Sans-papier et valeur travail
Entre besoins des entreprises françaises et politique étatique de l’immigration, la tension monte. En France, patrie de la Déclaration des droits de l’homme, l’arbitrage et le consensus républicain ne pourront pourtant se faire au mépris de la dignité humaine. Reste que les faits font injure à cette tradition historique française, entre immigrés en situation irrégulière déclarés par leurs employeurs comme « réguliers » et politique publique ambiguë. Qui dit illégal dit malheureusement, dans la plupart des cas : exploitation, précarité et abus.
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« Ça se durcit », me dit Redouane, jeune Tunisien arrivé il y a quelques années pour travailler dans le 10e arrondissement. Il a créé sa boîte de plomberie et, depuis la loi Hortefeux de 2007, doit envoyer les justificatifs d’identité et de séjour à la préfecture avant d’embaucher. Deux options s’offrent à lui : puisqu’il ne trouvera pas de main-d’œuvre en règle - deux ans que l’ANPE ne lui envoie personne - il peut ralentir son activité ou embaucher au noir. L’Insee parle de 200 à 400 000 individus dans la situation du travail clandestin, mais, dans les faits, il y a des centaines de milliers de travailleurs en situation irrégulière, qui travaillent avec de faux papiers. C’est chose courante. Ceci permet, par exemple, aux sociétés d’intérim d’assurer aux grandes sociétés du bâtiment des « sans-papiers en règle » sur de prestigieux chantiers comme le Louvre ou les ministères.
Quant à Gabriel, jeune travailleur d’origine camerounaise, en situation régulière, mais solidaire de ses compatriotes : « On veut exister, sortir de l’ombre », « nous ne sommes pas des mendiants », dit-il. Depuis plusieurs semaines, son collectif pour la dignité des travailleurs sans papiers squatte les locaux de la bourse du travail, près de la place de la République. Sur place, je découvre des femmes et des enfants installés comme ils peuvent, dans les couloirs. La CGT laisse faire, par solidarité, mais ne s’occupera pas de leurs dossiers car ils ne sont pas syndiqués. Du coup, face à la préfecture, ce sont des « isolés ». Sans la pression syndicale, le bras de fer est plus rude.
Côté Bruxelles, l’Union européenne s’apprête à adopter un texte, que beaucoup qualifient déjà de « directive de la honte » prévoyant notamment un enfermement des étrangers pouvant atteindre dix-huit mois, la détention des personnes vulnérables et des mineurs, qu’ils soient ou non accompagnés. Assen, jeune épicier du quartier Saint-Louis, nationalisé français, est clair, « tant que la France ne traitera pas avec respect ces populations, la jeunesse, leurs enfants, ne pourront pas se sentir intégrés complètement et ils nous demanderont des comptes sur ce que nous avons fait de leurs vieux. »
Samuel Beckett, Jacques Brel, Maria Callas, Marc Chagall, Marlène Dietrich, Juan Miro et Pablo Picasso… récemment encore, la France s’est glorifiée d’avoir accueilli et intégré des artistes venus du monde entier, qui ont contribué à l’enrichissement de son patrimoine culturel et à son rayonnement. C’est pourquoi nous devons avoir les bras grands ouverts, régulariser au cas par cas, suivant les demandes, mais en tant que citoyen, tous ensemble, nous devons faire un effort républicain d’accueil et d’intégration tandis que l’Etat doit s’engager, aux côtés de l’Europe, pour une politique européenne ambitieuse d’aide aux pays du Sud. "Frère si tu diffères de moi, loin de me léser tu m’enrichis" (Saint-Exupéry).
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