Présidentielle : des électeurs et des programmes

Que ce soit dans les grands médias ou sur les sites du web, nombre d’éditorialistes et d’analystes politiques pointent du doigt la vacuité et l’imprécision du programme de certains candidats à la présidence de la République. Or, loin d’être rédhibitoire, ce constat n’empêche pas ces candidats de poursuivre leur route sans dommages dans l’opinion...
Jamais, durant la 5e République, les Français n’ont manifesté autant de défiance pour une classe politique dont la plupart des membres sont considérés comme « corrompus » par ceux dont ils tirent leur légitimité. Et les affaires politico-financières qui, après les effets dévastateurs du scandale Cahuzac, touchent actuellement Marine Le Pen et surtout François Fillon – parangon autoproclamé de vertu chrétienne – creusent chaque jour un peu plus le gouffre qui sépare nos concitoyens des élus censés les représenter au sommet de l’État et dans les assemblées représentatives.
Et pourtant, bien loin de s’abstenir comme cela se produit de plus en plus souvent lors des scrutins intermédiaires, une très large proportion des électeurs prendra les dimanches 23 avril et 7 mai le chemin des bureaux de vote pour glisser un bulletin dans l’urne de la présidentielle. Pour une raison évidente : cette élection est aux yeux des Français la pierre angulaire du quinquennat à venir. À tel point que le vainqueur bénéficie en règle générale d’un vote légitimiste qui lui donne une majorité au moins relative lors des élections législatives.
L’enjeu est donc de taille pour les partis politiques. Mais il l’est également pour les électeurs qui vont devoir assumer durant les 5 années suivantes les conséquences de leur choix. Une évidence pour la majorité de ceux qui iront voter par civisme, mais aussi pour ne pas faire partie de ces abstentionnistes qui, tout autant que les votants, subiront les effets de la gouvernance à venir sans avoir exercé leur droit individuel – aussi dérisoire soit-il – à influer sur le cours de celle-ci. D’où la nécessité, pour chacun de ces votants, de s’informer des projets et des programmes des candidats en présence.
Or, sur ce plan, il existe d’énormes disparités dans l’électorat, notamment entre les CSP (catégories socio-professionnelles) favorisées et les classes populaires. On trouve en effet dans les premières la plupart des gens éduqués qui, par leur métier ou leur éducation, ont toujours eu accès à l’information et, croient-ils, maîtrisent de ce fait la complexité des propositions faites par les candidats. Figurent également dans ces CSP la plupart de ceux qui se positionnent sur un créneau partisan par intérêt économique.
Du côté des classes populaires, l’accès à l’information va moins de soi, et la plupart des électeurs doivent accomplir l’effort d’aller sur les sites des candidats pour mieux cerner les enjeux et traduire les propositions en termes d’impact sur leurs conditions de vie. Certains le font sans problème, et c’est notamment vrai chez nos compatriotes les plus politisés ou les plus investis dans l’action syndicale. Mais ce n’est pas le cas de nombreux Français qui s’en remettent aux informations, le plus souvent tronquées, qui sont véhiculées par les médias mainstream.
Des slogans assénés en boucle
Abel François, chercheur en économie à l’Université de Strasbourg, estime en effet que pour ces derniers « le temps consacré à l’acquisition d’informations est coûteux car c’est du temps qui ne sera pas utilisé pour faire autre chose. » En l’occurrence travailler, se distraire, pratiquer des activités sportives, sortir en famille. Dès lors, consciemment ou pas, ils font l’impasse sur une lecture détaillée des programmes et forgent le plus souvent leur conviction électorale sur quelques idées force et slogans mobilisateurs assénés en boucle par les candidats et leurs porte-paroles.
À cet égard, Abel François enfonce le clou : « Les prises de position clivantes, qui permettent des raccourcis cognitifs, ou les grands repères idéologiques [...] sont des signaux simples à envoyer, et peu coûteux à s'approprier pour les électeurs. » Les meilleures illustrations récentes de ce constat ont été signées par Nicolas Sarkozy en 2007 avec son « Travailler plus pour gagner plus », et par François Hollande en 2012 au cours du meeting du Bourget : interrogés, les électeurs du PS se souviennent peu de ses propositions, mais beaucoup reconnaissent avoir été galvanisés par la fameuse apostrophe « Mon ennemi, c’est la Finance ! »
Aux idées force et aux slogans s’ajoute une composante essentielle du choix des électeurs : la représentation qu’ils ont de la personnalité des candidats. Or, celle-ci peut se révéler trompeuse. C’est ainsi que Nicolas Sarkozy a bénéficié d’une image de détermination et d’efficacité que son exercice du pouvoir brouillon et velléitaire a ensuite très largement sapé. De la même manière, François Hollande a, par contraste avec son agité prédécesseur, bénéficié d’une image débonnaire et rassurante de responsable politique proche des Français modestes et de leurs préoccupations. Une image très vite dégradée par l’exercice du pouvoir, et notamment le choix d’une ligne politique pour laquelle le chef de l’État, foncièrement libéral, n’avait pas reçu mandat.
Idées force, slogans de campagne, représentation de la personnalité, tout cela contribue à dessiner le portrait de l’homme ou de la femme qui sera l’objet du choix de chaque électeur. Infiniment plus que le détail des programmes dont seule une petite minorité des citoyens prend réellement connaissance. Comment s’en étonner quand on sait que l’attention des électeurs est focalisée sur quelques sujets prégnants comme l’emploi, le pouvoir d’achat, la sécurité, l’immigration, tous réduits à des formules simplificatrices ? Et que dire de tous ces Français qui, après des mois de campagne, sont encore indécis en pénétrant dans les bureaux de vote...
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