les églises des catholiques, que chaque confession puisse développer un enseignement privé en France ou encore que chaque religion se dote d’organisations représentatives pour dialoguer avec l’État, comme le Conseil français du culte musulman. Au nom de la menace de choc des civilisations, le président souhaite que la France ait un rôle moteur pour faire entrer l’islam dans la modernité et pour le rendre compatible avec les valeurs de l’Occident. Toutes ces raisons sont louables et du succès de ces entreprises dépend une partie de notre vivre-ensemble, voire de la stabilité géopolitique. En cela, le discours de Ryad est certainement une opération importante et plutôt réussie pour la diplomatie française.
Pour Nicolas Sarkozy, la laïcité s’apparente à la tolérance. Bien entendu cette tolérance n’est pas choquante en soi, mais elle ne suffit pas à définir ce qu’est la laïcité "à la française". En effet, avant de ne favoriser ou de ne subventionner aucun culte, la laïcité exige en premier lieu la séparation du spirituel et du temporel, c’est-à-dire du politique et du religieux. Cela implique que les affaires de l’Église et celles de l’État n’interfèrent pas. Ainsi, il n’est pas du ressort de la République française de chercher à combler le retard de l’islam par rapport au catholicisme sur le plan des infrastructures ou de l’organisation ou de faire entrer l’islam dans la modernité comme il n’est pas du ressort des religions d’imposer leurs rites, leurs traditions ou leurs dogmes dans l’espace public où seul l’État fixe la norme. Dans de très nombreux pays qui se disent laïcs, seule la première condition est respectée et on tolère tout à fait que la religion investisse le champ politique, notamment par le biais du lobbyisme, la France a cette particularité d’exiger une plus grande étanchéité.
Il faut ajouter la naïveté, ou plutôt la fausse naïveté, à la vision sarkozyenne de la laïcité car elle tend à faire croire qu’il n’existe pas de véritable débat entre croyants et non-croyants ou entre laïcs et religieux. C’est un fait que la laïcité s’est imposée en France avant tout contre les religions. Nous sommes, sur ce point, les héritiers directs des Lumières et en particulier de Voltaire. Le mouvement laïc, souvent anticlérical, a cherché à apporter une réponse à sa célèbre interrogation : "N’est-il pas honteux que les fanatiques aient du zèle et que les sages n’en aient pas ?" D’ailleurs, plus que de laïcité, il faut parler en France de sécularisation, c’est-à-dire d’un processus qui vise à désacraliser et à rationaliser des pans entiers de la vie sociale jusque-là investis par la religion. C’est un combat de la raison face à l’obscurantisme, de la vérité contre la croyance, de la liberté contre l’assujettissement. De ce point de vue, la laïcité est, au regard de l’Histoire, un élément essentiel de notre civilisation. Dire cela, ce n’est pas nier l’apport considérable de la civilisation chrétienne, mais justement le replacer à sa juste place : celui du culturel et non du transcendant. A Ryad, Nicolas Sarkozy n’est pas allé jusque-là, même s’il a rappelé avec raison l’importance du passage d’un Dieu immanent, c’est-à-dire dans la nature, à un Dieu transcendant pour libérer l’homme, il n’empêche que ce raisonnement ne suffit pas dans une société laïque comme la nôtre.
Là où le président de la République a franchi le Rubicon, c’est lorsqu’il a prononcé ces mots lors de son discours de Saint-Jean-de-Latran : "En donnant en France et dans le monde le témoignage d’une vie donnée aux autres et comblée par l’expérience de Dieu, vous créez de l’espérance et vous faites grandir des sentiments nobles. C’est une chance pour notre pays, et le président que je suis le considère avec beaucoup d’attention. Dans la transmission des valeurs et dans l’apprentissage de la différence entre le bien et le mal, l’instituteur ne pourra jamais remplacer le pasteur ou le curé, même s’il est important qu’il s’en approche, parce qu’il lui manquera toujours la radicalité du sacrifice de sa vie et le charisme d’un engagement porté par l’espérance". En effet, on ne peut pas placer la morale religieuse au-dessus des valeurs républicaines véhiculées par à l’école. Un citoyen est en droit de penser cela, pas un président de la République. Là encore, tout l’héritage des Lumières consiste à mettre sur pied une morale laïque, qui n’ait plus besoin de faire appel à des éléments transcendants pour convaincre les individus de son bien-fondé. Si tel n’était pas le cas, comment ferait-on pour maintenir l’ordre public dans un pays qui compte plusieurs millions d’athées ? On peut donc soutenir tout à la fois, c’est même une nécessité, qu’il faut rationaliser et moraliser les rapports humains.
Il y a une dizaine d’années, trois pays se déclaraient ouvertement laïcs : la France, la Turquie et l’Irak. L’Irak est aujourd’hui livrée aux violences entre sunnites et chiites, la Turquie vient d’élire un président qui refuse que sa femme apparaisse en public non voilée et qui vient d’autoriser l’usage du foulard à l’université, reste la France qui, à dire vrai, était déjà le seul pays authentiquement laïc des trois. En France, il n’y a pas de religion d’Etat contrairement à la plupart des monarchies européennes (Royaume-Uni, Danemark...), les prêtres ne sont pas des fonctionnaires, contrairement à l’Allemagne ou à l’Irlande, il n’y a pas de délit de blasphème comme en Pologne, on ne prête jamais serment sur la Bible comme aux Etats-Unis. Mieux encore, la France est certainement le seul pays du monde à avoir développé l’idée de temple laïc avec le Panthéon : la République a cherché à se sacraliser et à priver petit à petit la religion de ses prérogatives.
Ne nous y trompons pas, revenir sur la loi de 1905, quels que soient les motifs invoqués, ce serait accomplir un acte de dé-civilisation. Les Français ne souhaitent pas cette évolution, ils sont fiers, à juste titre, de ce particularisme qui est si profondément ancré dans l’histoire de notre pays. Ils puniront sévèrement les responsables qui le remettront en cause.
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