Passe vaccinal (1) : quel député a voté quoi ?
« Au fond, la ligne est simple : c’est vaccination, vaccination, vaccination, et passe vaccinal. C’est l’objectif du texte de loi qui va être voté autour du 15 janvier. L’idée, c’est de mettre beaucoup de contrainte sur les non-vaccinés et, collectivement, de respecter les gestes barrières. » (Emmanuel Macron, "Le Parisien" le 4 janvier 2022).
Ça y est, le projet de loi renforçant les outils de gestion de la crise sanitaire et modifiant le code de la santé publique (n°4857), autrement dit, le projet de loi instaurant le passe vaccinal a été adopté en première lecture par l’Assemblée Nationale dans la nuit du 5 au 6 janvier 2022, à 5 heures 25 du matin.
Annoncé le 17 décembre 2021 par le Premier Ministre Jean Castex et adopté au conseil des ministres du 27 décembre 2021, ce projet de loi a clivé énormément tant l’Assemblée Nationale qu’une partie de la société française. Je reviendrai sur ces trois jours d’examen pour le moins animés dans l’hémicycle (et en dehors). À l’origine, le projet aurait dû être adopté dans la nuit du 3 au 4 janvier 2022, et pour diverses raisons (que je détaillerai plus tard), l’agenda a eu deux jours de retard, même si la troisième nuit a finalement surpris par une meilleure assiduité des députés. Le Sénat a prévu d’examiner le texte à partir du 10 janvier 2022 (Jean Castex parviendra peut-être à avancer la date, mais cela paraît peu probable), si bien qu’une application au 15 janvier 2022 est hautement improbable mais si cela reste possible.
J’évoquerai également dans un autre article le détail de ce projet de loi (une fois définitivement adopté) ainsi que les arguments avancés. Dans ce premier article consacré à ce projet de passe vaccinal, je me bornerai pour l’instant à la conclusion de cette première lecture par les députés : qui a voté quoi ?
Il ne s’agit pas de faire des listes, qu’on peut d’ailleurs trouver sur les sites institutionnels, puisqu’il s’agit d’un scrutin public (le scrutin n°4279), d’autant plus que le climat de violence pourrait mettre en danger certains membres de la liste, mais je veux en particulier donner la position des groupes.
On ne peut pas ne pas prendre en compte que nous sommes à trois mois du premier tour de l’élection présidentielle et que les postures politiques importent naturellement plus que les convictions, j’écris "naturellement" même si c’est regrettable, mais il est vrai que les opposants à Emmanuel Macron se trouvent dans un dilemme impossible : ou ils sont responsables, et ils approuvent Emmanuel Macron ; ou ils s’opposent au passe vaccinal, et ils font preuve d’irresponsabilité.
Car au-delà des postures électorales (qui n’ont rien de critiquables, je le répète), il y a aussi le début d’un tsunami pandémique qui va noyer le mois de janvier 2022 dans un flux de plusieurs millions de personnes contaminées au même moment (nous en sommes à 2,5 millions et cela ne cesse d’augmenter, avec autour de 300 000 contaminations par jour). Cette double vague (plateau de delta, forte croissance d’omicron) provoque en ce moment une forte tension non seulement à l’hôpital (en particulier dans les services de réanimation) mais aussi dans la gestion et la réalisation des tests de dépistage, d’autant plus forte que le choix du gouvernement a été de permettre le plus possible aux enfants d’aller à l’école, ce qui multiplie les tests des enfants cas contacts dans les classes où se trouve un de leur camarade contaminé.
Plus généralement, cette vague, cette déferlante, met en tension toute la société française, toute l’activité économique, en raison les nombreuses absences des personnes malades, contaminée et cas contacts (forte tension dans la population active dont les retraités antivax, qui vont peupler les services de réanimation, ne peuvent pas connaître l’ampleur).
Le passe vaccinal a été seul l’outil, au-delà des gestes barrières qui sont ce qu’ils sont (l’obligation des gestes barrières, port du masque par exemple, on ne peut pas la faire respecter rigoureusement par les 67 millions de Français, il n’y a pas un policier derrière chaque personne, heureusement), choisi par le gouvernement pour ne pas reconfiner toute la société française. Il n’y a pas de miracle, avec près de 300 décès par jour (un crash d’avion par jour), et ceux-ci vont augmenter dans les semaines prochaines, hélas, seule la vaccination, efficace à 90% pour éviter les formes graves, y compris pour omicron, réduira ce triste bilan quotidien.
Évidemment, on connaissait déjà la position de l’extrême gauche et de l’extrême droite dont l’irresponsabilité est inversement proportionnelle à leur capacité à arriver au pouvoir (heureusement). Je ne m’étonne donc pas que Jean-Luc Mélenchon, Marine Le Pen et Nicolas Dupont-Aignan, par exemple, députés et donc en situation de devoir prendre leurs responsabilités dans l’hémicycle, aient voté contre le passe vaccinal.
En revanche, au-delà des groupes centristes illisibles (parfois proches de LR comme l’UDI, parfois proche de LREM et du MoDem comme Agir Ensemble), je m’appesantirai sur deux groupes, ceux des anciens grands partis gouvernementaux, parce que les socialistes avaient longtemps réclamé carrément l’obligation vaccinale, ce qui est beaucoup plus brutal, dans le droit français, que le passe vaccinal, et Les Républicains, eux, sont tirés par deux préoccupations paradoxales, leur esprit de responsabilité qui avantage la sécurité et donc, la sécurité sanitaire avant tout, et leur intérêt électoral qui, d’une part, veut éviter tout victoire parlementaire à la majorité présidentielle et qui, d’autre part, cherche à séduire la franche anarchiste de droite qui est clairement antivax.
En outre, l’heure du scrutin, 5 heures du matin bien sonné, après une nuit de débat bien épuisante, fait que de nombreux députés sont absents et on ne les blâmera pas, du moins par ceux qui militent pour la réduction du temps de travail (les parlementaires ont un emploi du temps de dingue !).
Au total, 334 députés ont voté, ce qui, sur les 577 sièges que compte l’Assemblée Nationale (dont certains sont peut-être vacants puisqu’on ne remplace pas les sièges vacants la dernière année de la législature), soit près de 60%, ce n’est pas mal (je le répète : à 5 heures du matin). De plus, il faut se rappeler que certains députés sont eux aussi touchés par la pandémie et sont obligés de s’isoler voire sont malades (c’était le cas de Richard Ferrand le 3 janvier, il me semble, même si dans le compte-rendu, il est indiqué parmi les non-votants tandis que les autres "non-votants" ne sont pas indiqués, probablement parce qu’il est Président de l’Assemblée Nationale).
307 députés se sont exprimés (la majorité absolue est donc de 154). Le projet de loi a été adopté par 214 voix contre 93. Une large majorité, sans surprise, si ce n’est l’heure et le jour.
Rappelons aussi que l’abstention voire l’absence peuvent résulter de raisons tout à fait louables, politiques (abstention) ou personnelles (absences) mais qu’elles sont parfois très commodes pour ne pas prendre ses responsabilités (comment draguer dans l’antivaxerie et rester sérieux dans le réel ?). L’électorat des antivax est stratégique même s’il n’est pas important, cela pourrait peut-être faire pencher la balance pour départager les candidats au second tour.
C’est pourquoi certains députés de l’opposition ont diffusé la rumeur que le gouvernement voulait utiliser l’arme tranchante du 49 alinéa 3, ce qui était une fausse rumeur. En effet, la gouvernement n’a aucun intérêt à vouloir déresponsabiliser les députés de l’opposition qui aurait beau jeu de ne pas voter contre sans voter pour puisque, avec un tel outil, le projet de loi est réputé adopté sauf vote d’une motion de censure (qui met en jeu la question de confiance au gouvernement et pas le sujet précis du projet de loi).
Dans le groupe LREM (268 membres), la moitié à peu près était présente, 134 ont voté pour et 3 ont voté contre (je me demande ce qu’ils font dans le groupe majoritaire, d’autres anciens députés LREM ont voté contre mais ils avaient quitté le groupe LREM depuis longtemps, même si ceux-ci n’ont été élus en 2017 que grâce à leur appartenance à LREM, il y a toujours des boulettes dans un casting de départ). À part ces trois députés, il n’y a donc aucune surprise à LREM.
Dans le parti de François Bayrou, le MoDem, officiellement le "groupe Mouvement démocrate et démocrates apparentés" (57 membres), 32 ont voté pour (sans surprise) et les autres étaient absents.
Autres groupes homogènes et sans surprise, le groupe de la France insoumise (17 membres) a voté contre par 15 députés sur 15 présents, ainsi que le groupe communiste, appelé pompeusement "groupe de la Gauche démocrate et républicaine" (15 membres), a voté contre par 9 députés sur 10 présents (le dixième s’est abstenu).
Plus compliqué est d’analyser le scrutin dans les trois groupes centristes ou divers. Le groupe Agir Ensemble (22 membres) a voté pour par 8 députés sur 8 présents (en particulier Olivier Becht, son président), ce qui est peu étonnant, c’étaient des députés LR qui ont choisi de soutenir le gouvernement (à l’instar de Franck Riester, ministre). Le groupe UDI et indépendants (19 membres), proche aujourd’hui de LR, a voté pour par 3 députés et contre par 8 députés (dont Thierry Benoit et Michel Zumkeller). Jean-Christophe Lagarde, son président, n’était pas présent. Enfin, le groupe Libertés et Territoires (18 membres), très hétérogène, a vote quasi-unanimement contre par 7 députés sur 9 députés présents (en particulier Jean Lassalle, ancien candidat à l’élection présidentielle et ancien député MoDem, et Olivier Falorni, ancien socialiste, qui a battu Ségolène Royal en 2012), à l’exception de Sylvia Pinel (radicale) qui a voté pour et d’une autre députée qui s’est abstenue.
Venons-en aux deux groupes les plus intéressants, ceux du PS et de LR, les anciens partis gouvernementaux, en principe ceux qui aspirent encore à gouverner et qui ont déjà gouverné de longues années. Les deux groupes sont illisibles politiquement sur le passe vaccinal.
Le groupe socialiste (29 membres) a été très partagé : sur 20 présents, 7 députés PS ont voté pour (dont Guillaume Garot, David Habib, Valérie Rabault, Dominique Potier et Cécile Untermaier), 10 ont voté contre (dont Laurence Dumont, Régis Juanico, le rescapé des "frondeurs" de François Hollande, Gérard Leseul, Hervé Salignac et Jérôme Lambert) et 3 se sont "courageusement" abstenus (dont Boris Vallaud).
Dans le groupe LR (103 membres), la situation est encore plus éclatée puisque parmi les 74 députés présents, les votes se sont regroupés en trois tiers. 28 députés LR ont voté pour (dont Christian Jacob, le président de LR, Damien Abad, le président du groupe, Éric Woerth, président de la commission des finances, Éric Ciotti, Guillaume Larrivé, Bernard Brochand, Charles de La Verpillière, Rémi Delatte, Victor Habert-Dassault, Annie Genevard, vice-présidente de l’Assemblée Nationale, Nicolas Forissier, Michel Herbillon, Sébastien Huyghe, Constance Le Grip, Robin Reda, etc.), 24 ont voté contre (dont Xavier Breton, Philippe Gosselin, Patrick Hetzel, Dino Cinieri, Guillaume Peltier, Anne-Laure Blin, Pierre Cordier, Fabien Di Filippo, Olivier Marleix, Jean-Luc Reitzer, etc.) et 22 qui se sont "courageusement" abstenus (dont Julien Aubert, Philippe Benassaya, Bernard Perrut, Raphaël Schellenberger, Pierre-Henri Dumont, Jean-Pierre Vigier, etc.).
Heureusement que les principaux leaders de LR ne sont plus députés, comme les candidats malheureux à la primaire LR de 2021, Michel Barnier, Xavier Bertrand et Philippe Juvin, ou encore Jean-François Copé, Laurent Wauquiez, etc. Et bien entendu Valérie Pécresse, présidente du conseil régionale d’Île-de-France, qui est favorable au passe vaccinal mais opposée à Emmanuel Macron et qui doit s’affirmer comme son opposante crédible et combative du second tour. Du reste, ses proches, à l’instar de Robin Reda, se sont montrés très responsables (ce qui ne m’a pas étonné) puisqu’ils ont voté pour le projet de loi du gouvernement. À noter pour l’anecdote que j’ai cité le député Jean-Luc Reitzer comme ayant voté contre, alors qu’il s’est fait connaître, entre autre chose, lors de la première vague de covid-19 ; il avait été durant plusieurs jours entre la vie et la mort dans un service de réanimation, malade de la forme grave, et il avait témoigné à l’époque, de manière poignante, pour bien dire que le covid-19 n’était pas une maladie bénigne, qu’il était une maladie redoutable et parfois mortelle.
Cette grande division au sein de LR pour un sujet très important de sécurité est à la fois étonnante et risque de plomber la crédibilité de Valérie Pécresse dans sa capacité à rassembler son parti et à proposer une alternance cohérente.
Enfin, je termine par la position des députés non-inscrits (22 députés) qui ont quasiment tous voté contre le projet de loi : 17 sur 18 présents ont effectivement émis un vote défavorable (dont Marine Le Pen, Nicolas Dupont-Aignan, Bruno Bilde, Joachim Son-Forget, devenu un soutien du polémiste Éric Zemmour, mélangés à Delphine Batho, Matthieu Orphelin, Cédric Villani, Martine Wonner, Aurélien Taché, etc.), et, seule exception, surprenante car dans la mouvance du RN, Emmanuelle Ménard, épouse du journaliste et maire de Béziers Robert Ménard, a voté pour (cette fois-ci vraiment courageusement, sans guillemets). Plus généralement, je me demande où sont les écologistes, alors que Yannick Jadot avait aussi prôné l’obligation vaccinale.
Ces votes ont leur importance avant l’échéance électorale décisive du 10 avril 2022. Chacun devra justifier le vote de cette nuit-là à l’avenir, quand il faudra continuer à gérer la crise sanitaire. Pourquoi de nombreux socialistes ont voté contre le passe vaccinal alors qu’ils veulent l’obligation vaccinale ? Pourquoi beaucoup de députés LR ont préféré au pire plonger dans la démagogie de l’opposition systématique facile et au mieux ne pas prendre position alors que la candidate qu’ils soutiennent aurait voter pour ? À ce titre, insistons aussi sur le courage d’Éric Ciotti, comme d’autres dirigeants de LR, qui ont préféré protéger la santé des Français à prendre une posture purement électoraliste.
Quant aux députés qui n’ont été élus que sur l’étiquette d’Emmanuel Macron en juin 2017, leur opposition au projet gouvernemental signe probablement la fin de leur aventure parlementaire…
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (06 janvier 2022)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Passe vaccinal (1) : quel député a voté quoi ?
Emmanuel Macron et les personnes non-vaccinées.
Protéger les Français et renforcer la France par l’Europe.
La santé est la première des libertés..
Igor Bogdanoff.
Grichka Bogdanoff.
6e vague : frappes chirurgicales.
Omicron : comment éteindre l’incendie de Noël ?
Face à la 5e et à la 6e vague, la vaccination matin midi et soir.
Faux passe sanitaire et dose de rappel.
Gabriel Attal.
Cinquième vague : de nouvelles restrictions sanitaires ce lundi 6 décembre 2021 ?
Professeur Bertrand Guidet.
Troisième dose et fulgurance.
Confinement ou obligation vaccinale : faut-il écouter le docteur Martin Blachier ?
Martin Blachier.
La France d’Emmanuel Macron.
Allocution télévisée du Président Emmanuel Macron, le 9 novembre 2021 à Paris (texte intégral et vidéo).
Témoignage : je suis (presque) vacciné !
Témoignage : au cœur d’un centre de vaccination contre le covid-19 (1).
7 idées fausses sur le passe sanitaire.
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Covid-19 : faut-il vacciner aussi les enfants de moins de 12 ans ?
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