RD Congo, la propulsion d’un étranger au sommet d’un pays : une réalité ou une fuite en avant ?
Dans un pays où le pouvoir fut pendant longtemps exercé par les ressortissants de l’Ouest, d’expression lingalaphone, tout ce qui vient d’ailleurs, notamment les ressortissants d’expression swahiliphone, ne peut qu’être considéré comme étranger, à l’image du pouvoir actuel.
Il est parfois difficile de comprendre ce que veut l’être humain quand on ne sait pas d’où on vient ni où on va. La lutte incessante du pouvoir actuel au sommet de l’Etat congolais ne trouve pas d’explication convaincante aux yeux des plus défavorisés de la population congolaise, quand leur souci premier est de voir leur pays sortir d’une longue crise et leur offrir ainsi une dignité tant bafouée dans le passé.
Mais les dirigeants ne voient pas les choses de cette manière.Le Congo démocratique, ex Zaïre, est un pays qui a été très longtemps gouverné par les personnes ressortissant de la partie Ouest de la RD Congo, de Joseph Kasavubu jusqu’au président Mobutu.
Sont considérées comme ressortissants de l’Ouest les personnes originaires de la province de l’Equateur, de la ville de Kinshasa, des provinces de Bandundu et du Bas-Congo dont la majorité parlent le lingala bien que d’autres parlent aussi le kikongo, par opposition aux personnes ou ressortissants de la partie Est de la RD Congo qui parlent, dans leur grande majorité, le kiswahili, une autre langue officielle de la RD Congo.
Depuis les années soixante, jusqu’à la prise du pouvoir par feu Laurent Desiré Kabila, le pouvoir était détenu par les personnes d’expression lingalaphone ; ce qui, d’ailleurs, a fait que la plupart des étrangers croyaient que tout Congolais devrait parler le lingala alors qu’il existe d’autres langues officielles, parmi laquelle le kiswahili qui est parlé par plus des deux tiers de la popuzlation de ce pays.
La ville de Kinshasa étant la capitale de la RD Congo et où presque la totalité de la population parle le lingala, il fut un certain temps où celui qui ne parlait pas cette langue était d’office considéré comme étranger.
Si les ressortissants de la partie Est de la RD Congo faisaient aussi partie des pouvoirs précédents, il est aussi vrai qu’ils n’étaient pas réellement représentés dans les hautes sphères du pouvoir à cause de la politique d’exclusion menée par les différents régimes précédents où il fallait être de la famille présidentielle pour espérer détenir les postes de responsabilité.
Nul n’ignore la renommée et le soutien extérieur du pouvoir de Mobutu ; il est parvenu à imposer la langue lingala à travers toutes les hiérarchies politiques et militaires de la RD Congo, ex Zaire. La musique non plus n’a pas échappé à cette réalité ; la plupart des musiciens connus à l’étranger sont ressortissants de l’Ouest de la RD Congo et par conséquent parlant le lingala, notamment Rochereau Tabu Ley, Feu Franco en passant par Koffi Olomide et Werason. Ces musiciens, plus connus à l’extérieur du pays, utilisent le lingala comme langue de communication pour leurs chansons. Et la réalité a fait que les Congolais d’expression swahiliphone sont considérés comme des Congolais de seconde zone. Pour être considéré comme Congolais authentique, il faut parler le lingala, sinon, vous serez considéré comme étranger et ceci est d’autant plus vrai que l’arrivée de Kabila, swahiliphone, au pouvoir en 1996 n’a pas vraiment plu aux ressortissants de l’Ouest de la RD Congo. Et, comble de malheur, il est venu aussi au pouvoir accompagné par les forces armées étrangères des pays voisins ne parlant aucun mot de lingala.
Si le pouvoir de Mobutu était dejà rejeté par la majorité de la population de la RD Congo, il est aussi vrai que la venue de Kabila fut aussi mal vécue.
Laurent Desiré Kabila voulut inverser la situation en remettant en cause tout ce qui avait été institué par le pouvoir de Mobutu, entre autres la langue lingala, au profit de la langue swahili ; mais ce fut difficile puisqu’on ne pouvait pas changer une culture du jour au lendemain : si le pouvoir de Mobutu était aussi confondu avec la langue lingala, il est aussi évident que cette langue est et reste l’expression d’une certaine culture des populations de l’Ouest, et on ne pouvait pas le changer.
D’ailleurs, son pouvoir n’a pas été meilleur que celui de Mobutu. Ne benéficiant pas du soutien des occidentaux, son pouvoir fut caractérisé, à l’instar des régimes précédents, par le clientélisme et la corruption.
La suite est connue de tous : son fils Joseph Kabila, qui lui a succédé, ne parle aucun mot de lingala, et tout ceci montre à quel point il a eu et a toujours du mal à s’imposer aux yeux de la plupart des Congolais de la partie Ouest, et principalement à Kinshasa.
Rien de plus normal que de le considérer comme étranger, puisqu’il n’est pas des leurs. Si ce jeune président parlait couramment le lingala, peut-être ne serait-il pas pris pour un étranger.
Le prétendu soutien dont il bénéficie de l’Occident, principalement de la Belgique, ne serait pas une des raisons d’être considéré comme étranger, puisque ses illustres prédécesseurs, notamment Mobutu, ont aussi été massivement soutenus par les puissances étrangères et ils n’ont pas été taxés d’étrangers.
Mais pourquoi, dit-on, tant d’acharnement sur l’origine et la nationalité du jeune président Kabila ? Même les esprits avisés tombent dans ce piège de croire que ce président est étranger.
Il est vrai que les pouvoirs précédents, installés pendant plus de trois décennies, avaient mis en place des structures politiques et économiques à bases familiales et ethniques très puissantes qui influent toujours sur le monde politique et économique du pays, et ces différentes structures sont toujours, de près ou de loin, liées aux personnes d’expression lingalaphone qui considèrent que celui qui ne parle pas le lingala est étranger, et cette réalité a fonctionné jusqu’à présent.
Certains ressortissants de la RD Congo de l’Est, considérés jusqu’à présent comme les citoyens de seconde zone, s’efforcent de parler le lingala pour être considérés comme les autres Congolais de l’Ouest qui se considèrent comme bourgeois et émancipés.
Et ce n’est pas le jeune président Joseph Kabila qui viendrait remettre en cause cette prétendue domination des lingalaphones sur les swahiliphones, puisqu’il est toujours contesté comme étant Congolais, disons vrai Congolais.
Malheureusement l’actuel président, éventuel successeur de lui-même et swahiliphone, n’est pas vraiment différent des autres lingalaphones, puisque sa méthode de gestion du pouvoir n’a rien à envier aux précédents pouvoirs. C’est toujours de la marche sur place.
On se demande toujours : pourquoi un tel acharnement sur son origine ? Si les intérêts du pouvoir ont seulement changé de camp, de lingala au swahiliphone, les systèmes sont restés les mêmes.
Si c’est la langue qui pouvait déterminer le sort de bon nombre des pays pauvres, notamment, l’Ouganda, le Kenya ou le Malawi, ils seraient aussi développés que le sont les Etats-Unis, du fait qu’ils parlent la même langue officielle, en l’occurence l’anglais, ou bien les pays comme le Cameroun ou le Gabon seraient comme la France, parce qu’ils partagent la même langue officielle, le français.
Ce n’est pas la langue anglaise qui fait que les Etats-Unis sont le pays le plus riche dans le monde ; tout comme la langue française n’est la base de la richesse de la France. C’est la volonté des uns et des autres de vivre ensemble et de partager ce qu’ils ont qui fait que ces pays suscitent l’envie et sont développés.
Il en est de même pour la RD Congo où certaines personnes ne veulent pas admettre que la volonté de vivre ensemble prime sur l’origine de quelqu’un, et que les langues ne devraient être considérées que comme moyens de transmettre les idées et le savoir-faire pour construire ensemble le pays.
Mais certaines n’y croient pas, et pensent toujours que l’étranger est la cause de malheurs du Congolais. Mais c’est oublier que l’étranger ne vient que là où on lui permet d’entrer.
Les divisions et suspiscions ne pourraient-elles pas permettre aussi aux étrangers de se servir du Congo pour s’enrichir ?
Aussi longtemps que les langues et cultures seront sources des divisions entre communautés, les puissances étrangères ne quitteront pas ce pays, parce qu’il faudra toujours empêcher que les conflits n’éclatent et que les guerres ne se répandent dans toute la région de l’Afrique centrale.
Et comme le monde est régi par le principe du donnant-donnant, ces puissances continueront aussi à se servir de ce que le pays possède comme richesses, au détriment de l’ensemble de la population.
Source : Kilosho Barthélemy Covalence-Genève
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