Sarko II face au difficile cap des deux ans à l’Elysée (1976, 1983, 1990, 1997, 2004, 2009)
Quand un Président se fait élire, la presse unanime fantasme sur l’état de grâce des 100 jours. Un président élu a cent jours pour lancer des réformes en bénéficiant de la bienveillance citoyenne. Ainsi en ont décidé les faiseurs de mythes. Les éditorialistes, peu enclins à examiner le champ des discursivités, sa constitution, ses règles, son élaboration (pour parler comme Foucault) tiennent pour exact ce mythe des cents jours. Les historiens pourront toujours scruter les événements. Plus instructif serait d’évoquer le cap des deux ans. Parce que les faits parlent. Depuis au moins l’élection du Président Giscard, tous les reçus à l’Elysée ont subi le choc des deux ans.
Précisions sur une grille d’interprétation. J’essaie modestement de cadrer les faits en fonction de trois thèmes. Premièrement, la crise politique, au sein même des partis qui se disputent les rouages de l’Etat. Un classique ! Second thème classique s’il en est, la crise sociale, autrement dit le mécontentement des populations, du « peuples », des citoyens, des individus, face au sort qui leur est proposé, étant entendu que les responsables de ce sort sont les gouvernements et donc, l’Etat. Le chômage puis les services publics, la protection sociale, sont devenus les grands enjeux des luttes sociales. Enfin, troisième thème que nul ne peut écarter, le contexte économique et le souci des gouvernants de gérer les paramètres pour faire en sorte que l’économie nationale reste dynamique et de décroche pas du système. Le plus convaincu parmi les chantres de l’adaptation fut sans doute Edouard Balladur. Son bon mot, « la France doit s’adapter ». Autrement dit, l’économie nationale doit s’ajuster sur les normes économiques, financières, monétaires, globales. Cela dit, déjà en 1974, le problème se posait.
1974-1976. Vieille histoire. Valery Giscard d’Estain élu contre Mitterrand après avoir dégommé Chaban grâce au soutien de Jacques Chirac. Et déjà, au premier trimestre 1976, quelques dissensions se dessinent. Notamment entre un président en phase avec les mœurs de l’époque et un Chirac plus strict. Quant à l’économie, elle est dominante à cette époque et ne cessera de dicter et infléchir les politiques. Du coup, Raymond Barre, le « meilleur économiste », est nommé à Matignon l’été 1976 après avoir été désigné au commerce extérieur en janvier 1976. Sa mission impossible, juguler l’inflation et le chômage. Une mission fut réalisée, restaurer la sidérurgie française au prix de nationalisations et de réduction d’effectifs. Rien de neuf. La France colbertiste est une marque de fabrique. Le mandat de Barre va se dérouler dans un contexte d’affrontements entre droites. René Rémond y aurait vu les bonapartistes du RPR opposés aux orléanistes de l’UDF. Le Pen était en gestation. La droite en recomposition. Et la gauche prête à prendre le relais ; parce que Barre a dû mener sa politique de rigueur ; incomprise des Français ; ou alors refusée, au nom d’une autre raison de l’Histoire.
1981-1983. Le classique. La gauche est au pouvoir. Mitterrand élu a lancé sa politique socialiste et sociale mais les comptes ne sont pas bons et en 1983, le cap des deux ans oblige le président à revoir son orientation économique. Chômage, certes mais ô, outrage, la France risque de sortir du SME. Alors on saisit (maintenant plus qu’auparavant) tout le rôle de la monnaie. Inflation, investissement, la gauche navigue difficilement dans ce marécage économique qui pourtant, perçu sous un angle autre, est source de progrès matériel. Peu importe, le fait est que le cap des deux ans a été sévère pour Mitterrand qui en 1984, va entériner le virage en nommant Laurent Fabius à Matignon. Sur le plan de la grille d’analyse, on notera que la crise sociale fut atténuée parce que Mitterrand était de « gauche » (guillemets) et que la crise politique était résolue puisque le PC était en voie de déclin rapide. Avec les ministres communistes quittant le gouvernement. Mitterrand a eu raison du PC mais du coup, les aspirations sociales se sont portées sur un PS devant assumer ce lourd fardeau, naviguer entre promesses sociales et réalités économiques.
1988-1990. Rien à signaler. Il n’y a pas pour cette fois de cap des deux ans hormis les ajustements opérés par Michel Rocard avec la CSG puis la RDS. Impôt temporaire qui va devenir prétexte à toutes les exagérations ultérieures et à la succion fiscale. Une taxe ni sociale ni anti-sociale, en fait, une TVA sur les revenus. Qui s’est pérennisée depuis. Ah, ce cap des deux ans. Pas de tension sociale énorme, contexte économique assez bon, inflation maîtrisée, croissance de 4 points en 1989. Cette fois, un Président a pu passer le cap des deux ans tranquille. Quoique, au sein du parti socialiste, s’est jouée en mars 1990, une « tuerie » entre chefs lors du Congrès de Rennes, désastreux au point que le PS en subit encore les conséquences. Gageons que Mitterrand, sans doute désolé de voir son œuvre massacrée, en fut affecté mais étant au dessus de la mêlée, le choc des deux ans n’a en fait que concerné la majorité gouvernementale.
1995-1997. L’épopée Chirac. Les grandes grèves de 1995. Menées par les syndicats de la fonction publique. Au bout de deux ans, Chirac, lassé d’un immobilisme et sans doute agacé d’un désordre politique lié aux factions héritées du premier tour, avec les balladuriens et les chiraquiens, se décide à dissoudre l’Assemblée. Nous sommes dans un motif dominé par une crise politique, une crise au sein même de l’appareil des partis et de la gouvernance. La situation sociale et économique n’est guère reluisante mais il faut agir et ce cap des deux ans se soldera par une cohabitation avec un parti socialiste ne représentant pas fidèlement la majorité citoyenne car le FN a continué à pourrir la vie politique de ce pays et brouiller le jeu électoral.
2002-2004. Nous voilà au second mandat de Chirac reconduit à l’issue d’une élection présidentielle abracadabrantesque, Jospin éjecté par Le Pen. La situation sociale est morose, peut-être moins tendue qu’en 1995. Quel va être le type d’événement signalant le cap des deux ans pour Chirac ? C’est assez facile à trouver. En mars, les élections régionales ont vu une défaite historique de la droite qui n’a pu garder que l’Alsace et la Corse. Raffarin II se met en place mais ne résistera pas au choc du TCE en 2005.
2007-2009. Cette fois, nous ne sommes plus en différé historique mais en direct. Le choc des deux ans se précise souvent autour du mois de mars. Quel sera le tarif pour notre président Sarkozy ? L’addition est salée, avec des conditions économiques très difficiles. Peut-être les plus dures depuis les 50 ans que vit notre République. Les tensions sociales, on le constate, sont loin d’être au beau fixe. La grogne est présente chez les syndicats mais aussi les professionnels dans des secteurs clés d’une société, santé, éducation, puis culture, social. En plus, beaucoup de citoyens sont ulcérés de tous ces événements policiers, ces gardes à vue injustifiées, au point que la police, au lieu d’être garante de la sécurité citoyenne, est perçue par une frange de la population comme source d’insécurité. Il ne reste plus, pour compléter le tableau, à supposer quelques tensions grandissantes entre des parlementaires UMP et l’Elysée et là, nous aurons un sacré cap des deux ans. Sarkozy n’est pas dupe. On a pu constater quelque adoucissement du personnage face aux journalistes de service à la télé ce jeudi, ainsi que quelques promesses vagues sur un Etat jouant la protection sociale. Le cap des deux ans s’est souvent traduit par un changement à Matignon. Cela n’est pas à l’ordre du jour d’autant plus que les Français n’en veulent pas tant à Fillon, courroie de transmission entre Elysée et Parlement, qu’à Sarkozy, maître d’oeuvre de la politique gouvernementale. Alors, comme l’ont dit non sans facétie quelques journalistes, nous voilà avec Sarko II. Le peuple observera avec attention cette métamorphose mais on peut parier que l’illusion ne prendra pas.
Le cap sera difficile. Comme en 1983 (voire 1976) un infléchissement est nécessaire mais opposé à celui opéré par Mitterrand. Sarkozy devra être plus social et opérer une politique économique à risque vu le contexte avec moins de marges de manoeuvre. Le mécontentement sera présent (voire pire) comme en 1997 ou en 2004. La cohésion de la majorité sera aussi mise à rude épreuve. Ce qui renforce la difficulté du cap. En 1997, en 1990, en 1976, ce cap fatidique s’est soldé par des fissures dans la majorité à travers les partis et les factions. On comprend mieux pourquoi Sarkozy, fin limier, a préféré se délester de Xavier Bertrand ministre pour le placer, en tant que pièce forte et fidèle de l’échiquier politique, à la tête de l’UMP ; non pas pour dynamiser ce parti qui selon Estrosi, ne pense plus, mais pour le contrôler. Anticipation du choc des deux ans ? Attendons, il va peut-être y avoir du spectacle.
Mais pourquoi au juste ce cap des 2 ans, et puis cette incapacité des élites à saisir justement le cap de la civilisation ? Sans doute, on reparlera de cette trilatérale qui, croyant assurer par la diversion et la police la rébellion des classes citoyennes, risque de voir son programme échouer. Ce billet se finit par une énigme. Et derrière, d’autres énigmes, notamment sur le processus de civilisation.
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