Quand le PS refuse de recevoir Alexis Tsipras, le leader de la gauche radicale grecque
Le 21 mai 2012, Alexis Tsipras, chef de la gauche radicale grecque Syriza, s’est rendu à Paris afin de rencontrer les principaux dirigeants politiques de la gauche française. Ayant eu vent que les français venaient d’élire un homme se réclamant du socialisme, il eut l’impertinence de demander à être reçu par un de ses représentants. Et la réponse fut… NON !
Le nouvel homme fort de la gauche grecque
Alexis Tsipras est le nouvel homme fort de la gauche grecque. Le 6 mai dernier, sa formation est arrivée en deuxième position des élections législatives (16,78%), après la droite (Nouvelle-Démocratie- 18,85%) et devant le PASOK (parti socialiste-13,18%), devenant ainsi la première force de gauche du pays. Aucun de ses trois partis n’ayant réussi à former de gouvernement, les grecs devront retournés aux urnes le 17 juin 2012.
A en croire les sondages, Syriza arriverait cette fois en tête du scrutin (entre 23% et 27% selon les différents sondages), devançant les deux partis traditionnellement au pouvoir. Que ces prévisions s’avèrent justes ou non (attendons le 17 juin), le jeune leader de la gauche radicale a de réelles possibilités de devenir le prochain dirigeant de la Grèce.
De la Grèce ! Vous entendez ! Non pas de la Barbade, du Turkménistan, des îles Cocos ou je ne sais quelle contrée reculée dont les politiques nous échappent souvent, voire nous indifférent, non non de la Grèce ! Ce pays dont le nom est sur toutes les lèvres, celui qui fait suer les banquiers et cauchemarder madame Merkel. Ce pays dont, paraît-il, dépend le sort de toute l’Europe, du monde et de l’univers. Et bien figurez-vous que ce pays risque de voir arriver à sa tête une nouvelle force de gauche : Syriza. Et c’est là que ça coince !
Le « Mélenchon grec »
C’est comme cela que les éditocrates le nomment. Dépassés par cette nouvelle force politique qu’ils n’ont pas vu venir et ne comprennent pas (ou plutôt qu’ils n’ont pas voulu voir venir et qu’ils ne cherchent pas à comprendre), les voici répétant à l’envie que Tsipras est le chef de « l’extrême gauche » et que son élection entraînerait de facto une sortie de la Grèce de l’Euro, qui elle-même causerait la perte de tous les autres états membres, et patati et patata… Quelle originalité ! Ça ne vous rappelle rien ? « Extrême gauche », « sortir de l’Euro »… les mêmes termes et menaces qui ont déjà été employés pour décrire… Jean Luc Mélenchon !
Le « Mélenchon grec » était donc de passage à Paris en ce lundi 21 mai 2012. Fièrement accueilli par les représentants du Front de Gauche (le vrai Mélenchon, Pierre Laurent, Martine Billard…), il a tenu en leur compagnie une conférence de presse à l’assemblée nationale, ainsi qu’un court meeting, sous la pluie.
Une fin de non-recevoir
Avant de se rendre à Berlin rencontré les dirigeants de Die Linke, Tsipras avait sollicité une rencontre avec le PS. Après tout, entre « frères » de gauche, on peut bien se serrer les coudes ! Manque de bol, le PS ne semblait pas être sur la même longueur d’onde et déclina l’invitation. Que François Hollande ne l’ait pas reçu peut se comprendre. Après tout il a des obligations maintenant, et rencontrer ses nouveaux potes du G8 en est une de taille ! Mais les autres ? Les membres du gouvernement ? Les ténors du parti ? Qu’avaient-ils à faire de si important pour ne pas pouvoir accorder quelques minutes de leur temps si précieux à celui qui demain gouvernera éventuellement la Grèce ? Ça ne les intéresse plus la Grèce ? Pourtant il y en aurait eu des choses à dire : "Alors, paraît que t'es la figure montante de la gauche grecque ? Il s'en passe des choses chez toi dit donc, tu comptes faire quoi, t'as des plans ?" Non, quand même, ça aurait pu les intéresser ?!
Il devrait pourtant savoir qu’il n’est pas très agréable de se voir ainsi boycotter par ses voisins. Quand il y a quelques mois certains dirigeants conservateurs européens refusaient de recevoir M. Hollande, le mot « scandale » était sur toutes les lèvres. Des centaines d’articles dénonçant cette « fronde anti-Hollande » ! Deux hommes, deux politiques, deux poids, deux mesures !
« Ce ne sont pas des dirigeants européens qui doivent peser sur la décision du peuple français »
Monsieur Tsipras ne doit pas se sentir offenser. Après tout, comme le disait F. Hollande en réaction à cette « fronde » qui se levait contre sa personne : « Ce ne sont pas les dirigeants européens qui doivent peser sur les décisions du peuple français (…) Nous sommes une grande nation, un grand pays, qui ne se fait pas commander ses choix par des chefs d’états et de gouvernements amis, extérieurs à notre démocratie ».
Mais la France n’est pas la Grèce. Si notre « grande nation » n’a que faire des remarques émises par ses partenaires européens, elle peut en revanche se permettre de donner des leçons à ce « petit pays » qui emmerde le monde entier. Non mais pour qui se prennent-ils ces grecs ? Vouloir élire un homme dont la politique s’opposerait sévèrement aux politiques d’austérité voulues par Bruxelles et consort ! De la folie douce ! Il fallait réagir.
Monsieur Fabius, nouveau ministre des affaires étrangères, s’en chargea : « Si les grecs veulent rester dans la zone euro, ils ne peuvent se prononcer pour des formations qui les feraient sortir de l’Euro ». La messe est dite. Selon M. Fabius, les grecs ne doivent pas voter pour Syriza, et il n’hésite pas pour cela à brandir le même et seul argument servi à longueur d’antenne, à savoir la redoutable sortie de l’Euro. Mais alors que doivent-ils faire ? Et bien voter pour le PASOK, vous savez ce parti qui vient d’infliger neuf plans d’austérité à son peuple les laissant plus endettés qu’avant, et plus désespérés.
D’ailleurs, je vous le donne en mille, savez-vous avec qui François Hollande s’est entretenu durant une heure à l’Elysée ce mardi 22 mai ? Avec M. Venizelos, le chef du PASOK, et cela le lendemain du jour où le PS refusait de recevoir Tsipras.
Que le PS reçoive le chef du PASOK est compréhensible et logique. Ils appartiennent à la même famille politique. Mais qu’au bout d’une semaine à la tête de l’état, le nouveau président de la république préfère afficher son soutien à un parti qui a été désavoué par son peuple, et refuser dans le même temps de s’intéresser à celui qui lui a été préféré, me semble être une faute politique et témoigner d’un grand manque de clairvoyance.
L’union de la gauche n’est pas pour demain
L’attitude du parti socialiste n’est pourtant guère surprenante, mais n’en est pas moins préoccupante. Le mépris dont M. Tsipras est l’objet est en tout point similaire à celui que le PS a affiché envers Mélenchon et le Front de gauche durant cette campagne présidentielle. Après avoir refusé le moindre débat, oublié de remercier les 4 millions d’électeurs du Front de gauche, sans qui la victoire de François Hollande n’aurait pas été possible, et fait capoté les accords pour les législatives (et j’en passe !), il semble que le mot d’ordre du PS soit sans aucune ambiguïté : Tous sauf la gauche anti-austérité, quelle qu’elle soit et d’où qu’elle vienne.
Les dirigeants du PS ne pourront pas continuer longtemps sur cette voix-là. Eux qui revendiquent si souvent appartenir à « la Gauche Réaliste » devrait comprendre que la réalité est par définition mouvante et instable. Rien n’est jamais figé, les hommes continuent d’écrire leur histoire. Gouverner avec des œillères, refuser de prendre en compte ce qui les dérange, risque de les conduire (et nous avec) à de grandes déconvenues.
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