Record du pessimisme, médicalisation de masse, perte du lien social : le temps de la « sous France »
Il y a quelques temps, le Parisien publiait un sondage (Institut BVA-Gallup) désignant les Français comme champions du monde du pessimisme quant à leur situation économique et sociale, très loin devant des pays pauvres ou en guerre. Ainsi, pour 61% de nos concitoyens cette année 2011 serait d’abord porteuse de difficultés (28% en moyenne dans le monde), 67% pensant par exemple que toute baisse réelle du chômage était improbable. Les rebonds récents de la crise n’ont fait qu’intensifier cet état d’esprit négatif. Sur bien des points un « mal français » spécifique se confirme au fil des enquêtes. L’actualité marquée par l’emprise croissante de la téléréalité jusqu’aux frontières du politique, semble traduire une fuite dans l’anecdotique et le divertissement, dans l’imaginaire. A force de piétiner ses racines, le pays erre dans un entre deux eaux, entre le flot de nostalgie du passé et le lac asséché des vieilles lunes idéologiques. Notre pays traverserait-il ce que bon nombre de psychanalystes définiraient comme une grande phase de régression quasi infantile ? Face à la mutation de maturité qui doit être la sienne, divers signaux d’alarme parlent évidemment dans le sens d’une dépression.
La France se situe ainsi en tête des pays européens pour les frais pharmaceutiques, surtout dans la consommation d’antihypertenseurs et vasodilatateurs, ou d’antibiotiques. Le français se pense volontiers souffrant jusqu’à accorder des vertus quasi magiques et une véritable croyance aux médicaments Le dieu laïque serait aussi pharmaceutique. Cela est désormais de renommée internationale, le pays le plus visité du monde renferme aussi les plus gros consommateurs de psychotropes. Plus d'un quart des Français consomme des anxiolytiques et des antidépresseurs, des somnifères et autres médicaments pour le mental. Sans ses racines, la France perd logiquement la tête, le rapport à sa réalité caractérise un profond malaise.
Chaque année plus de 150 millions de boites de divers normothymiques sont prescrites. Ces « régulateurs de l’humeur » définis comme tranquillisants et somnifères sont hélas susceptibles de provoquer des dépendances en prescription prolongée. Y compris en temps de grave crise, le peuple exige la prescription du moindre de ses acquis sociaux autant que médicamenteux. Qu’il vote pour les plus grands vendeurs de promesses chimériques serait pareillement acquis. La France est de mauvaise humeur. Elle ne se reconnaît plus.
Notre pays reste par ailleurs dans le groupe de tête sur la scène mondiale en terme de traitements psychiatriques. Le nombre d'internements aura ainsi presque doublé en 16 ans. On compte plus de 73 000 internements chaque année en France, chiffre trois à quatre fois supérieur à ceux du Royaume-Uni ou de l’Espagne, comme de l'Italie. La douce folie ou inconscience françaises (par exemple au niveau de la dette publique depuis 30 ans) atteindraient les sommets. La France cherche sa boussole plus encore depuis qu’elle a rompu avec une présidence pépère autant que paternelle, celle qui était en vigueur du début des années 80 jusqu’au début des années 2000. Nous vivions alors les années ‘folles » et dépensières. Les déficits augmentaient proportionnellement à la démagogie déployée pour les faire oublier. La fêtocratie régnait. Les enfants sauraient payer demain l’irresponsabilité présente de leurs parents. Toute personnalité publique invitant à la rigueur se voyait interdit de bal médiatique. La morale avait mauvaise presse. Aujourd’hui, le « cinéma » » solde sa dernière séance.
Lors d’une manifestation récente, la Commission des Citoyens pour les Droits de l'Homme dénonçait avec force la loi récemment adoptée par l'Assemblée Nationale, loi permettant d’appliquer plus facilement des traitements psychiatriques à domicile. Le politique réagit comme il peut face au malaise croissant, d’autant plus quand les fournisseurs de traitements médicaux eux même sont en petite forme, au niveau de l’éthique. La même Commission des Citoyens dénonce le marché frauduleux des drogues psychiatriques. Outre les paradis fiscaux, la tentation du paradis artificiel. Symboliquement, les scandales frappant de grands laboratoires rappelleraient donc que la France est atteinte par diverses « maladies » ou pathologies sociales et sociétales. Les psychotropes et certains discours rasant gratis masquent surtout les symptômes nationaux de différentes natures, n'apportant hélas aucune guérison, dans une forte dépendance accrue pour le bonheur de la marge bénéficiaire des laboratoires, et pour le pays, le creusement de la dette publique.
La logique de l’économie réelle ayant cédé devant l’abstraction boursière, le peuple erre dans les eaux fluctuantes de la relativité. Le pays réel se cherche. Les travers psychosociaux voient les intérêts mercantiles prévaloir sur les nécessités médicales et sociales. La société est « malade » de son « modèle » devenu sans cesse plus marchand, déclassant l’Homme de la place première qui devrait être la sienne.
Les médecins généralistes restent manifestement en première ligne récupérant toutes les petites et grandes pathologies sociales ou psychiques, d’autant plus que le recours à un psychologue n'est en général pas remboursé et la consultation d'un psychiatre peu accessibles dans certaines régions. D’après l'Atlas de la démographie médicale, la densité de médecins spécialistes en psychiatrie varie profondément selon les départements, de 6 à 79 pour 100 000 habitants. Avec 1 714 psychiatres, Paris en compte davantage que la Picardie (216), le Nord-Pas-de-Calais (461), la Normandie (395), la Lorraine (266) et Champagne-Ardenne (132) réunis. Le constat est saisissant. La France est un mauvais docteur pour elle-même, quitte à prétendre sauver le monde entier. La France décentralise peu et bien mal, dans sa crise de maturité. Ce pays fait beaucoup plus d’enfants que d’autres mais reste l’enfant de ses heures glorieuses passées. Les secrets de famille résident dans ce père qu’il ne sait pas « tuer » selon les conseils freudiens. La France poursuit une psychanalyse prolongée outre mesure, comme tous ceux qui ont une « histoire » particulière. La France ne parvient plus à « s’intégrer » elle-même.
La parité tant évoquée par bien des élus marque un pareil échec. La mère patrie n’est plus ce qu’elle était. Dans notre pays, les épisodes dépressifs majeurs touchent en effet davantage les femmes restant soumises à des traumas plus spécifiques de leur identité (maltraitance dans l’enfance et le couple, veuvage, divorce, chômage, invalidité), cela restant plus fréquent dans les quartiers défavorisés, peu de psychiatres y sont installés. La France ne prend plus soin d’elle-même. Le protectionnisme a trop mauvaise presse. Le monde médical lui-même porterait donc toutes les « névroses » sociales et économiques de la société, sans insister sur le désert médical du monde rural. La Santé a elle aussi perdu ses racines. En tout cas, le marché des psychotropes ne connaît pas la crise. La France est malade d’avoir oublié sur divers plans les fameux droits de l’Homme dont elle abreuve le monde. Elle n’est même plus fidèle à l’exigence minimale « les femmes et les enfants d’abord » ou « la veuve et l’orphelin ». Le seuil de pauvreté frappe presque deux millions d’enfants, ne disposant pas chaque jour du besoin alimentaire requis. Oui, la France est très malade.
La souffrance au travail traduit de façon exemplaire ce malaise plus général de la société. Le débat est devenu important depuis l'automne 2009, suite à la vague de suicides chez France Télécom. Le nom d’une entreprise parle parfois pour tout un pays. On ne communique plus, ou mal. Selon un sondage (BVA), seulement 31% des salariés se disent "parfois heureux" au travail en 2011, contre 37% en 2010. C'est le niveau le plus bas enregistré depuis 2007. Plus de 40% des salariés affirment même que leur motivation régresse, chiffre en nette augmentation par rapport à l’étude de 2007. Si la démotivation des ouvriers (42%) et des employés (38%) stagne entre 2007 et 2010, la démotivation s'accroît très nettement pour les cadres. Si en 2007, ils étaient 19% à dire leur motivation en baisse, ils sont à présent presque le double (37%). Enfin, la question du pouvoir d'achat porte toutes les angoisses. Pour s’être vendue jusque son âme, la France ne permet plus à son peuple d’acheter et consommer. Ainsi, 68% des actifs ne s'estiment pas satisfaits en matière de salaire. La crise fait mal au portefeuille. La redistribution reste aussi défaillante que l’ascenseur social, les charges pèsent excessivement sur les salaires, des surprotections sont garanties à une minorité et le contraire à la majorité, tout cela structure en partie le virus du mal français.
En insistant prioritairement sur la performance individuelle, les méthodes de management et de gestion ont aussi déstructuré le sens du collectif. Le lien social se délite. L’élite vit dans son monde. Le peuple demeure dans un ailleurs de plus en plus indéfini. La société française devient une des plus inégalitaires. Le discours répandu et dissocié de toute réalité vient augmenter le sentiment général de dépréciation et d’injustice, de solitude (fléau national). L'augmentation des pathologies de surcharge comme le « burn-out, karôsh » (mort par excès de travail), celle des troubles musculo-squelettiques, le recours accru au dopage, tout atteste d’une réelle dégradation de la qualité de vie professionnelle. Le chômage entraîne une souffrance équivalente, dans le sens contraire de la privation et de la frustration. On n’y compte plus les addictions diverses, souvent les mêmes. La France a mal à son Pôle Emploi parce qu’elle a mal à ses entreprises, autant qu’elle gère bien mal son mille feuilles administratif. La justice sociale est à la diète.
Outre l’évaluation qualitative, l’idée de « coopération » gagnerait à être parallèlement promue dans le cadre professionnel et général. La coopération s'analyse selon une règle désormais bien connue, reposant sur trois niveaux. Celui de la coopération horizontale entre membres d'une équipe, la coopération verticale entre chefs et subordonnés, enfin la coopération transverse avec les clients ou les usagers. Cette approche est structurée, elle reste hélas ignorée. Le quantitatif prime encore dans la société de surconsommation. L’Homme ne compte pas. Les ressources humaines s’épuisent dans l’approche minimale et stérile que le système actuel leur impose. Le facteur humain reste au-delà même d’une marge variable. Le pays des Droits de l’Homme ? La « sous France ».
La qualité et la compétitivité « gagneraient » pourtant à retrouver leur lien logique, qu’il s’agisse de cadre et conditions de travail ou de relation interpersonnelle sur le terrain professionnel. Avec un peu de bonne volonté le travail pourrait s’adapter à diverses organisations dans la gestion du temps et le management des différents acteurs. La dégradation manifeste des rapports entre activité professionnelle et santé n’est pas insoluble, pas plus que la crise des motivations attestée par toutes les enquêtes. La réhabilitation sensée du travail et de sa valeur ne recouvre hélas qu’une réponse bien succincte. Le savoir faire perd rapidement tout son sens lorsque l’envie d’être se voit de plus en plus réprimée. La surconsommation médicamenteuse, la souffrance croissante au Travail, la démotivation, le chômage bien sur, tout interroge notre modèle de société dans sa globalité. La compétitivité individualiste devient porteuse d’une mort lente de la communauté. Malgré tout consciente de ses devoirs et de ses valeurs historiques, la France tombe logiquement plus profondément malade que d’autres. Qu’elle se protège ? Oui.
Notre « modèle » de développement ne pourra survivre lui-même que par la promotion de nouvelles relations citoyennes, par l’émergence de formes d’entreprises plus innovantes et humaines (le retour actuel des sociétés coopératives ? le portage en réseau ? en tout cas le soutien prioritaire aux PME-PMI), par la primauté réelle et structurée du Vivre-Ensemble et la prise en compte plus globale de « l’environnement » (écologique, social..). Tous les candidats à la magistrature dite « suprême » devraient axer toutes leurs propositions autour de ces préalables d’éthique, et d’humanité. La France tombe malade de ne plus être elle-même. A ne plus être bientôt souveraine en quoi que ce soit, la France est sans dessus dessous. Notre pays est en souffrance. Le temps n’est plus à la téléréalité générale renforcée par la consommation massive de psychotropes, alimentant à terme le plus grand pessimisme.
Sortir de la « sous France ». Tel est l’enjeu, entre la fidélité aux racines et la redéfinition d’un modèle de Vivre-Ensemble. .
Guillaume Boucard
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