Réforme des institutions : la position officielle du président
Le lundi 12 novembre, Nicolas Sarkozy a adressé à son Premier ministre une lettre publique pour lui demander d’établir un projet de réforme de la Constitution d’ici au 15 décembre. Cette lettre s’appuie bien entendu largement sur le récent rapport du comité Balladur, mais ne reprend pas absolument toutes ses propositions et laisse planer un certain flou sur plusieurs questions.
Répartition des pouvoirs de l’exécutif : la continuité dans la continuité
L’une des principales tâches du comité Balladur était de clarifier la répartition des compétences entre le président de la République et le Premier ministre. La tâche était virtuellement impossible, étant donné les différentes configurations que rend possibles la Ve République. Le comité s’était donc contenté de suggérer une modification mineure du texte constitutionnel : le président "définirait" la politique de la France tandis que le gouvernement se contenterait de la "conduire" (actuellement, la Constitution dit qu’il "détermine et conduit" cette politique). Cette proposition a fait l’objet d’une attention exagérée et la menace d’une présidentialisation à outrance a été largement brandie. Conscient qu’il n’a aucun besoin de cette réforme pour rester un président dominateur et contrôler les moindres agissements du gouvernement, Nicolas Sarkozy a choisi de laisser en l’état les articles de la Constitution concernés, désamorçant ainsi les critiques.
Le président reprend en revanche les propositions du comité en ce qui concerne la direction des forces armées, qui serait confiée plus clairement au président. Cette réforme a le mérite de clarifier un point assez embrouillé de la Constitution, mais elle pourrait aboutir à des tensions dans le cas d’une nouvelle cohabitation.
Un président aux pouvoirs marginalement modifiés
Les propositions du comité Balladur concernant l’institution présidentielle étaient essentiellement conformes aux désirs de Nicolas Sarkozy. C’est sans aucune surprise qu’il valide l’encadrement de l’usage de l’article 16, la suppression des grâces collectives et surtout le droit pour le président de se rendre devant le Parlement.
Nicolas Sarkozy désire également une réforme qui n’a pas été retenue par le comité Balladur, mais dont il s’était déclaré partisan avant son élection : l’impossibilité d’exercer plus de deux mandats présidentiels consécutifs. Cette limitation, proche de celle qui existe aux Etats-Unis, peut sembler ne pas avoir une grande portée : aucun président de la Ve République n’a jamais été en position ne serait-ce que de prétendre à un troisième mandat. Elle pourrait cependant contribuer à marginaliser un président parvenu dans la deuxième moitié de son second mandat. Ce phénomène du "lame duck" (canard boîteux) est bien connu aux Etats-Unis : le président approchant de la fin de ses fonctions voit son influence être marginalisée vis-à-vis de son propre parti, où s’affrontent ses successeurs potentiels, mais aussi vis-à-vis de l’opinion et des dirigeants étrangers. On se souvient que Jacques Chirac s’est longtemps refusé à admettre qu’il ne se présenterait pas aux élections de 2007.
Cette limitation du nombre de mandats présidentiels n’est pas une revendication de l’opinion, mais elle offre à Nicolas Sarkozy la possibilité - peu coûteuse en apparence - de renforcer son image d’homme de conviction qui ne cherchera pas à s’accrocher au pouvoir à tout prix.
Parlement : une revalorisation potentielle
Beaucoup des propositions du comité Balladur portaient sur le Parlement et la fonction législative. Nicolas Sarkozy en a retenu un grand nombre, notamment en ce qui concerne le partage de l’ordre du jour, le rôle des commissions et l’encadrement de la procédure d’urgence. Il se dit favorable au renforcement de la fonction de contrôle du Parlement et à son association plus étroite à la politique internationale, européenne et de défense. Il est également en faveur d’un encadrement de l’usage de l’article 49-3, mais d’une manière qui pourrait être différente de celle suggérée par le comité. Ces mesures sont bien entendu positives, même s’il convient d’attendre le projet de réforme constitutionnelle que présentera le gouvernement pour porter un véritable jugement. Même si ce projet reprend fidèlement les propositions du comité Balladur, il n’en restera pas moins que la soumission parlementaire est engendrée par la pratique de la Ve République. La réforme constitutionnelle proposée ne peut pas donner aux parlementaires la volonté de s’affranchir de la tutelle de l’exécutif.
En ce qui concerne les élections parlementaires, Nicolas Sarkozy reprend les propositions du comité, notamment en ce qui concerne l’amélioration de la représentativité du Sénat et le redécoupage des circonscriptions, deux mesures qui devraient susciter un certain émoi chez les élus de son propre parti si elles se traduisent par des effets concrets et rapides. Contrairement au comité, il souhaite par ailleurs que les Français résidant à l’étranger aient la possibilité d’élire des députés.
Si Nicolas Sarkozy semble s’être fait à l’idée d’une "dose de proportionnelle" au sein des élections parlementaires, il n’exprime pas d’opinion définitive quant à la manière dont cela devrait se faire. Il laisse cependant entendre que cette réforme pourrait toucher le Sénat plutôt que l’Assemblée nationale. La proposition du comité Balladur sur ce point manquait singulièrement d’ambition (avec une trentaine de députés au plus élus à la proportionnelle et un seuil de 5%) et il est très improbable que le texte présenté par le gouvernement lui en donne davantage.
Confronté à la question très sensible du cumul des mandats pour les parlementaires, Nicolas Sarkozy botte en touche : il évite d’exprimer une quelconque opinion et demande simplement au Premier ministre d’organiser des concertations sur le sujet. Selon toute probabilité, le non-cumul des mandats est donc voué à être enterré encore une fois. Nicolas Sarkozy sait que les parlementaires - même ceux de sa propre majorité - se refuseront à le suivre sur ce point, tant leur intérêt personnel les préoccupe davantage que l’efficacité et le prestige de leur institution. Il ne peut pas rejeter d’emblée cette réforme, qui a la faveur de l’opinion, mais il est presque certain qu’elle aura disparu du texte que présentera en décembre le gouvernement.
Préoccupé par l’inflation législative, le comité Balladur désirait que tout projet de loi soit soumis à une étude d’impact préalable, destinée à s’assurer que le nouveau texte apporterait effectivement quelque chose à la législation existante. Le Conseil constitutionnel aurait eu le pouvoir de rejeter une loi ne respectant pas cette condition. S’opposant pour une fois ouvertement à la recommandation du comité, Nicolas Sarkozy refuse ce contrôle du Conseil constitutionnel. Il est vrai que, ministre ou président, il n’a pas été le dernier à utiliser la loi comme un instrument de pure communication.
Des avancées essentiellement modestes pour le citoyen
Les partisans d’une démocratie plus participative et accroissant les droits du citoyen n’avaient qu’assez peu de satisfactions à retirer du rapport du comité Balladur. Ils en ont encore moins à trouver dans la lettre de Nicolas Sarkozy à son très discret second. Les avancées retenues ne sont pas nécessairement inutiles, mais elles sont généralement modérées, comme le remplacement du médiateur de la République par un "defensor del pueblo" à la française.
Nicolas Sarkozy reprend tout de même l’une des propositions les plus audacieuses du comité Balladur : la possibilité d’invoquer l’exception d’inconstitutionnalité au cours d’une procédure judiciaire. Cette réforme permettrait au citoyen de contester une loi en s’appuyant notamment sur les droits et les libertés auxquels renvoie le préambule de la Constitution. L’ampleur de ses conséquences est difficile à estimer actuellement mais ne saurait être négligeable.
Quelques omissions d’importance
Nicolas Sarkozy ne fait aucune mention de plusieurs des réformes proposées par le comité Balladur. Ces omissions ne sont bien entendu pas accidentelles et visent souvent à détourner l’attention publique de certaines questions.
La coïncidence du second tour des élections présidentielles avec le premier tour des élections législatives n’est pas mentionnée dans la lettre du président. Le comité souhaitait par cette procédure limiter les risques de cohabitation, mais il n’est pas certain que les conséquences auraient été effectivement conformes à ces intentions.
Nicolas Sarkozy ne parle pas non plus du temps de parole du président, que le comité proposait de comptabiliser avec celui du gouvernement. Les raisons de cette omission-là sont très facilement compréhensibles.
En 2005, une réforme constitutionnelle imposait que tout élargissement à venir de l’Union européenne soit soumis au peuple français dans un référendum. Il s’agissait bien entendu de désamorcer les craintes suscitées par une adhésion éventuelle de la Turquie. Le comité Balladur propose que l’élargissement puisse être également validé par le Congrès. Nicolas Sarkozy ne fait aucune référence à cette suggestion. Il est possible que, dans ce cas précis, l’omission soit due au fait qu’il compte effectivement appliquer cette réforme. Selon toute probabilité, les citoyens français n’auront pas l’occasion de s’exprimer sur le nouveau traité constitutionnel européen. Leur retirer par ailleurs leur droit de véto sur l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne heurtera une partie importante de l’électorat - notamment de droite - et Nicolas Sarkozy ne souhaite sans doute pas aborder la question avant d’y être obligé.
Enfin, la lettre de Nicolas Sarkozy omet totalement le droit d’initiative populaire. Le rapport du comité Balladur lui imposait pourtant des contraintes extrêmement importantes : rassembler les signatures d’un cinquième des parlementaires et d’un dixième de l’électorat. Mais le président de la République ne semble pas vouloir accorder ce droit aux citoyens, ni se justifier de ce refus.
Cette lettre de Nicolas Sarkozy s’adresse bien entendu à l’opinion et non à François Fillon. Il s’agit pour le président de faire connaître ses intentions et de se donner une image de réformateur impartial, sensible notamment à la revalorisation du Parlement. Il faudra attendre le texte que déposera le gouvernement en décembre pour savoir précisément quelle ampleur Nicolas Sarkozy souhaite donner à ces réformes.
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