Pourquoi Bayrou doit autodissoudre le Modem
Le mauvais score des listes Modem aux élections européennes n’est pas que la conséquence de l’accrochage de Bayrou avec Cohn-Bendit sur France 2. Il doit être l’occasion de s’interroger sur la stratégie menée par le patron du Mouvement démocrate. La stratégie suicidaire d’un homme qui se rêve en recours et croit à l’autonomie politique du centre. Retour sur son parcours à l’aune de celui de Mitterrand, Chirac et Sarkozy et démonstration de l’échec programmé de Bayrou.
Le parcours de Mitterrand est exemplaire à cet égard. A partir des années 60, l’ancien ministre de la quatrième République, dont la réputation avait été laminée par l’affaire de l’Observatoire, a structuré des petits cercles d’amis (souvent issus du stalag, la fidélité en amitié est une grande vertu) et de sympathisants au départ peu nombreux. Puis les cercles sont devenus de plus en plus gros : il y a eu la FGDS, la Convention des Institutions Républicaines, puis l’OPA sur une vieille SFIO à bout de souffle en 1971 à Epinay, puis le Programme commun en 1972 avec les communistes et les radicaux, puis l’élargissement du PS en 1974 aux chrétiens de gauche et aux autogestionnaires de la CFDT (la deuxième gauche chère au Nouvel Observateur). La rupture du programme commun en 1977 n’a pas changé fondamentalement la donne. François Mitterrand avait fini par incarner la gauche malgré les claquements de porte et les grincements de dent des uns et des autres. Ou plutôt il était devenu le centre de la gauche, point d’équilibre entre Marchais sur son aile gauche et Rocard sur son aile droite, seule personnalité susceptible de rassembler le peuple de gauche et de vaincre Giscard. En 1988, réélu président, il a même ouvert la majorité à quelques centristes venus de l’autre rive.
Chirac aura conquis de haute volée l’UDR en 1974 au nez et à la barbe des gaullistes historiques, transformé en 1976 la vieille formation gaullo-pompidolienne en RPR, implacable machine de guerre au service de ses ambitions. Il a tenu la barre, malgré les défaites (1981, 1988), les oppositions internes (Séguin-Pasqua en 1990) et la trahison balladurienne. Il a aussi su trouver assez d’alliés à l’UDF pour finir par incarner le centre de gravité de toute la droite parlementaire, quelque part entre Madelin et Balladur, trop libéraux, et Pasqua et Séguin, trop archéo-gaullistes. La conquête de l’Elysée a été rocambolesque, certes, mais Chirac a réussi son pari en 1995.
Sarkozy s’est imposé comme le leader incontestable de la droite à la fin de l’ère chiraquienne. Il a rassemblé une droite en lambeaux, partie de très loin après la dissolution catastrophique de 1997 quand elle n’était qu’un champ de ruines dispersé. A partir de 2002, il est devenu le leader naturel de son camp réunifié par Chirac/Juppé dans l’UMP (fusion logique de partis moribonds qui partageaient globalement les même valeurs : RPR, UDF et DL) . Il n’y avait plus personne sur sa route (Chirac à l’Elysée déjà en fin de course, Juppé plombé par les affaires). Il a conquis l’UMP d’une main de maître parce qu’il a su décliner un discours clair visant d’abord à rassembler le peuple de droite, libéral sur le fond mais dépassé par la prose gaullienne d’Henri Gaino. On ne gagne pas l’élection présidentielle sans avoir au préalable rassemblé son propre camp et sans contrôler le parti. Il le savait très bien en abandonnant Bercy en 2004 pour aller choyer les militants, rue de la Boétie, et conquérir les cœurs en vue de la bataille de 2007.
Or, pour le moment, François Bayrou n’a non seulement rassemblé personne mais il a passé les quinze dernières années à se fâcher avec ses anciens amis. Son parcours est exactement inverse à celui de Mitterrand : les cercles n’ont cessé de se rétrécir. A ce jour, on ne compte plus que Marielle de Sarnez comme fidèle de toujours. Bayrou est un homme seul. Tous les anciens compagnons de route du béarnais ont claqué la porte, de Douste-Blazy à Morin en passant par Bourlanges, Cavada, Lamassoure ou Leroy. Liste non exhaustive. Le dernier partant en date serait le sénateur Michel Mercier, trésorier du Modem mais trop proche de la droite pour le chef. Depuis quinze ans, François Bayrou, issu du modeste Centre des démocrates sociaux (CDS), n’aura eu de cesse de créer des formations politiques au gré de ses fâcheries successives : de Force Démocrate au Modem en passant par la Nouvelle UDF, l’imagination ne lui a pas fait défaut en la matière. Frénésie étrange qui cache un grand malaise. On ne compte plus au sein de l’UMP, du Nouveau centre ou ailleurs ces anciens déçus de Bayrou « qui ne veulent plus entendre parler de cet illuminé qui se prend pour Jeanne d’Arc ». Cela devrait faire réfléchir.
Au bout du compte, le clan Bayrou ne se résume plus qu’à quelques personnalités iconoclastes venus d’ailleurs mais qui n’ont pas entre eux la même vision des choses : l’avocate Corinne Lepage (très critique dimanche soir envers Bayrou), le journaliste Jean-François Kahn, le banquier Jean Peyrelevade sans oublier l’écologiste Jean-Luc Benhamias (ce dernier doit se mordre les doigts d’avoir adhéré à cette coquille vide !). Il y a aussi quelques militants enthousiastes venus en 2007, séduits par un marketing habile sur le mode « révolution orange à l’ukrainienne » et lassés par le battage médiatique de la campagne présidentielle autour de Ségo et Sarko... Mais après ?
La ligne politique ? Le Modem se veut parti « démocrate ». Ni de droite, ni de gauche, mais démocrate et même « centriste révolutionnaire » pour l’aile kahnienne (et c’est un fidèle abonné de Marianne qui écrit ces lignes). Ben voyons ! En cinquième république, tout ça n’est qu’une aimable plaisanterie. L’autonomie politique du centre n’a aucun sens, ne mène nulle part, qu’à la confusion et à la débâcle. Les élections législatives de 2007 l’ont prouvé de la façon la plus cruelle qui soit : 18% aux présidentielles (rejet du duel Ségo/Sarko dont les personnalités respectives ont agacé beaucoup de monde en France) mais quatre malheureux députés Modem au scrutin du mois suivant. Impitoyable arithmétique politique ! On ne peut pas en dire autant du PS, de son groupe parlementaire puissant, de ses innombrables mairies, de ses 21 conseils régionaux…
Je ne vais pas revenir sur l’opposition de Bayrou à Sarkozy. J’approuve globalement ses critiques formulées à l’encontre du pouvoir actuel. Il y a en effet tellement de bonnes raisons de s’opposer à l’actuel locataire de l’Elysée. Son livre Abus de Pouvoir visait juste. Mais cela ne peut suffire à définir une stratégie et à conquérir les cœurs. L’obsession de Bayrou s’est retournée contre lui parce que les Français ont bien compris qu’aucune alternative politique crédible ne se dessinait derrière le Modem. Au moins avec les Ecologistes, ils savaient pour qui ils votaient, alliés utiles (ou emmerdants c’est selon) de la gauche européenne. En 5ème République, il y a la place pour des petits partis, s’ils sont alliés peu ou prou à une grande formation structurante. Or, le Modem est un mouvement isolé, sans substance, sans ligne claire et sans alliés, un rassemblement brouillon de circonstance autour d’une personnalité. Ce que je reproche à Ségolène Royal et son mouvement de fans Désirs d’Avenir s’applique également au Modem. Seulement Désir d’Avenir a au moins le mérite, pour le moment, de ne pas être un parti politique mais un simple club au service de l’ambition d’une femme.
Le constat est donc accablant pour Bayrou. L’accrochage avec Cohn-Bendit n’a fait qu’amplifier la débâcle. On a vu le résultat. C’est un désastre, un champ de ruines. Personne ne peut dire aujourd’hui à quoi sert le Modem. On a en tout cas compris que ce n’est pas au sein de ce mouvement qui n’existe que par les états d’âme de son chef que s’opérera l’indispensable rénovation de la social-démocratie française. La tâche en incombe plus que jamais au PS et à son allié écologiste. Un jour prochain, il reviendra aussi aux dirigeants socialistes et écologistes d’ouvrir des négociations difficiles avec le Front de gauche de Mélenchon/Buffet et de tenter de trouver un accord politique en vue de l’alternance. Mais c’est un autre débat...
Quant au Modem, il devrait s’inspirer de l’exemple de la Gauche Prolétarienne. En 1973, son chef Benny Lévy s’était rendu compte de l’inutilité du mouvement maoïste à la suite du conflit Lipp où il avait vu les chrétiens de gauche et les syndicalistes de la CFDT mener la danse. Les ouvriers franc-comtois n’avaient que faire des discours prolétariens martiaux de quelques étudiants échappés de la rue d’Ulm avec le petit livre rouge de Mao sous le bras. Ces derniers avaient été vertement renvoyés à Paris. Désespéré mais lucide, Benny Lévy avait fini par prononcer l’autodissolution de la GP. La fin d’une époque ! Secrétaire particulier de Sartre, il a consacré le reste de son existence à la philosophie, à la lecture de Lévinas et de la Torah. Devenu juif ultra-orthodoxe, il est parti vivre à Jérusalem. On pourrait suggérer à François Bayrou, homme de grande sensibilité et féru d’histoire, de prononcer l’autodissolution du Modem, de se retirer de la vie politique, de quitter le microcosme parisien pour ses chères montagnes du Béarn et arrêter de s’épuiser à se rêver en homme providentiel qu’il ne sera vraisemblablement jamais…
Retrouvez l’article sur www.juliengautier.fr
58 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON