Plus de sécurité ou plus d’enfumage ?
On nous annonce une proposition de loi sur la sécurité globale déposée au Parlement par la majorité LREM et apparentés.
La lecture de cette proposition de loi « Fauvergues-Thourot » du nom des rapporteurs, recèle quelques éléments qui laissent présager un enfumage organisé et surtout de la volonté du gouvernement de se défausser sur les collectivités territoriales et sur la sécurité privée pour organiser la sécurité dans notre pays.
Sécurité globale, coproduction et continuum de sécurité…
Tels sont les concepts fumeux autour desquels s’articule ce texte.
La sécurité globale va, comme l’indique l’exposé des motifs, des incivilités dans les transports, jusqu’aux violences graves sur les personnes, en passant par les trafics (stupéfiants, par exemple) en bas des immeubles et les violences urbaines et les rixes. Rien de bien nouveau donc, puisque les incivilités et les trafics ou les rixes préexistent déjà et leur répression relève avant tout des forces de police, si l’on excepte les missions de prévention réalisées par les différents médiateurs dans les villes ainsi que celles réalisées par les polices municipales, lorsqu’ils existent.
Rappelons que les missions de répression et de maintien de l’ordre sont des missions régaliennes de l’Etat. Elles sont effectuées par les forces de l’ordre étatiques, à savoir la police et la gendarmerie.
Afin de contourner l’obstacle, le texte parle donc de « coproduction », un concept qui sous la plume de la majorité consiste surtout à refiler la patate chaude financière et des moyens, sur certains aspects de la sécurité globale, aux polices municipales et pourquoi pas, comme l’indique le texte à intégrer dans cette « coproduction » les agents privés de sécurité afin d’aboutir à ce fameux continuum de sécurité qui consacrerait des liens entre les différents éléments…
Des trous dans la raquette
A aucun moment on ne parle du renforcement des moyens attribués aux forces de sécurité intérieures (250 000 policiers et gendarmes), si ce n’est pour rappeler l’effort du gouvernement actuel (1 milliard d’euros et recrutement de 10000 policiers et gendarmes sur cinq ans) sans rappeler que cela consiste simplement à boucher les trous créés par les suppressions d’emplois du temps de Sarkozy et que les 10000 personnels supplémentaires sont loin d’être sur le terrain compte tenu des procédures de recrutement et de formation et de la planification sur cinq ans.
En ce qui concerne les 21 500 policiers municipaux dont les missions diverses et variées, allant des contrôle de stationnement en passant par les ivresses sur la voie publique et d’une manière générale l’exécution des décisions prises par les Maires, on voit tout de suite que ni les effectifs, ni les compétences ne sont en mesure de répondre aux objectifs de sécurité globale énoncés par le texte. Par conséquent, pour une situation donnée n’entrant pas dans le champ de compétences de la police municipale, celle-ci devra toujours avoir recours in fine à la police nationale ou à la gendarmerie, ce qui reviendra à mobiliser deux équipages au lieu d’une, de police nationale ou de gendarmerie.
On peut faire le même constat avec les 165 000 agents privés de sécurité dont les missions actuelles relèvent exclusivement de la sphère privée et dont les compétences en matière de « sécurité globale » existent encore moins que pour la police municipale.
Quelles solutions pour les rédacteurs du texte ?
Là, on rentre dans le domaine des grandes déclarations et de l’à peu près : « Sur le terrain toutes les forces échangent et coopèrent entre elles », sauf que déjà, entre les différentes chapelles de la Police Nationale, on sait qu’il peut y avoir parfois du tirage. On se rappelle par ailleurs des commentaires acides des gendarmes concernant la « déontologie » du maintien de l’ordre par des équipes de policiers faites de bric et de broc pendant l’épisode des gilets jaunes.
On ne parle pas non plus dans le texte des oppositions entre la Préfecture de Police de Paris (véritable Etat dans l’Etat) et le Ministère de l’Intérieur, ni de la gestion de ses effectifs et encore moins de la présence de personnels radicalisés. Circulez, il n’y a rien à voir !
Comme tout va donc très bien, on précise dans le texte que « les forces de l’Etat doivent conserver leur rôle structurant pour la sécurité de l’ensemble des français en conservant l’ensemble de leurs prérogatives » ce qui revient à dire que « les polices municipales doivent poursuivre leur montée en compétences et explorer de nouvelles modalités d’actions », (langue de bois bien râpeuse…) mais en veillant à respecter la répartition des rôles (tout est dit !)
Bref, une police de supplétifs, dont on cherche à développer l’existence dans les communes ou les intercommunalités, sous la tutelle des Maires ou Présidents d’intercos, de diverses sensibilités politiques, donc avec des missions diverses et variées et des limites dans la « coproduction », sans cohérence nationale, juste pour faire nombre dans les statistiques du Ministère de l’Intérieur et juste pour faire bien dans le bilan politique.
S’agissant des agents privés de sécurité, dont on sait que les sociétés qui les emploient ne sont pas toujours des exemples en matière de déontologie et de recrutement, les rédacteurs du texte appellent de leur vœu à une meilleure structuration interne de la profession, à une consolidation de ses exigences en matière de formation et à un meilleur contrôle de la profession. On voit tout de suite que le chemin sera long et fastidieux.
Et puisqu’un texte de loi ne saurait faire abstraction des « nouvelles technologies » on nous parle de « captation d’images par des moyens aéroportés » (les drones, quoi…) et de recours à la « vidéo protection » (terme qui remplace la vidéo surveillance, trop connotée, mais qui ne change rien au problème des libertés individuelles). Aurons-nous droit à un amendement sur la reconnaissance faciale et l’instauration d’un Guantanamo à la française pendant la discussion du texte au Parlement ?
Pour finir, bien entendu, on renforce les peines encourues par les délinquants (sans se soucier de leur application…), on prohibe l’usage « malveillant » de l’image des policiers et gendarmes (il y a sans doute un usage bienveillant…) et on « délictualise l’achat et la vente d’articles pyrotechniques en méconnaissance des exigences prévues par la réglementation spécialisée ».
Au final, une loi opportuniste et de circonstance
On feint d’oublier qu’il ne suffit pas d’un texte pour décréter la sécurité globale et que toutes les villes ne sont pas prêtes à franchir le pas de la création ou du renforcement de la police municipale en répondant à l’injonction de l’Etat pour pallier ses propres carences.
A aucun moment, on ne parle du coût à la charge des contribuables locaux. On parie sur la culpabilisation des élus locaux par leurs concitoyens avec des gros sabots, comme la stigmatisation des élus rétifs par une opposition LREM (à Rennes, par exemple, où le député Bachelier réclame une police, armée, bien entendu).
On valorise le (bon) travail réalisé par la police municipale de Nice qui a stoppé le terroriste dans la cathédrale de Nice, en oubliant de rappeler que cette ville, truffée de caméras de surveillance n’avait pas pu repérer et prévenir l’attentat de la promenade des Anglais, le 14 juillet 2016. On oublie surtout de dire que la création de polices municipales s’est faite sur le désengagement de l’Etat d’une mission pourtant régalienne, sur fond de « sentiment d’insécurité » et d’électoralisme.
Aujourd’hui, face à toutes ces contradictions, à ces renoncements, on bricole un texte avec son vœu pieux de « sécurité globale »sur le coin d’une table et on durcit les peines, comme d’habitude, comme si le durcissement avait une vertu dissuasive sur le passage à l’acte en matière de crimes et délits de droit commun, encore moins en matière d’actes terroristes.
C’est bien sur le terrain du renseignement, de la prévention et de la laïcité que nous gagnerons le combat sur l’idéologie extrémiste. Plus que cette loi fourre-tout sur la sécurité globale c’est la loi sur les séparatismes et les moyens d’anticipation (plus que de répression) proposés que nous attendons. Le gouvernement sera-t-il à la hauteur ? Attendons…
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