Pour en finir avec la vieille union de la gauche

Aujourd'hui, j’ai décidé de prendre mon clavier pour exprimer mon point de vue sur un sujet qui me tient à cœur : celui de la dissolution, une bonne fois pour toutes, de la vieille union de la gauche. En effet, pourrons-nous un jour vivre des campagnes électorales présidentielle et législatives sans que ne se pose éternellement la sempiternelle question de l’union de la gauche ? Loin des sursauts hystériques des leaders et militants du PS et des hésitations de certains représentants du Front de gauche, il est pourtant clairement temps d’affirmer qu’il existe deux projets radicalement différents à gauche, que ces deux projets ne sont pas réconciliables, et qu’il est temps de l’admettre sans faire l’économie d’un respect mutuel, qui passe par un vrai débat démocratique.
Alors oui, certes, quand la gauche a repris le pouvoir à la droite, en 1981 et en 1997, elle était unie. On se souvient de l’alliance du PS et du PCF derrière Mitterrand, puis de la fameuse « Gauche plurielle ». Si pour beaucoup de monde le souvenir de ces victoires est important, les gens de ma génération ont un peu de mal à s’y référer, pour la simple et bonne raison que ces scrutins commencent sérieusement à dater et que quelqu’un comme moi, qui est né en 1988, était encore loin de pouvoir prétendre à l’exercice du droit de vote. Mais surtout, la situation actuelle n’a rien à voir avec celles du début des années 1980 et de la fin des années 1990. Nous sommes entré de plein pied dans le 21ème siècle, et voyons maintenant depuis des années le vieux monde s’enliser dans une crise économique et financière sans fin. Il n’est donc plus guère possible de mettre en application quelques petits projets de relance keynésienne pour relancer la consommation. Seules deux voix sont maintenant possibles à gauche : la soumission, et la rupture (la vraie, pas celle, réactionnaire, de Sarkozy).
D’un autre point de vue, le rapport de force à gauche a lui aussi beaucoup changé. En 1997, le PS était déjà dominant à gauche, mais le PCF approchait encore les 10 % et les Verts étaient très faibles… Actuellement, nous pouvons compter sur un Front de gauche à l’audience électorale encore modeste (nous prendrons comme chiffre de référence 7,5 % des voix, un bon compromis si l’on se base sur les résultats des européennes de 2009, des régionales de 2010 et des cantonales de 2011), face à un PS encore nettement dominant bien qu’affaibli (grosso modo 25 %), et sur une version élargie des Verts, EELV, qui a prouvé à mainte reprises qu’elle était devenue capable de franchir le seuil symbolique des 10 %, ce qui lui a permis d’obtenir la formation (historique) d’un groupe parlementaire dans les deux chambres du Parlement via d’obscures négociations dans les couloirs de la rue de Solferino. Les sondages, qui valent ce qu’ils valent, indiquent un François Hollande au plus haut des intentions de vote (un peu moins de 30 %), triomphant au second tour de Nicolas Sarkozy, marginalisant au premier tour Eva Joly et Jean-Luc Mélenchon, dont les scores se situent respectivement autour de 3 et 8 %.
Si le PS parvient à conserver une pareille hégémonie dans l’électorat à l’approche d’élections capitales qui, contrairement aux scrutins dis « intermédiaires », mobilisent les électeurs bien au-delà d’un petit 45 % de participation, c’est parce qu’il est jugé, à raison d’ailleurs, comme le seul crédible en matière de gestion des affaires publique et de direction du gouvernement. Comment briser cette hégémonie ? Certainement pas en arrachant un accord catastrophique comme l’a fait EELV, qui a troqué quelques postes contre un symbole de son projet politique (la sortie du nucléaire). Certainement pas, non plus, comme beaucoup trop encore le font au Front de gauche, en laissant planer le doute sur son éventuelle participation à un gouvernement socialiste.
Nous savons tous très bien que Jean-Luc Mélenchon et l’ensemble des composantes du Front de gauche, à l’exception du PCF, sont contre une participation à un pareil gouvernement. Et ça, Mélenchon l’a très bien justifié : nous vivons des heures très graves, qui ne peuvent faire l’économie d’un véritable projet de rupture. On ne peut définitivement plus s’arranger avec une gauche sociale-libérale, qui accepte les plans de rigueur, qui se soumet sans coup férir aux injonctions de la Commission européenne et aux pressions des « marchés ». Nous n’obtiendrons rien auprès d’elle si ce n’est une nouvelle série de reniements, qui seraient catastrophiques pour la gauche, car si personne en son sein ne défend un programme authentiquement socialiste, elle sera condamnée à la disparition, comme en Italie ou au Royaume-Uni. Plus que jamais, il y a deux voix à gauche, et si nous avons vraiment l’ambition d’incarner une gauche anticapitaliste novatrice et ferme sur ses convictions, nous ne pouvons faire l’économie d’un abandon serein des vieilles rengaines du passé.
De ce point de vue, les cris d’orfraie de certains dirigeants du PCF, qui prétendent, comme toujours, représenter leur base, sont contre-productifs. La position très floue du PCF, qui refuse de se prononcer sur un éventuel accord de gouvernement entre lui et le PS, nous handicape lourdement pendant cette campagne. La petite pique de Mélenchon à l’encontre de François Hollande, « capitaine de pédalo dans la tempête » (je pense qu’on n’a jamais si bien métaphorisé le profit du candidat socialiste dans le cadre de cette élection), a fait jaser bien au-delà du microcosme malveillant du journalisme politique de caniveau. Voilà maintenant qu’on reproche au camarade Jean-Luc de « faire du Besancenot ». Oui, et pourquoi pas d’ailleurs ? Pourquoi ne pas admettre que le NPA a raison de poser la question de l’indépendance par rapport au PS (tout en ayant tort de l'instrumentaliser pour justifier son isolement) ? Car cette question mérite d’être posée, et Besancenot est loin d’être le seul à le penser !
Il faut impérativement mettre sur la table, clairement, cette idée de dissolution de la vieille famille traditionnelle de la « gauche de gouvernement », et le faire maintenant, pour qu’on puisse enfin engager le débat public à gauche. C’est le seul moyen d’en finir avec les quolibets et l’arrogance insupportables des leaders du PS, qui nous dépeignent, au choix, comme de sombres magouilleurs qui cherchent à grappiller des voix pour obtenir des postes juteux dans leur éventuel futur gouvernement, ou comme d’infâmes traîtres à la solde de la droite, voire de l’extrême-droite, qui tapent « sur leur propre camp ». Cette idée comme quoi nous serions forcément amenés à nous rallier au PS entretien l’idée que « la gauche » se résume au grand parti social-démocrate « réaliste » et « pragmatique » autour duquel se rassemblent quelques petits partis satellisés un peu folkloriques qui n’ont d’autre souhait que d’obtenir leur part du gâteau. C’est la raison, évidente, pour laquelle Hollande refuse de débattre publiquement avec Mélenchon : parce que pour lui, le résultat est écrit à l’avance.
Il y a quelques semaines, j’ai été surpris de voir le courant La Riposte, qui a attaqué sans relâche le PG et Mélenchon dès la fondation du Front de gauche et a soutenu Chassaigne, pourtant peu suspect d’orthodoxie marxiste, lors de la consultation interne des militants communistes, prendre une position impliquant à un revirement à 180° par rapport à sa posture habituelle. Dans son communiqué du 26 octobre, La Riposte affirme en effet que la posture de Mélenchon sur la participation à un gouvernement social-libéral est claire, et que les directions du PG et du PCF seraient bien inspirées de mettre les choses au clair à leur tour en affirmant, sereinement mais clairement, qu’aucune participation à un gouvernement acceptant sans broncher les règles de la contre-révolution libérale-rigoriste actuellement en cours n’est envisageable. Pour le PG, en interne, c’est clair, mais un communiqué officiel serait bienvenu.
Pour le PCF, en revanche, c’est nettement moins évident. Nous n’avons pas d’accord global, au Front de gauche, sur cette question, parce que comme au temps des régionales, les dirigeants du PCF refusent de renoncer – pour l’instant – à participer à un exécutif sous direction socialiste. Pourtant, comme je l’ai expliqué, il n’est pas incongru d’y renoncer dans la période actuelle (n’allez pas vous imaginer que je sois de nature à défendre un ralliement au PS dans une situation économique moins défavorable, mais disons qu’en 1997 cette posture était quand-même moins facilement justifiable). Il ne serait pas mal vu de faire vivre, clairement et sans ambigüité, une nouvelle gauche anticapitaliste indépendante qui renie le vieux système politique français, lequel s’avère aujourd’hui totalement incapable de sortir le pays de le phase de régression dans laquelle le monde est en train de s’enfoncer. Mais pour ça, il faut aussi que nous soyons au clair, au Front de gauche, sur ce que nous voulons faire de notre rassemblement : une simple organisation authentiquement keynésienne, qui se comporte comme une force de pression sur le PS et agit en tant que « cheville ouvrière » de la social-démocratie, ou un rassemblement des forces anticapitalistes au service d’un programme révolutionnaire de changement en profondeur de la société ? La teneur de nos débats au sein du Front de gauche comme du PG ne me permet malheureusement pas encore d’affirmer que nous ayons clairement et collectivement fait un choix sur cette question…
Mon idée est connue : je pense qu’il faut avoir le courage d’affirmer l’existence d’une vraie gauche, d’une nouvelle gauche, d’une gauche qui reste fidèle à son but premier, changer la société, et qui rompt clairement avec la vieille gauche sociale-démocrate qui accumule depuis des décennies les échecs retentissants et les reniements les plus scandaleux. Une gauche anticapitaliste, écologiste, progressiste, novatrice, qui allie le meilleur de la tradition du mouvement ouvrier aux revendications progressistes des Nouveaux mouvement sociaux. Et pour faire vivre cette démarche, on ne peut faire l’économie d’un rejet clair de toute forme d’alliance avec le centre-gauche rétrograde. La meilleure manière de faire émerger durablement deux voix à gauche, et, par ce biais, d’obtenir le droit au débat public entre ces deux voix, est d’ajouter à une divergence programmatique fondamentale une divergence stratégique fondamentale.
Alors certes, le mode de scrutin uninominal majoritaire à deux tours utilisé lors de la présidentielle et des législatives incite aux stratégies de ralliements. Il est de tradition d’appeler à voter pour le candidat le mieux placé à gauche pour battre la droite. Il faut cependant être bien clair sur le fait qu’un appel à battre la droite n’équivaut pas à un appel à voter PS, et encore moins à un accord politique débouchant sur la formation d’une coalition opportuniste. Tout est dans la nuance... Pousser le PS à infléchir sa ligne de conduite en lui démontrant par A+B que nous ne sommes pas de médiocres carriéristes corruptibles, qui courent après les postes de ministre, pourrait déjà être un premier pas pour faire vaciller le système politique bipolaire dans lequel les petits partis de droite ou de gauche seraient forcément conduits à s’allier soit au PS, soit à l’UMP, laissant le seul FN en dehors du système et en faisant, de fait, le seul parti antisystème…
Bref, il est temps de prendre la question à bras le corps pour nous extirper une bonne fois pour toutes d’une situation ambigüe qui nous condamne à la marginalité. Le Front de gauche comme le PS doivent assumer le fait qu’aujourd’hui, il existe deux gauches qui ne sont pas solubles l’une dans l’autre. Que ces deux gauches ne sont pas faites pour être des alliées par défaut, qu’il y a des divergences programmatiques sur lesquelles nous sommes irréconciliables. Le nier, ou le refuser comme le font les dirigeants du PS, c’est porter atteinte à la démocratie (de quel droit pouvons-nous nier à une force politique son droit à exister à défendre ses propres orientations ?). Hésiter comme le font certains au Front de gauche, c’est renforcer ces gens-là. Nous devons nous donner les moyens de nos ambitions : c’est l’heure de la clarté et du courage, pas des hésitations et de la préservation de vieilles habitudes obsolètes qui n’ont plus aucun sens politique.
NB : cet article était déjà paru sur mon blog, Vent de révolte, qui a finalement été fermé. Je suis bien l'auteur de ce texte, quelque soit son lieu de publication.
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