Rajeunir la population par la rénovation des structures socio-économiques
Cet article fait suite à celui consacré à l’aveuglement face au vieillissement de la population et de l’immigration. Dans de nombreux commentaires, il m’a été demandé quelles solutions pourraient résoudre ces deux problématiques, tout en soulignant qu’une incitation à plus de natalité viendrait faire monter le nombre des enfants issus de l’immigration et qu’ainsi, en voulant régler un problème, l’on viendrait à aggraver le deuxième. J’ai répondu que je considère que le vieillissement de la population est un péril plus grand et qu’il fallait s’y attaquer en priorité. L’expérience montre que les mesures en faveur des familles ont donné des résultats très rapidement avec comme premier fruit une hausse de la demande et donc un coup de pouce notable pour réactiver la croissance. La lutte contre une immigration excessive relève davantage de mesures coercitives mettant notamment en jeu le maintien ou pas de la France dans l’Union européenne. Ce sera l’objet d’un autre article.
L’on voudra bien m’excuser pour la longueur de ce papier, mais il ne saurait être plus bref, exposant des pistes concrètes, résultats de débats et longues réflexions.
Les axes de réflexion présentés ci-dessous tirent leur fondement d’une double expérience, professionnelle et associative.
Professionnelle : comme spécialiste en organisation dans l’industrie puis dans la banque, j’ai été confronté à de multiples situations qui m’ont donné à réfléchir sur la façon d’améliorer les méthodes et conditions de travail au double profit de l’entreprise et de ses salariés.
Associative : associé aux travaux du Séminaire de Démographie Politique créé au Collège de France par Alfred Sauvy[1], ainsi qu’aux réflexions de l’Association Pour la Recherche Démographique, animée par Jacques Dupâquier[2], j’ai été amené à concevoir, à partir de 1987, un nouveau front d’action en faveur du renouveau de la natalité.
- L’idée était de mobiliser un noyau significatif d’entreprises pour expérimenter des innovations organisationnelles destinées à concilier vie professionnelle et vie familiale.
Aidé notamment par François Ceyrac en sa qualité de Président honoraire du CNPF et d’autres personnalités du milieu patronal, j’ai convaincu des entreprises, des experts, des syndicalistes et des cadres d’entreprise de constituer l’association Générations.
Malgré un démarrage prometteur, fort de nombreux contacts très positifs et des oreilles attentives du gouvernement d’alors (Rocard) et de l’Elysée (représenté par Anne Lauvergeon, alors Secrétaire générale adjointe), cette initiative a fait long feu une fois survenue la 1ère guerre du Golfe et l’éclosion de la mondialisation à outrance qui a suivi. Une ultime tentative avec l’arrivée de Balladur aux affaires n’a pas permis de relancer l’association, depuis lors inactive.
ANGLE D’APPROCHE
Les démographes s’accordent à dire qu’en dépit d’un désir d’enfants demeuré stable, au-dessus du taux crucial de fécondité de 2.1, la dégradation du niveau de vie et des conditions de travail des salariés et les perspectives d’avenir qui en découlent pour les jeunes, le renouvellement des générations n’est plus assuré depuis 1972, connaissant depuis une dizaine d’années une baisse continuelle.
Pour contrer cette dégradation qui nous mène droit dans le mur, il faudrait relancer une politique familiale digne de ce nom. Celle-ci aurait pour mission de replacer la famille et les valeurs qui lui sont attachées au cœur de notre société ; elle s’articulerait sur deux leviers classiques :
- la compensation financière du coût d’éducation des enfants ;
- la reconnaissance du rôle de la mère de famille (ou du père si c’est lui qui dans certains cas est amené à rester au foyer) comme authentique travail ; ce qui implique un salaire et une retraite.
Mais de tels leviers sont insuffisants parce que précaire pour le premier et flou pour le deuxième. Ce qui changerait vraiment la donne serait de moderniser l’univers professionnel tout en relançant une politique d’aménagement du territoire venant étayer de nouvelles formules d’organisation du travail.
1. En quoi l’univers professionnel existant est-il un facteur négatif pour la natalité ?
Notre droit et notre culture de l’entreprise demeurent pour l’essentiel ceux mis en place sous Napoléon, en héritage des principes révolutionnaires. L’entreprise est ainsi un bien qui s’échange comme n’importe quelle marchandise. L’homme y existe au même titre qu’une machine-outil ou qu’un logiciel. La finalité de l’entreprise, pas davantage que celle d’une valeur boursière, est uniquement de générer du profit à un terme escompté par celui ou ceux qui en détiennent la propriété. Le reste n’est que littérature, discours séduisants destinés à mobiliser (plutôt manipuler) les esprits et à donner l’illusion que l’entreprise se soucie de ses responsabilités civiques ou citoyennes.
Cette conception, celle d’une République bourgeoise issue de la Révolution, s’oppose aux valeurs chrétiennes qui fondent notre civilisation. Elle s’y oppose en ce sens qu’elle nie la prééminence de l’homme dans toute réalité sociale et que ce faisant, elle maintient continuellement un état d’injustice et de désordre.
Pour ce qui est de la natalité, contentons-nous de percevoir qu’une entreprise qui n’intègre pas dans sa finalité le bien des hommes qui y travaillent et celui des collectivités qui lui permet d’exister (commune, région, nation) sera toujours induite à fonctionner comme un être asocial, n’agissant en bien que sous la contrainte (des lois, des forces syndicales) ou sous l’impulsion des rares dirigeants qu’oriente une vision morale de leur rôle.
Ainsi, qu’en est-il de la prise en compte de la parentalité ?
Hormis quelques grandes sociétés qui, de leur passé paternaliste, ont conservé une crèche dans leurs locaux - pratique en voie de disparition - rien n’est conçu pour faciliter et, encore moins, pour encourager et accompagner la parentalité. Le nœud du problème réside dans le choix inhumain qu’on impose aux femmes : enfants ou carrière, alternative parfois exprimée telle quelle aux salariées concernées.
Certes il existe, et heureusement, des possibilités de travail à temps partiel, mais avec toujours la contrepartie implicite de renoncer à un avancement optimal, voire à un avancement tout court.
Par ailleurs, il n’est pas rare qu’au moment de l’embauche d’une jeune femme, l’on se permette de l’interroger sur ses projets parentaux et que l’on obtienne d’elle un accord de principe pour reporter de tant d’années la première naissance. Entre une jeune femme mariée et une célibataire (une « célibattante »), le choix sera vite fait au profit de la seconde.
Les entreprises ignorent pourtant que des études socio psychologiques ont démontré que la maternité est une source d’épanouissement – dixit Evelyne Sullerot [3]– qui rejaillit sur l’efficacité au travail ; à condition toutefois que ce double statut de mère et de salariée ne se traduise pas par un surmenage, insupportable sur le long terme.
Or, c’est bien ce qui se passe ordinairement pour la majorité des salariés, concentrés dans les grandes agglomérations. C’est ici que le problème intra-entreprise recoupe celui de l’aménagement du territoire.
2. Les conséquences négatives de l’éloignement entre lieu de travail et lieu de résidence.
Toutes les grandes agglomérations sont confrontées aux retombées d’un urbanisme qui s’est formé sans vision à long terme, avec des infrastructures de transport chroniquement inadaptées aux besoins, produisant un gâchis quotidien de millions d’heures, ôtées à la vie personnelle, familiale, sociale.
L’exemple de Paris est le plus éloquent.
L’on y voit le cœur et l’immédiate périphérie se vider des populations modestes et même de niveau moyen, au profit de bureaux, de commerces de luxe et de logements pour privilégiés.
Parallèlement, les salariés sont contraints d’aller trouver résidence toujours de plus en plus loin. C’est ainsi que des gens habitant à Chartres ou Caen, se pressent chaque matin pour venir travailler à Paris ou en sa ceinture, dans des trains et métros bondés ou dans des embouteillages gigantesques.
L’on peut imaginer le parcours du combattant de la mère courage contemporaine, contrainte de se lever à l’aube pour amener ses enfants à une crèche parfois éloignée du domicile, et revenir tard le soir pour entamer une deuxième journée de travail, bien souvent sans le soutien d’un conjoint qui arrivera encore plus tard ou qui n’arrivera pas car il y aura eu divorce ou rupture et que, passée la quarantaine, la plupart des mères divorcées se retrouvent seules à élever leurs enfants.
En face d’un tel contexte, une vie professionnelle hostile au projet parental exigeant de plus un éloignement et des durées de transport déraisonnables, comment s’étonner que les femmes, déjà peu encouragées par leurs conjoints, hésitent à accomplir leur vocation maternelle et, qu’une fois nés deux enfants, voire seulement un, elles renoncent à engendrer de nouveau ?
Un congé parental largement allongé et rémunéré permettrait certes d’améliorer sensiblement la situation en donnant le temps et les moyens aux mères de s’occuper pleinement de leur(s) enfant(s), avant de retourner travailler hors du foyer le moment venu.
Pour autant, toutes les mesures d’une vraie politique familiale ne sauraient suffire à transformer en profondeur le rapport entre vie professionnelle et vie parentale.
Une modernisation des organisations doit venir étayer une authentique politique familiale par la transformation de ce qui aujourd’hui est vécu comme une opposition en une convergence d’intérêts . Le jour où les entreprises chercheront d’elles-mêmes à favoriser l’épanouissement familial de leurs salariés, la partie sera gagnée, et pour longtemps.
3. Modernisation des entreprises, en faveur de la parentalité
L’idée est d’inciter les entreprises, à l’échelon de l’Etat comme des collectivités territoriales, à orienter la modernisation de leurs structures dans le sens d’un accueil privilégié des salariés en charge d’enfants.
Il ne sera pas débattu ici des moyens précis de cette incitation. Crédits d’impôts, allègement des charges sociales, aide à l’investissement en se portant caution des entreprises auprès d’organismes de prêt, les moyens sont nombreux et peuvent varier selon les orientations de la politique industrielle et d’aménagement du territoire. L’important est que ces incitations épousent les objectifs de relance de la natalité.
Mesurer la contribution à la natalité
Le bilan social de chaque entreprise devra intégrer des indications précises à cet égard :
- pourcentage de salariés en charge d’enfants, et notamment en charge de familles nombreuses ;
- nombre d’enfants par salarié ; pourcentage de postes aménagés pour l’aide aux salariés parents ;
- projets en cours etc.
De la sorte, une quantification de la contribution de chaque entreprise à la natalité pourra être établie, sous le double contrôle :
- d’organismes neutres de certification, comme il en existe pour attester de l’organisation de la qualité (norme Iso 9001) ;
- d’un Comité Vie professionnelle - Vie familiale, interne à l’entreprise, comme existent aujourd’hui les comités hygiène et sécurité.
La mission de ce Comité VP-VF, composé de salariés élus spécifiquement, de délégués syndicaux et de représentants de la Direction, serait de s’assurer de la véracité des chiffres produits par l’employeur et, plus positivement, de proposer des modernisations de l’organisation du travail destinées à rehausser sans cesse l’harmonie entre contraintes professionnelles et contraintes parentales.
La mesure objective de la contribution à la natalité servira de base, sous forme par exemple, d’un indice synthétique de contribution à la natalité, à l’octroi des différentes formules d’incitation. A côté de cette logique volontariste, un plancher minimal de contribution pourra être assuré grâce à des mesures coercitives.
Actions coercitives pour une contribution minimale de chaque entreprise
- Pénalisation fondée sur l’indice synthétique de contribution à la natalité ; en dessous d’un certain seuil, variant selon les branches, les lieux d’implantation, les volumes d’effectifs et les difficultés liées au marché, les entreprises auraient une taxe à verser à un Fonds National pour la Relance de la Natalité, destiné à financer des innovations et à aider des familles nombreuses en situation de détresse.
- Fixation, également selon une typologie rendant compte des réalités concrètes, de quotas de salariés parents, de salariés mères de famille, de salariés mères de familles nombreuses. Ces quotas devront bien sûr être raisonnables afin que le projet de relance de la natalité se présente avant tout comme un mouvement volontaire associant les forces vives de la Nation à une démarche de salut public.
Axes de modernisation de l’organisation du travail en faveur de la natalité
Le développement et la « domesticatisation » du télétravail
Le télétravail est déjà pratiqué dans les secteurs du marketing direct, de l’aide à distance ou encore dans l’administration commerciale ou informatique. Le télétravail est le plus souvent accompli dans des plates-formes centralisées, où les salariés sont contrôlés et animés par des chefs d’équipe qui peuvent écouter les conversations à tout moment, ou contrôler les écritures passées à l’écran.
La présence physique du salarié est surtout utile pour faciliter la passation des consignes et pour effectuer des bilans sur le travail effectué. Mais l’immense majorité du temps de travail ne nécessite pas la présence effective du téléopérateur.
Grâce à la baisse des coûts de télécommunication et aux moyens très puissants de transmission des données qu’apporte Internet, le travail pourrait facilement être assuré au domicile du salarié sans que le lien avec le chef d’équipe ne soit rompu.
Cette externalisation d’une partie de la main d’œuvre représenterait pour l’entreprise un avantage compensant largement les frais initiaux de mise en place du système, et cela grâce à une réduction des surfaces de bureaux.
Une objection est souvent mise en avant pour repousser cette modernisation : le télétravail à domicile couperait l’employé de l’entreprise, l’éloignant peu à peu de la culture ambiante et le rendant ainsi plus difficile à gérer. Et l’on ne se prive pas de rappeler que nombre d’expériences ont échoué, tentées dans le milieu des années 80, notamment dans le secteur bancaire - où de très nombreuses tâches n’exigent absolument pas la présence du salarié dans les locaux de l’entreprise –
Ces échecs ont eu en réalité pour cause principale le manque de préparation et de progressivité dans la mise en place de ces situations expérimentales.
De plus, il ne faudrait pas minimiser le facteur qu'a constitué en de maintes occasions, l'opposition des organisations syndicales. Celles-ci, jalouses de leur pouvoir, se méfient de cette externalisation du personnel ; y voyant le risque de perdre de leur influence et, argument plus valable, la crainte que les horaires de travail deviennent moins contrôlables par une transformation insidieuse d’un contrat de travail établi en durée hebdomadaire en un travail à la tâche.
L’on ne saurait nier que le télétravail à domicile n’est pas un processus simple à mettre en place. Il impose beaucoup de pragmatisme et de concertation.
Néanmoins, il ne sera jamais plus complexe à effectuer que la conception et la mise sur orbite d’une navette spatiale, opération qui ne décourage aucun de nos grands décideurs.
Il suffit avant tout d’avoir à l’esprit que le travail à domicile n’est pas un tout ou rien : travail à l’entreprise / travail chez soi.
Des formules mixtes et variables dans le temps en fonction des contraintes de l’entreprise, de celles du salarié et de ses collègues d’équipe - comme cela se pratique couramment en industrie par le système des roulettes - peuvent combiner harmonieusement le double besoin d’une présence effective du salarié (en temps voulu) dans les locaux de son employeur et celui de sa présence à domicile afin qu'il assure son travail tout en s’occupant de ses enfants.
De plus, il existe un biais possible, entre le travail in situ et le travail à domicile, qui est peut-être la vraie solution d’avenir :
L’antenne inter-entreprises de proximité
L’idée est de coupler les avantages :
- d’une proximité lieu de travail /lieu de résidence avec ceux, parfois nécessaires, selon les personnes, selon leurs fonctions, leurs conditions familiales et de logement, avec ceux
- d’un travail hors la maison, effectué dans un contexte professionnel.
Concrètement, cela consisterait à regrouper dans des locaux situés en zones résidentielles, par exemple dans une « cité » ou dans une petite ville de banlieue, des surfaces et des outils de travail mis à la disposition des employés de plusieurs entreprises ainsi associées.
Par exemple l’on pourrait avoir dans une de ces antennes, cinq ou six salariés d’une banque, travailler, avec des cloisonnements variables selon les besoins, aux côtés de quatre ou cinq employés d’une société d’informatique et deux ou trois collaborateurs d’une administration.
L’énorme avantage de ces antennes de proximité serait de rapprocher le lieu de travail du lieu de domicile, au double bénéfice des salariés et des employeurs :
- les salariées mères de famille pourraient facilement gérer leurs contraintes, notamment pour amener et rechercher leurs enfants à la crèche ou à l’école ; sans compter que le travail dans l’antenne pourrait se combiner, pour une part, avec un travail à domicile ;
- les entreprises économiseraient des surfaces en zone de grande cherté immobilière, ce que le coût de l’implantation des antennes ne compenserait pas, étant donnée l’énorme différentiel de prix entre Paris proche banlieue et grande couronne ou zones populaires.
Autres avantages :
- diminution de la population transportée chaque jour en grande agglomération, donc plus de fluidité, moins de temps perdu, moins de pollution ;
- réhabilitation sociale des cités et banlieues dortoirs par la présence de pôles d’activité générateurs de commerces de proximité, conférant une plus grande dignité et une plus grande sécurité à ces lieux déshérités.
Comment les entreprises pourraient mettre en œuvre de
- telles antennes ?
Dans un premier temps, les grands groupes de services, banques, assurances, sociétés d’informatique et administrations seraient les initiateurs privilégiés de cette innovation, aidés en cela par la grande masse de leurs salariés, la nature des postes occupés, ainsi que par leurs moyens financiers (notons qu’il s’agira d’un investissement de modernisation, vite rentabilisé par ses retombées positives).
Prenons un exemple.
Le Crédit X, employant quelques 20 000 personnes sur la région parisienne.
1° étape : combien de salariés concernés ? Admettons 5 000 mères de famille, dont le travail ne nécessite pas une présence en l’un ou l’autre des établissements du Crédit X sur la région.
2° étape : établissement d’un bilan géographique d’implantation des salariés concernés faisant ressortir que 80% d’entre eux, soit 4 000, se concentrent dans 200 lieux, ce qui fait en moyenne 20 employés par lieu.
3° étape : concertation avec d’autres entreprises possédant des employés dans l’un ou l’autre de ces 200 lieux.
4°étape : construction ou aménagement des locaux destinés à abriter les antennes. Selon le nombre d’employés, l’antenne fonctionnera comme une dépendance mono entreprise, en l’occurrence du Crédit X, ou comme une plate-forme multi-entreprises où chaque société associée au projet disposera d’une portion de la surface ainsi que d’un droit d’usage d’équipements facilement partageables, comme de grosses imprimantes, des télécopieuses ou des moyens de stockage, de traitement et de télécommunication de données.
5°étape : définition, avec pragmatisme et concertation, de protocoles de création et de fonctionnement des antennes de proximité, au terme d’une expérimentation effectuée au moyen d’antennes « pilotes ».
Dans cet exemple, l’entreprise organise son implantation d’antennes en partant d’un bilan géographique de l’existant.
Par la suite, une fois un premier réseau d’antennes créé, il sera possible d’aller plus loin, en incitant les salariés, s’ils ne le font pas d’eux-mêmes, à élire domicile dans les lieux où se situent les antennes.
Des facilités d’implantation, auxquelles les collectivités territoriales concernées pourraient participer, seraient accordées aux salariés volontaires ainsi qu’aux futurs salariés, candidats pour travailler dans une entreprise ou d’un lieu doté d’antennes de proximité.
Une concertation interentreprises, à l’échelon des chambres de commerce et de l’industrie et/ou des chambres syndicales pourra amplifier ce mouvement de déconcentration des sièges sociaux et des grands pôles d’implantation (comme les directions régionales de grands groupes et les grandes installations industrielles).
Grâce à des informations croisées sur les implantations résidentielles, (en l’état et en projet) des personnels des différentes entreprises d’une zone, un nouvel élan sera impulsé en faveur d’un aménagement du territoire concordant avec l’objectif prioritaire de relance de la natalité.
Il y a probablement là un enjeu encore difficilement quantifiable de créer un cercle vertueux entre efficacité économique, relance des naissances, redynamisation et resocialisation de zones déshéritées ainsi que rationalisation des transports.
Assurer la continuité entre le statut maternel et le statut professionnel
Une des grandes erreurs qui entravent la volonté d’engendrer est la coupure artificielle qui sépare la femme en situation « ordinaire », au travail, et la femme en position « problématique », enceinte puis en charge de ses enfants.
Ainsi la grossesse est-elle ignorée de la vie d’entreprise quand elle n'est pas méprisée. Tout au plus donne-t-elle lieu à quelque congé thérapeutique, comme si le fait d’enfanter était une maladie (alors que la vraie maladie des temps présents résiderait plutôt dans le refus de l’enfant).
Ainsi la bonne salariée a-t-elle soin de demeurer à son poste aussi tard que possible, comme si cela était un label d’honneur, comme l’est celui de faire des records de temps de présence au bureau et feindre de s’en plaindre tout en s’en enorgueillissant insidieusement…
L’on sait pourtant, et depuis longtemps, combien la période de grossesse est précieuse pour le développement de l’enfant, pour sa santé physique et morale.
Le stress généré par une activité non adaptée à la femme en cours et en fin de grossesse aura également des conséquences dont l’entreprise pâtira à terme :
50% des femmes de la région parisienne ont fait une dépression avant l’âge de 35 ans, n'est-ce pas affligeant ?
Puis vient le temps du congé maternel, évidemment trop court, et en même temps mal conçu. Après la naissance, survient souvent un épisode de dépression chez la mère, exprimant probablement un trouble réactionnel lié à la délivrance que représente l’engendrement.
Plus tard, bien que la maman soit tout heureuse de pouponner son enfant, elle connaît des moments d’ennui qui sont d’autant plus mal vécus qu’ils suivent une vie active très soutenue, arrêtée brutalement peu auparavant.
Face à ce constat, une innovation consisterait à gommer cette coupure en aménageant le temps de travail de la mère avant et après la naissance.
La semaine de travail et/ou la journée seraient progressivement réduites pour aider la future mère à mieux vivre sa grossesse et à se préparer à son congé maternel.
Une fois la naissance survenue, et passé un temps complet à récupérer physiquement et à s’occuper pleinement du nourrisson, la reprise du lien avec l’entreprise pourrait s’effectuer, de façon très progressive et « sur mesure », en concertation avec le médecin traitant et le Comité Vie professionnelle Vie Familiale évoqué plus haut.
Ce lien pourrait débuter par une information sur la vie de l’entreprise et celle du service dont la mère est issue. Le ou la remplaçante pourrait par exemple visiter la maman ou lui téléphoner afin de bénéficier de ses conseils tout en la gardant au fait de ce qui se passe pendant son absence.
Par la suite, la mère entamerait une série de visites brèves à son lieu de travail, pour un but précis : se former à un télétravail à domicile et/ou en antenne de proximité.
De cette façon, le lien ne serait jamais coupé plus longtemps que lors d’une période de vacances. En pointillé, la reprise s’effectuerait pendant la période du congé parental, évidemment en fonction du nombre d’enfants à charge, l’objectif étant de considérer ce congé, non pas comme une absence pour l’entreprise, mais comme un moment, une étape de la vie de la salariée, à gérer de façon adéquate, selon une vision où l’équilibre et l’épanouissement de l’employé concordent, en toute situation, avec l’intérêt de l’entreprise et celui de la Nation.
Dans une telle perspective, à l’issue de son congé, la mère aura acquis une expérience de travail externalisé qui lui permettra de choisir de continuer selon ce procédé en toute connaissance de cause et sans perdre de temps pour s’y habituer, puisque la formation aura été assurée pendant le congé parental.
Conçu ainsi, « persillé » de travail, le congé parental pourrait, en contrepartie, durer plus longtemps, puisqu’il permettrait à l’entreprise de conserver une contribution, même limitée, de sa salariée durant cette période.
La mère, pour sa part, y gagnerait à divers égards :
- ses moments d’ennui seraient comblés ;
- elle n’aurait pas le sentiment culpabilisant de s'estimer inactive ;
- elle se préparerait, dans les meilleures conditions, à la reprise de son poste, selon une formule adaptée à ses contraintes parentales.
J’ai souvent eu l’occasion de parler de cette innovation avec des salariées mères de famille ou souhaitant le devenir. Leur réaction a toujours été très positive, avec toutefois la perplexité que suscite toute idée taxable d’utopie.
La réalité est que nos compatriotes, comme salariés et citoyens, sont résignés face à une société dont les leviers leur paraissent, à juste titre, inaccessibles. S’ils perçoivent à leur niveau combien, parfois avec peu de choses, beaucoup de bien pourrait être apporté, ils savent néanmoins que tout changement se fait et se fera sans eux : c’est l’affaire de la France d’en haut, et au mieux, des syndicats, perçus également comme des castes, mais qui malgré tout leur assurent un minimum de défense... de défense, pas d’initiative, car nous le savons, les syndicalistes sont tout autant rétifs au changement que les patrons et les hiérarques auxquels ils font profession de s’opposer.
Cette remarque met en lumière que le programme de modernisation que je viens d'esquisser ne saurait être entrepris en dehors d'une forte volonté politique, soit dans un contexte de bouleversement des institutions à l'occasion d'une forme de révolution mettant fin au régime en place, soit, mais j'y crois moins, à la faveur d'une prise de conscience des acteurs majeurs en place qui dépasserait les rivalités idéologiques, une union sacrée en quelque sorte, comme l'on s'échine à en créer pour traiter efficacement les problèmatiques écologiques
L'enjeu est de toutes façons aisé à discerner si l'on veut bien s'en donner la peine.
1. Les entreprises ont un intérêt objectif à remobiliser leurs salariés, à rééquilibrer leurs pyramides des âges, et que les populations qui forment leurs marchés et leurs masses salariales rajeunissent
2. Les innovations nécessaires pour accomplir ce rajeunissement revêtent une dimension sociale. Elles démontrent que la relance de la natalité va de pair avec une modernisation des structures économiques et plus encore, du fonctionnement de la démocratie.
* * * * *
[1] Alfred Sauvy, polytechnicien, économiste et sociologue, il est un des pères de la Science démographique, inspirateur et artisan du Code de la Famille en 1939, inspirateur et 1er directeur de l’INED en 1945, professeur à Sciences Po puis au Collège de France en 1959.
[2] Jacques Dupâquier, normalien, historien de la population, directeur de recherche à l’EHSS, s’engagea au Front National, appellation de la résistance communiste durant la guerre, quitta le PCF en 56 et devint catholique. Reçu à l’Institut en 1995, il a été l’un des piliers du lobby pro-nataliste durant trois décennies.
[3] Eminente sociologue, spécialiste des questions familiales et de la condition de la femme a notamment été experte auprès de l’ONU. Elle fut membre du conseil d’administration de l’association Générations.
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