Réforme de l’orthographe : le pédagogisme (une fois encore) contre les élèves
Lionel Jospin, ancien ministre de l'Education Nationale, a encore frappé, mais par procuration : dès 1990, les difficultés du système éducatif était entérinées par le Ministère, et la « réforme de l'orthographe » programmée, avec l'assentiment de l'Académie française. Mme Valaud Belkacem a ainsi l'insigne honneur de donner vie à un « vieux truc » qui était resté dans les cartons pour des raisons obscures. L'échec de notre Ecole n'est donc un secret pour personne en « haut lieu » depuis au moins 26 ans.
Contrairement à ce que semble penser Mme Vallaud Belkacem, la langue française n'est pas un outil modifiable à volonté, ni un supermarché des formes et des modes du jour, mais la structure même de la pensée, de l'identité, du regard des générations futures. Ses évolutions, lentes, ses adaptations dans lesquelles l'usage joue un rôle majeur, ne relèvent pas d'une décision politique, et donc administrative, prise par des « experts ».
La réforme de l'orthographe courait depuis 1990 (présidence Mitterrand), le ministre de l'Education Nationale étant alors M. Jospin. L'Académie Française l'avait hélas alors validée. C'était il y a 26 ans ! Elle accompagne la réforme des programmes (très mal reçue par les parents et les enseignants) qui devrait entrer dans les faits à la Rentrée 2016. Elle inscrit donc la politique conduite par Mme V. Belkacem dans le droit fil de ce qui a été fait du temps de M. Jospin.
Seule une observation sur le moyen terme devait à l'origine en permettre l'éventuelle adoption, qui signifie l'inscription des mots nouvellement orthographiés dans le dictionnaire (aux côtés des mêmes mots orthographiés normalement), ou légitimer un refus. L'observation a-t-elle été conduite, dans quelles conditions, selon quelle méthode, pendant combien de temps ? Mystère.
On ressort donc du placard un vieux truc qui alourdit encore le bilan éducatif de la « majorité » actuelle. La crise de l'Education Nationale, réformée régulièrement depuis les années soixante et dix du XXe siècle, et, avec elle, celle de la transmission des savoirs et de notre culture, sont en effet là pour témoigner des dérives à l'oeuvre qui sont aggravées activement par l'actuelle ministre.
En outre, cette modification officielle de l'orthographe de plusieurs centaines de mots était si nécessaire en ce début 2016 que ses applications ne sont pas obligatoires, comme cela était prévu dès les années 90.
Si, par ailleurs, l'Académie Française a validé le principe de la double orthographe du fait du contexte scolaire, ce qui est un non sens hier comme aujourd'hui, ce principe ne devait pas être introduit dans les faits via une décision abrupte de la puissance publique.
Le Ministère avance donc toujours au pas de charge dans la même voie que celle initiée par M. Jospin, celle du pédagogisme, de la charité éducative à l'endroit des élèves en difficulté, du refus de l'effort et par voie de conséquence, de l'élitisme républicain : était-il nécessaire en 1989 de mettre l'élève, surtout celui qui ne peut pas suivre, au centre du système éducatif, pour en faire un assisté sans avenir ?
Ce nouveau pas de clerc de l'actuelle Ministre de l'Education Nationale, digne des « grands ancêtres », va, hélas, avoir de lourdes conséquences sur les élèves les plus fragiles, ce qui ne paraît pas avoir effleuré nos technocrates du Ministère. Car il s'agit malheureusement d'un « vrai sujet », rien de ce qui touche à l'Ecole n'étant anecdotique.
Abandon en rase campagne de l'exigence égalitaire
Notre système éducatif est profondément en échec, du fait qu'on lui a demandé de réaliser ce qui est hors de sa portée, la fabrication à son niveau d'une société homogène et éduquée à notre culture et au monde qui est le nôtre en dépit de toutes les contraintes sociales et sociétales que connaît notre pays.
L'exigence officielle du système éducatif public se fondait pourtant sur un constat d'évidence, lié au principe d'égalité : tous les enfants ont le droit d'accéder à la connaissance et aux subtilités de la pensée et de la culture, ce qui induit que les adultes doivent leur proposer des outils éducatifs adaptés à cette ambition. La première condition de cette ambition pédagogique et éducative, c'est la capacité pour les élèves de s'exprimer convenablement à l'écrit et à l'oral au moins à la fin du secondaire (on en est loin).
Si cette condition n'est pas remplie, l'accès au monde des idées, à la compréhension des grands textes, à l'exigence de la rationalité et à une possible indépendance d'esprit contre toutes les tentatives de mises sous tutelle politiques ou religieuses est impossible.
Le sentiment d'appartenance nationale lui-même est lié au partage de la langue française.
Les fractures sociales et sociétales doivent beaucoup à l'insuffisante maîtrise du français qui provoque des clivages à priori insurmontables. Il n'existe pas de citoyenneté digne de ce nom sans la possession commune d'un bagage culturel minimal, et, ce qui va avec, sans un langage réellement partagé, seul véritable passeport pour l'échange et le dialogue, pour la fraternité.
Identifier partiellement notre langage à l'usage qui en est fait sur internet ou dans les cours de certains collèges, certes trop nombreux, ou juger arbitrairement que la complexité de l'orthographe ne signifiant plus rien, est inutile, puis pondre une règle « simplificatrice » d'application générale, c'est offrir un permis de laxisme à ceux qui ont le plus besoin de rigueur dans les apprentissages. C'est également contribuer à ramener la langue française au niveau d'un idiome privé de sa fonction universaliste, et abandonner toute volonté, toute stratégie pour donner à chacun les armes de la réussite et de l'épanouissement personnels, du moins si le « respect des différences » n'est pas devenu l'alpha et l'oméga de la citoyenneté bas de gamme que l'on nous propose souvent aujourd'hui. C'est enfin laisser le champ libre aux « héritiers » et à ceux qui ont la chance de suivre à l'école. Qui a par exemple côtoyé les Zones d'Education Prioritaire ou ce qui aujourd'hui en tient lieu, sait que là est le grand défi.
En « haut lieu », ce haut lieu dont la hauteur pourrait faire débat, on a pris en compte l'échec actuel de l'Ecole, qui vient de loin suite à une « massification » en trompe l'oeil, pour avancer plus encore dans le sens de l'inégalité et de l'élitisme contre ceux que l'on prétend défendre, conformément à une stratégie qui a au moins 26 ans, et dont les les résultats déplorables ne freinent en rien la mise en oeuvre. Car, contrairement à ce que font mine de penser tant de « pédagogues », dont on aimerait savoir où ils scolarisent leurs propres enfants, la facilité et le sens de la pente mènent à l'échec individuel et au triomphe de ceux dont les familles sont détentrices du capital culturel, si inégalement réparti à la naissance.
Avec ce nouveau coup de canif à l'exigence égalitaire, la réforme V. Belkacem traduit clairement ce que la réforme Jospin portait en germe, et ponctue ce que la réforme Fillon a largement matérialisé, l'abaissement du système éducatif et la poursuite de son nivellement par le bas.
Un scandale d'état (un de plus)
Cette réforme, qui ne contraint personne, mais prend acte d'un échec majeur de la République face à ses enfants au moment même où ce dernier devient évident aux yeux de beaucoup, va permettre d'alourdir les « marqueurs sociaux ». Si l'on comprend bien, il est remarquable que dès 1990, des hommes politiques aient constaté l'inefficacité de l'Education Nationale face à une partie notable de ses publics issus de la massification : ils ne nourrissaient aucune illusion sur la hausse du niveau général, puisque, déjà, ils songeaient à adapter l'Ecole à ses élèves en grande difficulté.
Les grands discours sur la réussite scolaire « pour tous » étaient-ils alors simplement politiques, au sens politicien du terme ? Visaient-ils à masquer des enjeux inavouables, et non à mobiliser les forces pour faire réussir vraiment les élèves ? Ces grands discours étaient-ils le reflet d'une ambition de façade des pouvoirs publics, pourtant si coûteuse en termes financiers, sociaux, et en terme d'avenir national ? On est en droit de se poser ces questions.
On peut en tout état de cause considérer que nous sommes en présence d'une instrumentalisation, sinon parfaitement programmé, du moins bien menée, du service public d'éducation français, dont le rôle a apparemment été de faire croire contre toute évidence qu'il n'existe aucun problème d'intégration pour les jeunes marginalisés au titre de leur altérité culturelle. Fallait-il donc à tout prix faire admettre aux Français que l'accueil, et la différence sont un bienfait (nommé au choix « mélange », créolisation », multiculturalisme » etc...) fût-ce à travers la création des ZEP, avant d'être un problème ? On doit hélas le supposer.
Certes, jusqu'à présent, les difficultés des uns et la réussite des autres étaient parfaitement connues du système scolaire et des employeurs, qui recrutent les « mieux disants » en terme de niveau. Mais les apparences étaient sauves, et les apparences, c'est aussi la dignité des personnes concernées quand il ne leur reste que cela.
A présent, l'Education Nationale va être obligée d'entériner ce nouveau recul des exigences (bon courage aux profs !), mais pas le monde du travail, ou celui des concours et des grandes écoles, car l'élitisme républicain va se défendre en rejetant d'une manière ou d'une autre un changement qui le met en danger de mort. Ce qui signifie que le système éducatif va fabriquer officiellement de l'échec social et professionnel sans même plus pouvoir se cacher derrière sa course hystérique à l'orientation et à l'intégration professionnelle, maîtres mots de la réforme Jospin, puis plus encore de la réforme Fillon.
Il est évidemment plus simple de tirer les conséquences des immenses problèmes de l'Ecole en prenant acte de leur ampleur, que d'affronter réellement les difficultés nées de politiques bâclées, trompeuses, cyniques que l'Etat a laissées aux idéologues dogmatiques du Ministère le soin de mettre en forme, à l'abri de l'increvable « intérêt des élèves », tout aussi vicié que « les droits de l'homme » tels qu'ils sont utilisés de nos jours dans les grands médias.
Ce désolant appauvrissement « à la carte » de l'orthographe est parfaitement légal, mais non légitime au regard du fait national, du devenir de notre jeunesse et de la culture française qui est notre richesse partagée.
Laisser les élèves en échec libre de rester en échec, en légitimant ce dernier toujours un peu plus, à présent à travers la mise à leur niveau de l'orthographe, dont Bruno Guigue dit toute la richesse et la signification, est un nouveau scandale d'Etat (tout autant que celui qui a consisté à engager le système éducatif public dans une voie de garage en toute connaissance de cause dès 1989 et sans qu'aucun gouvernement n'ait modifié la trajectoire ultérieurement).
En accompagnant réglementairement les retards scolaires parfaitement prévisibles et prévus d'une partie des jeunes Français, Mme V. Belkacem met ainsi à son corps défendant en lumière la fracture sociale qui mine notre pays et l'absence de véritables solutions.
Par la grâce de la réglementation, ce qui était faux devient vrai. Et tout va donc pour le mieux, puisque les statistiques donneront une image plus présentable du travail de l'institution scolaire aux abois sous sa forme actuelle.
La République n'a plus l'exigence de former des citoyens capables d'assumer leurs droits et leurs devoirs dans les meilleures conditions, elle a opté pour le service minimum, et entérine très officiellement, à l'occasion d'une réformette, la vérité de son projet éducatif « moderne et européen » qui enfin est exposé au grand jour. Avec cette Ecole au rabais, l'ascenseur social s'éloigne un peu plus, le triomphe de l' « école privé » est plus encore programmé.
Rendons justice au passage à M. Mitterrand et à son ministre de l'Education nationale, Lionel Jospin, pères de l'une des pires réformes du système éducatif français. L'inspiration mitterrando-jospinienne qui guide de toute évidence Mme V. Belkacem dans la formulation de sa politique, doit être dûment saluée. Nous devons y associer MM. Hollande, Valls et les membres du gouvernement. Ainsi que la « droite républicaine » qui a apporté fréquemment sa pierre au « massacre des innocents ».
Droite et gauche de gouvernement sont évidemment responsables, au même tire, de ce désastre politique et social. Mais derrière les personnels politiques, une frange de ce que l'on nommerait l' « Etat profond », la technocratie du Ministère de L'Education Nationale, inspire les politiques éducatives mises en œuvre quels que soient les gouvernements et les majorités.
En vérité, les ministres à présent comptent peu, comme nous le prouve le pâle « règne » de Mme Vallaud Belkacem. Elle a toute sa place dans l'équipe de M. Valls. Les vrais décideurs sont ailleurs.
Alain Pucciarelli
⋅ « Education Nationale : le naufrage tranquille », Edilivre, 2014
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