Réviser la Constitution : qui peut le faire et en quelles circonstances ?
Simple en apparence, la distinction entre le pouvoir constituant originaire (le Prince, le Peuple), et le pouvoir constituant dérivé (le Parlement) l’est beaucoup moins quand on veut l’approfondir au regard de l’expérience et de ses conséquences.
Indépendamment des éventuelles limites de fond posées par la Constitution à sa propre révision, il se pose en tout état de cause une question générale concernant l’importance qualitative et quantitative possible d’une révision constitutionnelle.
On peut en effet douter qu’un changement mettant en cause des aspects absolument fondamentaux d’un régime politique puisse s’analyser comme une simple révision, quand bien même il aurait été adopté selon les formes et procédures prescrites.
On comprend ainsi bien qu’une loi constitutionnelle qui, en France, rétablirait la monarchie, ou qui par ex, au Maroc, abrogerait le pouvoir royal, n’opérerait pas une simple révision constitutionnelle mais établirait une nouvelle Constitution fondant elle-même un nouveau régime à l’opposé philosophique de la précédente. Quand en 1940, les parlementaires se sont prononcés pour le plein pouvoir de Pétain, et pour l’abolition de la IIIe République, on ne saurait dire que même si les règles et procédures du droit ont été suivies le Parlement ce jour-là n’a effectué qu’une simple « révision ». De même, en votant la création d’une Assemblée nationale en 1789, et en signant le fameux « Serment du jeu de Paume », les parlementaires même s’ils ne remettaient pas, par cet acte, en cause la monarchie, accomplissaient, vis-à-vis de Louis XVI, un acte de lèse-majesté.
Il résulte de cette observation que des limites expresses, sur des aspects à ce point essentiels du choix de société exprimé dans le texte constitutionnel, n’ont pas vraiment d’effet sur le pouvoir constituant dérivé puisqu’une remise en cause de ces aspects traduirait en réalité l’exercice du pouvoir constituant originaire C’est-à-dire que le peuple serait logiquement appelé à se prononcer lui-même par la voie du référendum.
De la même façon, il est permis de se demander si la multiplication de révisions constitutionnelles grignotant progressivement tous les éléments originaux d’un régime politique n’aboutit pas implicitement à en changer. En France, les révisions récentes, importantes, de la Constitution de 58 (Union européenne, parité, Nouvelle-Calédonie, décentralisation, charte de l’environnement) qui remettent en cause la philosophie politique exprimée dans le préambule et les premiers articles de la Constitution conduisent à s’interroger sur le point de savoir si nous ne serions pas passés insensiblement en VIe République, et cette perception, au regard des propositions du comité Balladur, ne peut être que renforcée.
Indépendamment du respect de la procédure de révision, il convient donc d’admettre des seuils de modification au-delà desquels on révise moins la Constitution qu’on ne la change.
Du point de vue normatif il se pose également une difficulté tenant au fait qu’une loi constitutionnelle de révision a forcément la même valeur juridique que la loi constitutionnelle initiale et qu’il n’est donc pas évident d’admettre la subordination de la première à la seconde. Ce qu’une loi a fait peut toujours être défait par une autre loi, et on considère généralement que la loi récente l’emporte sur la loi précédente : « lex posterior derogat priori ».
Dans le cas où c’est le peuple souverain qui en tant que pouvoir constituant originaire révise la Constitution (comme pour le quinquennat par ex) il est bien certain qu’on ne saurait lui demander de respecter ses volontés antérieures. S’il plaît au peuple aujourd’hui de vouloir le contraire de ce qu’il voulait hier, qui donc pourrait s’y opposer puisqu’il est souverain ?
Comme le soulignait l’article 28 de la Constitution de 1793 : « un peuple a toujours le droit de revoir, de réformer, ou de changer sa Constitution. Une génération ne peut assujettir à ses lois les générations futures ».
Lorsque le pouvoir de réviser, en revanche, est confié à une assemblée d’élus (le Congrès donc) la soumission de cette dernière aux conditions et limites posées par la Constitution, dans son écrit (son texte), mais aussi dans l’idéologie qu’elle transporte (la philosophie des Lumières, pour la France) s’impose, car ce n’est pas le souverain directement, mais son mandataire qui va devoir statuer.
Si l’on reprend le point de vue normatif, il faut aussi ajouter ce qu’on nomme en droit le « parallélisme des formes », règle qui tout simplement impose qu’en raison de l’ordre hiérarchique de la loi consacrant la supériorité des lois sur les décrets, de la Constitution sur la loi, des lois référendaires sur la Constitution, un texte pour être modifié, révisé, changé, corrigé, doit suivre la même procédure que pour le « premier acte ».
Le « traité simplifié » est de ce point de vue concerné. En effet, en droit, l’ordre hiérarchique impose que le « constituant » chargé de réviser la Constitution, en reprenant tout ou partie des éléments institutionnels (qui sont présents) et constitutionnelles (ce qui est le cas ici : par ex les transferts de souveraineté, ou le statut juridique de l’UE) d’un texte qui a été refusé par le pouvoir souverain directement, soit le même « constituant », ceci pour la simple raison que bien qu’étant aussi pouvoir « constituant », le Parlement, hiérarchiquement, se trouve au-dessous du peuple qu’il doit représenter, servir. De même que le gouvernement, qui réalise des décrets, et possède une forme du pouvoir « législatif », se doit de, lorsque le décret ne respecte pas une loi votée par le Parlement (qui est supérieur au niveau législatif sur le gouvernement), soit proposer un décret respectant la loi votée antérieurement, soit proposer au Parlement une loi, qui selon le principe évoqué plus haut, est seule capable d’abroger (si nécessaire) la précédente loi.
Si l’on prend, par ex, le cas de la réforme des retraites, une loi en 2003 a été votée par le Parlement. Celle-ci prévoit une « remise à plat en 2008 » des régimes des retraites, et de leurs modalités. Le gouvernement de monsieur Fillon a ici respecté aussi bien le principe de « seule une loi peut défaire une loi », que le principe du « parallélisme des formes » puisque la forme adoptée pour la réforme de 2007, est un décret, qui par conséquent ne remet pas en cause la loi de 2003, en avançant par ex le « calendrier » fixé à 2008, pour la « remise à plat », ou en abrogeant les dispositions de la loi de 2003, ce qui dès lors serait anticonstitutionnel... Et donc sujet à une irrecevabilité de la part du Parlement. Ces principes de droit expliquent donc en partie le fait que le gouvernement se préoccupe uniquement d’obtenir les 40 annuités pour tous, et non une « remise à plat » totale, qui en raison de la loi de 2003, ne pourra se faire qu’en 2008. De ce point de vue juridique, on comprend mieux le « raisonnement » du gouvernement, qui logiquement, suit la « procédure ». Il est en revanche assez étonnant que certains parlementaires UMP ou Nouveau Centre se plaignent d’un « recul » du gouvernement alors qu’ils sont eux-mêmes à l’origine de ce « calendrier ». Il est tout aussi surprenant à cet égard qu’aucun parlementaire ou ministre chargé du dossier n’ait cru utile d’anticiper les frustrations normales d’un certain nombre d’électeurs citoyens, en rappelant que la « mise à plat » aura bien lieu en 2008, et non en 2007, pour respecter la loi votée en 2003. Les élus et ministres penseraient ils donc que les Français passent leur temps à connaître l’ensemble des procédures et règles du droit ? Peut-être serait-il judicieux de rappeler que ce qui passe pour un « recul » n’est en réalité que la simple manifestation du droit par l’Etat ?
Si l’on prend maintenant les lois récentes, votées par le Parlement, leur application peut se faire dès 2007 (si le gouvernement fait l’effort de sortir les décrets à temps) car aucune loi sur par ex les universités n’imposait de calendrier pour une « remise à plat » du système universitaire français. Néanmoins, les lois précédentes, sur l’université, donnaient un « mode de gouvernance » de celles-ci, sensiblement contraire au nouveau, voté par les parlementaires récemment. L’amendement de la loi existante n’aurait donc pas suffi, pas plus qu’un décret, qui en raison de son infériorité par rapport à la « puissance » de la loi, aurait été dans l’incapacité d’abroger le mode de gouvernance des universités. Cette contradiction - passage d’une université très étatisée à une université plus « autonome » - ainsi que l’ordre hiérarchique juridique, imposait donc un passage devant le Parlement, pour légitimer la réforme, avant sa promulgation par le président de la République. Se satisfaire du gouvernement n’aurait pas été possible.
Si l’on repart du fameux « traité simplifié », pour qu’il soit authentiquement légitime, un passage devant le peuple lui-même est logiquement nécessaire. En effet, l’ordre juridique parle des « lois constitutionnelles » et laisse à penser qu’une révision de la Constitution, qu’elle se fasse par le biais du Parlement ou bien du peuple par référendum, a une même portée juridique, puisque la nature du texte est toujours d’être une « loi constitutionnelle ».
Mais c’est oublier là les avis du Conseil constitutionnel, qui en dépit de ses contradictions a donné primauté à la loi constitutionnelle référendaire sur la loi constitutionnelle parlementaire, en 62, en se déclarant « incompétent » pour juger la conformité de la décision souveraine à la Constitution, au motif qu’elle est « l’expression directe de la volonté souveraine ». Si le Conseil constitutionnel a dit pendant un temps être incompétent pour juger les « lois constitutionnelles » et donc leur conformité à la Constitution (suite à sa saisine sur la question de la décentralisation censée porter atteinte à la « forme républicaine du gouvernement », ce qui englobait donc aussi bien les révisions constitutionnelles référendaires que parlementaires), il semble qu’il se soit rétracté, puisque l’un de ses avis dit précisément que le « pouvoir constituant dérivé (le Parlement) est souverain sous réserve de limitations » prévues par la Constitution. C’est-à-dire que les révisions constitutionnelles faites par le Parlement doivent respecter non seulement l’écrit (les articles, les références inscrites dans la Constitution) mais aussi « l’esprit » de la Constitution, c’est-à-dire tout ce qui fait que la France a un régime original.
Ainsi, par ex, le Parlement ne pourrait pas proposer une révision de la Constitution visant à faire du président de la République l’arbitre aux chrysanthèmes de jadis. De même, le gouvernement ne pourrait pas soumettre un projet de révision consistant à fragiliser un Premier ministre de cohabitation, en lui retirant par ex son droit de « déterminer et conduire la nation ». Cela reviendrait à le spolier de toute initiative politique, et finalement de pouvoir politique. Si à l’UMP on est par ex favorable à ce que le président puisse « gouverner », il ne faut pas se cacher qu’une révision parlementaire serait un camouflet à la démocratie, car il semble assez évident que si les citoyens votent pour un président d’une tendance politique, et pour un Parlement d’une autre tendance politique, ce n’est sans doute pas pour que le Premier ministre issu dudit Parlement « coordonne la politique » que le président « détermine » ! D’autant plus qu’en pratique, un Premier ministre PS devant « coordonner » par ex, la politique de monsieur Sarkozy, aurait quelques difficultés à convaincre les parlementaires de le suivre !
Autrement dit, il convient de revenir aux sources de la Ve République, c’est-à-dire que si l’on a un président qui désire « gouverner » il faut supprimer la cohabitation, et donc imposer au président ainsi « sanctionné » sa démission. Paradoxalement, le Parlement serait ainsi plus équilibré par rapport à l’exécutif, et le président mieux protégé, car les citoyens y réfléchiraient à deux fois avant de sanctionner le président aux élections législatives, d’autant plus que le président démis pourrait néanmoins se représenter.
L’autre solution est bien sûr d’écarter complètement le Premier ministre, en le supprimant, purement et simplement, pour éviter la fameuse « hypocrisie » qui consiste en gros à envoyer le nommé au charbon, tandis que l’élu profite de la vie de palais. Mais cette solution ne semble pas vraiment plus intéressante que la première, ne serait-ce que parce qu’un chef d’Etat, sans Premier ministre, et qui n’aurait pas une réelle volonté de gouverner, ou du moins d’être exposé en permanence, peut être préjudiciable à la France. Si Louis XIV crut bien faire en sortant de la logique « ministérielle », ses successeurs, moins « habités » par sa conception absolue de la monarchie, eurent du mal à « gouverner » car pour cela il leur aurait fallu un Premier ministre « de combat » pour les soutenir, comme l’avait fait notamment Richelieu pour Louis XIII ou Mazarin dans la prime jeunesse du roi Soleil. Si monsieur Sarkozy se sent aujourd’hui l’âme « louis-quatorzienne » en défendant une conception très présidentialiste du pouvoir, sans doute conviendrait-il cependant de remettre à plus tard une telle réforme constitutionnelle, étant donné que les successeurs de monsieur Sarkozy, moins « habités » par sa conception du rôle de chef d’Etat, seraient de fait contraints d’adopter un mode de fonctionnement qui soit en incohérence avec leur personnalité, et leur conception du pouvoir, ce qui serait donc préjudiciable à la France.
La tradition politique française impose la nécessité d’un Premier ministre, chargé en quelque sorte de « booster » le chef d’Etat, de lui apporter un soutien sans condition, et d’être en quelque sorte son bouclier... Avec en principe, selon les pressions exercées et si le chef de l’exécutif n’est pas un lâche, un « retour de l’ascenseur ».
Il faut toujours garder en mémoire que si la monarchie est morte, en France, sa conception de l’Etat imprègne tout l’appareil étatique, et ce n’est par conséquent pas vraiment un hasard, si chez nous, l’élection présidentielle revêt une importance si grande. Le Premier ministre, justement, se retrouve sous trois régimes pourtant bien différents au premier abord : la monarchie, l’empire, la république.
Sous les trois, le Premier ministre subit la « loi » de celui qui l’a nommé. Et est envoyé au charbon, avec plus ou moins d’ingratitude en retour, que ce soit de la part du monarque, de l’empereur, ou du président de la République. Premier ministre ? Un métier à risque ! On comprend qu’il faut avoir la foi bien accrochée pour ne pas sombrer. Car si Louis XIII défendit hardiment Richelieu, si Louis XIV défendit ses ministres, si Chirac entoura de son « aura » son « Dominique », on ne saurait en dire autant de Louis XV, Louis XVI, Napoléon, Mitterrand, et Giscard, ou Chirac vis-à-vis de « Jean-Pierre ».
La nécessité d’un Premier ministre en France est par ailleurs logique, en raison du rôle très important, là aussi issu de la monarchie, mais cette fois-ci particulièrement à la période de la Restauration, où en plus d’être « l’Homme du » (roi, empereur, président), le Premier ministre est devenu le chef d’une « majorité », pas toujours facile à trouver.
Même si monsieur Sarkozy garde un contact étroit avec sa formation politique d’origine, et en dépit de sa conception du « rôle » du président, il va devoir apprendre à respecter cet héritage, un peu troublant, parfois déroutant, du système étatique monarchique. Monsieur Fillon est pour les Français, en raison de sa fonction de Premier ministre, celui qui est appelé à tenter de réunir des forces politiques, dans le but de faire avancer sa politique. En tant que chef de la « majorité » il a pour rôle essentiel de rassembler des courants politiques, pour les faire adhérer à un projet politique. Cela ne signifie pas que le Premier ministre doit « mater » le Parlement, bien au contraire, mais simplement être un très bon VRP des idées du président auprès des parlementaires. Bref, il doit faire ADHERER et non IMPOSER (sans circonstances exceptionnelles) les vues présidentielles à des parlementaires, certes souvent dociles, mais qui parfois et justement demandent une nécessaire explication et argumentation des textes proposés.
C’est au Premier ministre de déterminer et de conduire la politique de la nation. Il ne peut, parce que la France n’est en aucun cas les USA, l’Allemagne, l’Espagne ou bien l’Angleterre, n’être qu’un simple « collaborateur ». Quoi que puisse en penser monsieur Sarkozy, dans l’esprit des Français, si le chef de l’exécutif (le président) est appelé à monter au créneau, non pas tant pour défendre sa « vision politique » que pour soutenir ses ministres en les protégeant par la légitimité qu’il a reçue, il doit néanmoins être au-dessus des partis, même s’il renonce à être un « arbitre ». Ceci non pas pour l’empêcher de parler à sa formation politique, mais parce qu’il est perçu par les Français comme le socle de l’unité, qui dès lors ne peut plus être partisan.
Le Premier ministre, quant à lui, a une place fondamentale auprès du président. C’est lui qui politise le débat. C’est lui qui est chargé de « l’opérationnel ». Et si aujourd’hui monsieur Fillon baisse plus rapidement dans les sondages que le président, ce n’est pas dû à l’activisme présidentiel seul, mais parce qu’il ne s’empare pas réellement de ses rôles, aussi bien de chef de la majorité (les Français pensent ainsi que le Premier ministre n’accordant pas assez de temps à sa « majorité » le président est obligé de se coltiner tout le boulot) que de soutien du président (on se serait ainsi attendu à ce que monsieur Fillon protège le président, en faisant « l’intérim » suite à son divorce, pour lui laisser du temps pour s’en remettre).
Mais peut-être aussi, sans doute, les citoyens attendent-ils une troisième chose de monsieur Fillon : conduire sa politique. C’est-à-dire non seulement l’expliquer, la rabâcher si nécessaire, mais plus encore « guider » la réforme, en donnant l’exemple. Or, si monsieur Sarkozy peut se permettre de ne pas aller voir la « majorité » pour qu’elle mette en œuvre son programme politique, monsieur Fillon, qui se présente lui-même comme « gardien » des réformes, est légitimement celui dont on attend que lorsqu’il dit que « la France est en faillite » demande des efforts à sa « majorité » avant d’exiger des sacrifices du peuple. L’exemplarité paye toujours. Monsieur Fillon, qui se réjouissait du Grenelle de l’environnement, serait bien inspiré de venir, en signe de « solidarité » avec les Français, en vélo à Matignon, et d’inciter sa « majorité » à le suivre dans cet acte. Récemment, quelques élus UMP ont écrit à madame Bouquet et monsieur Depardieu, pour leur rappeler grosso modo que sur la question des logements, s’ils trouvaient si indigne de voir des gens dans les rues, ils pourraient sans doute les loger et les nourrir dans les restaurants leur appartenant. Cette lettre, que personnellement j’ai appréciée, disait donc simplement : avant de donner des leçons aux autres, commencez par faire acte d’exemplarité à cet égard. C’est là très exactement ce que les citoyens français attendent de leurs élus.
Ce qui est certain, en tout cas, c’est que si une telle révision était proposée, elle devrait obligatoirement passer devant le peuple. Car si le Parlement, en tant que pouvoir constituant dérivé, est habilité à « modifier » la Constitution, dans le but de permettre un « meilleur fonctionnement des institutions », ou de réviser cette dernière pour l’adapter à certains traités signés par le président, le Parlement doit veiller scrupuleusement à ne pas « changer » par une révision la Constitution, c’est-à-dire l’idéologie politique et surtout philosophique qu’elle porte.
En supprimant la fonction de Premier ministre, ou en faisant de ce dernier un « simple collaborateur », la révision augmenterait le poids politique du président, en le mettant au premier plan. C’est-à-dire qu’on passerait d’un régime semi présidentiel, à un régime présidentiel total. Cela modifierait complètement le « rôle » du président, qui perdrait ainsi son caractère « d’arbitre » et d’élu « au-dessus des partis ». Le président, ainsi investi d’une responsabilité politique, ne pourrait logiquement, dès lors, plus se prévaloir d’une immunité politique et pénale, que seul son rôle traditionnelle d’organe « unitaire » explique et justifie. Si juridiquement, cela reviendrait à faire une « révolution » du texte, les conséquences sur la vie politique du pays en seraient tout aussi importante, avec par ex une fracture politique entre les Français, fragilisant considérablement l’unité du pays, et le respect des Français envers un président qui ne serait dès lors plus celui de « tous les Français » mais un simple chef de majorité, qui d’ailleurs, faute d’être protégé pénalement, subirait des attaques nécessairement fortes de « l’opposition », ce qui immobiliserait en quelque sorte la vie politique française, et plus gravement encore, le pays tout entier. Cette situation contredirait qui plus est l’article 1 de la Constitution, qui fait de la France une République « indivisible » et permettrait ainsi à certaines personnes, plus ou moins mal intentionnées, de suggérer l’autonomie de telle ou telle région française, une partie du pays ne reconnaissant plus en monsieur Sarkozy le président de la France, mais uniquement celui d’une tendance politique appelée UMP. On arriverait donc à une situation semblable à celle que vit actuellement la Belgique. Ce qui pour la France, pays si attaché au « vivre ensemble », serait considérable, puisque c’est la vie même de l’Etat républicain, au sens juridique où on l’entend, qui serait remise en cause.
Si une telle révision, donc, était envisagée, les parlementaires devraient, car leur devoir le leur commande, soit se prononcer pour l’irrecevabilité, soit demander un référendum, qui en raison du sentiment national manifeste, et de l’attachement des Français à l’unité du territoire et des « cœurs » pour la France, devrait probablement conduire à un « non ». Autrement dit, nous avons besoin d’un Premier ministre en France, pour toutes les raisons évoquées plus haut, mais surtout pour garantir au président son statut « unitaire », et donc la paix entre les Français.
Les parlementaires sur ce type de révisions, sortent obligatoirement de la procédure « normale », puisqu’une telle révision ne modifierait pas la Constitution, elle la changerait. Or, en tant que « règle » commune, la Constitution devant être le « droit du droit » ou la « Loi fondamentale », il est bien évident qu’elle ne peut être considérée comme un simple texte de loi, modifiable à volonté. La Constitution n’a pas à être transformée tous les matins, pour servir de faire-valoir à tels lobbies, partis politiques ou associations, d’autant plus si les citoyens sur la question, en tant que pouvoir souverain, ne sont pas appelés à se prononcer.
Une révision de la Constitution devrait toujours être justifiée, et pour l’être, devrait être conforme au fait que la « forme républicaine du gouvernement » ne peut être révisée, c’est-à-dire que les révisions faites par le Parlement, sur proposition ou non du gouvernement, devraient en principe être faites selon le principe du « gouvernement du peuple, pour le peuple, et par le peuple ».
Je vais prendre un ex. Dans les propositions du comité Balladur on trouve une proposition sans doute murmurée par monsieur Jouyet, visant à ne pas faire de référendum sur l’élargissement de l’Union européenne. Rappelons tout d’abord que cette obligation constitutionnelle, inscrite récemment par le Parlement, composé majoritairement de parlementaires UMP, sur proposition du président Chirac, pour respecter un de ses engagements électoraux, se justifie, car elle permet ainsi au peuple de se prononcer directement sur l’adhésion de nouveaux pays en UE. Il serait assez étrange, même amoral, que les élus qui ont voté pour cette révision se renient quelques années plus tard, dans le seul but de satisfaire le président. Quelle crédibilité après, auprès des électeurs !
Par ailleurs, de la part d’un président qui défend si souvent le fait qu’il fera ce qu’il a dit, et donc semble attaché au respect des promesses électorales, il est assez déroutant de concevoir que ledit président pourrait en revanche piétiner une mesure du président Chirac visant à respecter ses propres engagements !
S’ajoute à cela qu’une telle mesure est quelque peu difficile à justifier, car on voit assez mal où on pourrait la classer. Permettrait-elle donc une meilleure efficacité des institutions ? Vraisemblablement non. Elle creuserait simplement plus le fossé entre l’Europe et les citoyens. Est-ce un nouveau droit des citoyens ? Non plus. C’est même plutôt une régression démocratique. Cette mesure semble en fait essentiellement partisane, et proposée uniquement pour flagorner auprès du président.
Il en résulte donc qu’une séparation entre les « révisions » permises par voie parlementaire et les révisions « non permises » sans référendum, est nécessaire.
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