Programme de Ségolène Royal : vœux pieux et contraintes du réel
Pour le PS, le 11 février marque la véritable entrée en campagne sur le fond des candidats à la présidentielle. Si les discours de François Hollande restent audibles, sur Ripostes par exemple, force est de constater que l’ego de sa compagne et son penchant ultrasocial-clientéliste risque d’en laisser plus d’un sur sa faim. Attention, il ne s’agit pas de faire la critique gratuite de la candidate socialiste pour aboutir à l’apologie d’un dictateur en puissance issu de l’UMP, mais plutôt d’analyser les « Cent propositions pour la France » portées par Ségolène Royal en tant que telles. Et croyez-moi, ça ne manque pas de piquant.
Le pacte présidentiel du PS, porté par S. Royal, regroupe cent propositions déclinées en neuf thèmes introduits par un discours d’une page de Ségolène Royal. La copie est scolairement intéressante, maintenant encore faut-il se plonger dans le contenu.
Les neuf thèmes sont tous introduits par « La Présidente de... » et l’on peut dénombrer les thèmes suivants :
- - La présidente de la confiance retrouvée
- - La présidente du pouvoir d’achat garanti ( !)
- - La présidente du travail pour tous
- - La présidente de la réussite éducative et culturelle
- - La présidente de la sécurité sociale
- - La présidente de la lutte contre toutes les formes de violence (Judge Dred)
- - La présidente de l’excellence environnementale
- - La présidente d’une république nouvelle
- - La présidente d’une France forte en Europe et active pour la paix dans le monde
Comme vous pouvez d’ores et déjà le remarquer, la sémantique annonce déjà le topo : il ne s’agit pas de la présidenCe mais de la présidenTe. Cette nuance caractérise bien la personne : elle incarne le projet et la morale, les autres travaillent pour son règne.
Faites place à la reine Royal, car il n’y en aura pas pour tout le monde !
Effectivement, dans le programme Royal, il n’y en a pas pour tout le monde. Il suffit de lire le programme pour comprendre que le programme est allé aussi loin à gauche que le programme UMP est allé loin à droite. De part et d’autre, une radicalisation des pensées, avec à ma droite un projet « tout pour les puissants » et de l’autre un projet « tout pour les pauvres ».
Chacun prêche pour sa paroisse et son fonds de commerce, certes, mais à la lecture des deux projets, et de celui-là en l’occurrence, on se demande si une vision non idéologique radicale est possible en France.
En effet, en France, l’essentiel du bataillon, c’est la classe moyenne.
Dommage, car elle n’intéresse personne, et pourtant constitue la masse sur laquelle il serait intéressant d’agir, pour changer la donne globale, celle qui change tout.
En ce sens on appréciera les points 20 et 57, lequel condamne ceux qui ne sont pas pauvres et sans diplôme à se démerder tout seuls, sans forcément plus de moyens financiers ou de connaissances...
Que dit le programme Royal sur le fond, alors ?
S’il fallait définir le programme en cinq caractéristiques clés, voici celles qui me sembleraient émerger de manière saillante :
- Un projet résolument tourné vers un Etat-providence et ciblant les populations les plus en difficultés
- Un projet sain sur les souhaits de fond, parfois utopique, souvent naïf -surtout en géopolitique- et finalement peu pragmatique : la présidente décide juste, aux autres de trouver des solutions
- Un projet où la question « Comment ? » saute aux yeux : Quelles modalités ? Quel coût ? Quels bénéficiaires ? Quelles contreparties ?
- Un projet où toutes les questions qui fâchent sont évitées dans des propositions de large « concertation » et autres débats participatifs dont on connaît l’aspect réducteur : seuls les partisans ou préconquis s’expriment pour « demander au guichet », les autres restent dans l’ombre et sont finalement omis.
- Un projet d’où la fiscalité est absente ! Souhait volontaire, arme secrète ou malhonnêteté, la fiscalité est et sera toujours le point dur d’une élection présidentielle : occulter le débat serait une grave erreur...
Le programme de Mme Royal reste encore très flou, non pas que les idées évoquées ne soient pas bonnes, mais derrière l’énonciation des faits constatés, la véritable « plus-value » attendue des citoyens par des hommes politiques, c’est de transformer le constat en dispositif d’action concret pour remédier au problème.
Dans ce programme, ainsi, on peut dénombrer de nombreuses « propositions » à double tranchant, où les modalités d’application peuvent tout changer, dans le pire comme dans le meilleur.
Pour exemple, l’allocation autonomie pour les jeunes (proposition 32) sous condition de ressources avec un contrat pour faciliter les études et l’entrée dans la vie active.
Bien, on prend note. Ne serait-il pas préférable de remettre à plat le système d’aide globale en intégrant la situation d’étudiant à faible revenu comme étant une situation éligible à aide ?
S’il s’agit de dédoubler l’existant, par exemple de dédoubler le système de bourses dont on sait qu’il est non seulement injuste, mais encore non contrôlé et profondément inadapté, c’est une contre-mesure.
S’il s’agit de remettre à plat la donne pour intégrer aides au logement, aides à la vie étudiante et autres contraintes, pourquoi pas. Mais il faut des précisions, c’est trop facile d’énoncer des promesses fantasques dont le coût est évidemment chiffrable en milliards.
Par ailleurs, quid du Crous ? Quel rôle, quelle organisation, quels leviers ?
Je prends un exemple, mais il y en a beaucoup d’autres de la sorte, où, après lecture, vous imaginez déjà le système à double tranchant, ou même la bourde énorme avec le doublement de l’allocation de rentrée scolaire alors qu’il serait bien préférable de doter les familles de chèques-papeterie ou même de financer les livres plutôt que d’octroyer l’aide à des familles qui peuvent l’utiliser pour autre chose que pour les enfants...
Afin de ne pas revenir sur tous les éléments, j’ai classé les cent propositions en cinq sous-catégories :
- - Les points forts
- - Les positions démagogiques
- - Les positions intenables et autres bourdes
- - Les « blablas » qui esquivent la question et ne mangent pas de pain
- - Les absences, pures et simples
1. Les points forts
Le véritable point fort du projet, c’est de mettre le doigt sur bon nombre de thèmes vitaux, comme la réforme de l’Etat (laquelle ceci dit), la recherche, l’environnement, l’éducation, la justice...
Une palme du « thème » à la pointe va réellement à l’environnement : le pacte de Nicolas Hulot n’y est sans doute pas pour rien. Je vous invite également à constater que les points 1, 6, 11, 14, 23, 30, 52, 53, 56, 59, tous les points sur l’environnement et sur les éléments cruciaux de la réforme de l’Etat (de 60 à 75), 76, 77, 78 (syndicalisme, concertation, service civique), 91, 94 et 96 valent la peine d’être lus, et sont déjà un bon socle de réflexion.
Au moins, ce programme a du bon !
2. Les positions démagogiques
Les positions démagogiques, souvent héritées du projet socialiste de « base » et des idées les plus « radicales », parsèment néanmoins le projet et lui portent préjudice. Les plus évidentes sont celles liées à la création de postes pour un peu tout et n’importe quoi. Des gardiens d’immeubles sociaux aux adultes en établissements scolaires en passant par les « répétiteurs » pour soutien scolaire, on ne fait pas dans la dentelle dans les emplois aidés. Cela peut certes aller un temps, mais cela ne change pas la donne sur le fond, et finalement, cela ne fait que colmater les brèches sans agir sur le fond des choses.
Les deux propositions que je trouve les plus démago-idéologiques « de base » sont celles liées à la santé, les propositions 41 et 44 (les rédacteurs ont dû sombrer à ce moment) au sujet de la CMU, « Réaffirmer le droit à la CMU et sanctionner les refus de soins », et des soins supprimés par la droite aux étrangers en situation irrégulière.
En résultante, je pense que l’équipe de Mme Royal n’a jamais mis les pieds dans des organismes hospitaliers ou chez des « libéraux ». Certes, ils sont à leur compte, mais ce n’est pas pour autant qu’ils n’ont rien à dire. La CMU coûte très cher, et avoir le bon sens de dire qu’il serait rationnel d’en limiter la portée ou bien d’engager des frais minimaux pour responsabiliser les usagers, serait non seulement salvateur, mais aussi humain, et rationnel.
Réaffirmer le droit à la CMU et les soins gratuits pour les jeunes de 16 à 25 ans (les mêmes que pour le CPE) , avec 10 G€ de dette annuelle, cela me paraît « un peu » déplacé.
3. Les positions intenables et autres bourdes
On trouve ces positions dans les premiers thèmes du projet. Il s’agit de positions à proprement déconnectées du réel ou purement naïves, voire dangereuses.
Je pense aux 1500 € de Smic qui, s’il ne s’agissait que de cela, seraient déjà la norme en France. Mais dans un pays qui ne produit pas d’emplois et n’a pas de moyennes entreprises, le tout en distribuant trop d’aides sous forme de niches fiscales et autres assistances, proclamer 1500 € de Smic, c’est soit irrationnel, soit neutre (s’il s’agit de 1500 €/brut, dans cinq ans on y est), soit aveugle.
Si l’on fait monter le niveau de l’eau, qu’adviendra-t-il des salaires de 1 à 1,5 Smic ? N’y a-t-il pas un sentiment de déclassement dangereux à prendre en compte ?
On peut aussi souligner les propositions « gentillettes » sur la géopolitique et l’Europe (on va tout faire parce qu’on le souhaite) et les délires sur l’éducation du type « implanter des prépas en ZEP (cela ne changera pas le problème de la dualité de l’Education nationale, une prépa en Université étant beaucoup moins bête), ou même encore sur les « filets de sécurité » sans plafonnement du type proposition 21 avec un salaire garanti à 90% pendant un an.
Commençons déjà par plafonner les Assedic à 2000 €/nets max. par mois et par limiter les indemnisations de 70% du salaire initial pendant un tiers de la durée du travail réalisée : cela serait plus sain et plus rationnel.
Le RSA fait aussi partie des « bonnes idées casse-gueule » sur lesquelles j’attends les précisions.
Mais la vraie faiblesse du programme Royal, c’est véritablement le logement.
Peut-être suis-je trop spécialisé sur la question, mais l’ensemble des mesures annoncées (proposition 12), hors environnement, me laissent pantois de faiblesse.
Hormis le renforcement de la loi SRU, le doublement du PTZ et l’accession sociale, aucune mesure sur les dérives du logement social, la compression des prix pratiqués, la construction de logements vraiment sociaux, l’urbanisme, la limitation dans le temps des locataires sociaux suivant leurs ressources, la refonte de l’APL, le contrôle des logements insalubres dès la mise en location/vente, le cassage de la loi « de Robien », la refonte des organismes compétents en une seule entité de type « Autorité organisatrice du logement », des outils type SEM ou OPHLM, de l’action sur les PLU contre l’étalement urbain.
Certes, c’est "moins pire" que le programme UMP, mais cela reste très léger sur ce point.
4. Les « blablas » pour éviter les sujets qui fâchent
35 heures, éducation nationale et enseignants, salaires, culture/intermittents , financements des hôpitaux, formation supérieure (hors régionalisation des murs de l’université), institutions décentralisées, impacts de la taxe carbone sur les routiers, outre-mer, Proche-Orient, tous les sujets « durs » sont tous renvoyés à discussion face aux partenaires sociaux divers.
Il doit y avoir environ dix items qui utilisent la touche Echap pour dire que le sujet n’est pas évité mais qu’il sera remis à plus tard, dans un sens ou dans l’autre, voire dans aucun sens.
Il y aussi les positions faibles, peu argumentées pour laisser planer le doute, comme sur l’immigration ou la justice.
Bref, lorsqu’il s’agit d’aller dans le vif du sujet, on sent les différents « tiraillements » de l’appareil PS resurgir au grand jour, au plus grand dam du bon sens et de la prise de risque de conviction.
5. Les absences
Dans ce registre, et c’est cela qui fait vraiment mal dans les propositions Royal, il y a une grande absente : l’économie, au sens large, et la fiscalité, en particulier.
Le PS a décidé sans doute volontairement de présenter ses actions avant d’aller dans le lourd de la campagne, pour ne pas focaliser les débats sur des querelles de chiffres. En cela, c’est certainement bien vu, et politiquement, c’est bien joué.
Le débat sur le fond pourra s’engager sans être parasité par de l’économie.
Problème : le vrai fond, c’est tout juste l’économie.
Sans réforme profonde des flèches montantes et descendantes de la fiscalité, y compris de la fiscalité locale, la France ne pourra pas se doter des moyens nécessaires pour réaliser la politique du PS, et encore moins celle de l’UMP (celle-ci étant de plus déséquilibrée socialement).
En ce sens, jusque-là un seul candidat a compris qu’il valait mieux avoir un programme verrouillé sur l’économie, avec des mesures simples et des dispositions connexes qui en découlent, à tous les étages : le parti centriste de F. Bayrou.
Effectivement, l’UDF a quand même cette grande force par rapport aux autres programmes d’avoir un projet non démesuré susceptible d’être appliqué en changeant la donne sur le fond sans promettre de l’irréalisable. Pas étonnant que "l’UMPS" viennent à piocher dans cette mine à idées, pas si dégueulasse pour le parti du « crétin des Pyrénées ».
Le projet PS manque cruellement en l’Etat actuel des choses de précisions sur la fiscalité et sur les canaux économiques. S’il semble évident que le bouclier fiscal et autres aides à la « papa » vont sauter si le PS arrive aux affaires, il reste encore le noyau dur de la fiscalité moyenne à préciser, sans parler de la responsabilisation des autres : celle-ci sera-t-elle à la hausse pour l’ensemble des Français à service égal, ou bien est-ce que la facture s’alourdira, risquant d’entraîner la dette encore plus loin dans le gouffre, et pire encore, l’économie à un point de non-retour ?
La question reste ouverte, car après les cent propositions, je demeure encore peu convaincu par la capacité de Mme Royal à changer les mécanismes destructeurs qui plombent le pays. Il ne s’agit pas de synthèse, mais plutôt de liberté de pouvoir affirmer des idées viables : en a-t-elle les moyens et les marges de manœuvre ?
Au-delà des grands prêches, qui aura l’envergure nécessaire à ce poste pour corriger les excès d’un Etat-providence aveugle couplé au capitalisme le plus sauvage ?
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