Sarkozy, Attali et les poupées chinoises
Il fallait s’en douter, Sarkozy refuse l’abandon du principe de précaution dans le texte de la Constitution. La seule mesure de bon sens qui ne coûtait pas un sou dans les 316 propositions de Jacques Attali a été rejetée par le président qui continue de caresser l’électeur dans le sens du poil. Séduit par les médias, par les leaders politiques tant de droite que de gauche, enfumés par le Grenelle de l’environnement, les citoyens français sont prêts à gober toutes les fables sécuritaires, hygiénistes et écologistes qu’on veut leur faire avaler. Tout cela contre leur intérêt, surtout quand ils sont pauvres, mais ils ne s’aperçoivent pas encore que cet esprit de prévention, de refus de risque et d’hygiénisme comportemental et sociétal va leur coûter de plus en plus cher.
Chaque jour, dans la presse écrite, à la radio, à la télévision et sur internet on nous inonde d’informations catastrophistes qui nous enferment dans la peur. Les adolescents se saoulent à mort, les chauffards sont à chaque carrefour, les pédophiles hantent les rues, les enfants se noient dans les rivières. Manger un kebab chez un Turc frise l’inconscience et nous allons tous crever à cause des pesticides, des engrais et des OGM. Pire, les Chinois veulent la peau de nos gamins et vont les exterminer avec leurs jouets contaminés... Pour les chantres de l’écologie et de la « sanitarisation » de la société, l’Apocalypse n’est pas pour demain, elle a déjà commencé depuis l’avènement de l’ère industrielle ! Pourtant, la réalité est moins sombre que l’on veut nous faire croire. L’espérance de vie en Europe occidentale n’a jamais été aussi haute, les règles d’hygiène alimentaire, de contrôle sanitaire de sécurité du travail n’ont jamais été aussi développées. Certes, il y a des progrès envisageables dans certains domaines, mais globalement nous vivons mieux que dans les pays du Tiers-Monde et bien mieux qu’il y a cinquante ans en France.
Le principe de précaution est un non-sens à la fois économique, scientifique, mais aussi moral. Il ressort des peurs du Moyen Âge, de la chasse aux sorcières et de la frilosité qui mènent à toutes les lâchetés. L’économie échappe de plus en plus au politique, nous sommes très loin du Franc Poincaré, il faut le reconnaître. Sarkozy n’est pas responsable du krach boursier, il ne peut décider du taux de croissance et son intervention face aux grands groupes industriels et à la mondialisation est plus que limitée. Il serait malhonnête de le blâmer outre mesure sur ces thèmes, car aucun politique de nos jours ne peut décider de l’économie, il peut tout au plus influer sur quelques dixième de pourcents et diminuer ou augmenter les effets du marché sur les consommateurs par quelques mesurettes qui ressortent plus du pansement que de la thérapeutique.
Par contre, comme tous les politiques, il use et abuse des phénomènes de société, seul domaine d’intervention encore possible pour les gouvernements. L’intérêt pour les victimes, pour le châtiment des criminels, pour la protection des mineurs, des non-fumeurs, des utilisateurs de manège et la surveillance des jouets permet l’occupation du domaine médiatique à moindre frais et à moindre effort. Mais on ne refait pas l’histoire et les choses étant ce qu’elles sont, l’économie capitalisme est aujourd’hui remplacée dans le discours (pour ceux qui peuvent se le permettre) par le consumérisme, le politique par l’hygiénisme sociétal avec son convoi de principe de précaution, de Grenelle de l’environnement et d’option sécuritaire et compassionnelle, enfin le médiatique a pris la place du culturel.
Prenons juste un exemple, celui des poupées chinoises contaminées au plomb. Là encore, on apeure le citoyen par le biais d’une stigmatisation outrancière. Chaque mère en arrive à avoir la peur au ventre quand elle achète un jouet dans une grande surface. La réalité est nettement moins sinistre. Le plomb est partout dans la nature, nous en ingérons tous les jours en quantité infinitésimale. Il devient dangereux au-dessus d’un certain seuil et cause alors une intoxication que l’on appelle le saturnisme. Pour en arriver là, il faut une ingestion répétée et massive de plomb. Cela est impossible en léchant un jouet dont le fabricant a respecté même imparfaitement le cahier des charges lors de son élaboration. Je ne critique pas, loin de là, les contrôles de qualité, il en faut et ils existent. Mais à quoi bon créer une panique. Pour vérifier la teneur en plomb dans une poupée chinoise (ou non) on utilise diverses méthodes chimiques d’extraction et d’analyse. Ce que nous rapporte la presse est loin de la description scientifique de ces études.
En réduisant en poudre plusieurs poupées en la mélangeant avec des extracteurs, on peut déterminer la teneur en plomb par gramme. On peut affiner la méthode en analysant uniquement la peinture que l’on aura grattée en surface du jouet et aussi obtenir un taux de plomb. Il faut ensuite confirmer par l’expérimentation sur l’animal si le taux de plomb calculé est toxique de façon significative sur un lot de rats ou autres cobayes en mélangent l’extrait de poupée dans la nourriture des animaux, leur prélever du sang, faire des dosages et des biopsies. Ensuite, il faut extrapoler en fonction du poids, de l’espérance de vie de l’animal, de sa surface d’absorption intestinale et de son taux de plomb dans le sang (plombémie). Il faut aussi tenir compte du fait que la quantité de plomb ingéré par une fillette qui a léché, sucé ou mordu une poupée est inférieure à celle théorique calculée par extraction sur le jouet, car l’absorption dépend aussi de la nature des solvants, de la corrosion de la salive, de l’adhérence de la peinture sur la poupée et de la rapidité de délition de la couche peinte. Vu les précautions prises par les industriels du jouet, fussent-ils chinois, il faudrait qu’une gamine lèchent une bonne cinquantaine de poupées par jour pendant des heures sur une durée assez longue (probablement jusqu’à la puberté) avant de voir monter la plombémie et encore plus avant de voir apparaître les premiers symptômes de saturnisme. Ou alors, il faut imaginer une fillette passant systématiquement ses poupées à la râpe à fromage et en ingérant les copeaux. Reconnaissons que ce cas relève plus de la pédopsychiatrie que de la toxicologie.
Il y a eu quelques années aux Etats-Unis des cas d’intoxication au plomb par des rouges à lèvres bas de gamme. Ces produits avaient été importés d’Inde ou de Chine. On comprendra donc mieux pourquoi Nicolas Sarkozy n’a pas daigné répondre aux avances de cette jeune actrice chinoise qui voulait l’épouser. Ce chantre du principe de précaution a sûrement voulu éviter l’exposition à des baisers toxiques de la part d’une égérie dont les cosmétiques n’ont pas été testés. Par contre Carla Bruni est sans risque à ce niveau, car utilisant des produits de beauté haut de gamme, de surcroît, non expérimenté sur des animaux, image de marque oblige. Nous sommes en ce moment en plein règne « d’épouses et concubines » avec les livres révélation et les escapades amoureuses au Moyen-Orient, mais l’amour de la Chine a tout de même ses limites !
Mais élargissons le débat !
En dehors de quelques utopistes et de quelques groupuscules d’extrême gauche, personne ne remet véritablement en cause le capitalisme. Les écolos prônent désormais consommer moins, mais consommer mieux en polluant moins. Il y a sept ans, leur prise de position était encore minoritaire, la plupart des consommateurs se souciaient peu de cet alarmisme. Et puis, les Verts sont devenus insignifiants au niveau politique, mais leurs idées ont infiltré l’opinion. Par contre, la société française est de plus en plus divisée en deux. D’un côté, ceux qui surconsomment, le montrent, en sont fiers et en abusent. L’aboutissement en est le jet, les montres de marque et le Fouquet’s, mais cela ne saurait faire oublier toute une catégorie de la société, pas forcément sarkoziste qui se satisfait aussi de ce mode d’existence. De l’autre, ceux qui aimeraient bien consommer, pas trop, pas outrancièrement, mais qui n’ont pas ou plus les moyens de joindre les deux bouts. Ceux-là, sont devenus spectateurs de la consommation des autres et se débattent avec les minimums sociaux. Ils ne comprennent pas les quelques nantis, écolos, bobos qui leur disent que la consommation, c’est le mal, qu’il y a des valeurs dans la vie et qu’il faut consommer bio, sans OGM et que la croissance est une hérésie. En vivant avec le minimum vieillesse, le Smic ou le RMI on déchiffre mal ce genre d’arguments !
Le domaine d’intervention gouvernementale au niveau politique a rétréci comme peau de chagrin du fait de la globalisation, de l’internationalisation de la finance, de l’interdépendance des groupes industriels, des fonds de pensions, de la spéculation et de la volatilité des marchés (honnêtement parlant, Sarkozy n’en est pas pour grand-chose, mais il subit en éludant). S’engager sur cette pente glissante est dangereux pour les politiques qui savent très bien qu’ils n’ont pas les cartes maîtresses en main. Alors, ils ont déserté cette zone de combat où l’on ne prend que des coups sans grand espoir de gratification pour le domaine des phénomènes de sociétés où l’opinion est préparée par les médias et où un consensus large peut satisfaire et la droite et la gauche. On légifère sur les chiens dangereux, la sécurité des manèges forains, le tabagisme, la sécurité routière et sa frénésie de radars, les pédophiles, les OGM, on s’inquiète sur les ondes émises par les téléphones, la durée de conservation des frites chez Macdonald et autres futilités qui occultent les véritables options politiques. Mais quel est l’intérêt pour un couple de vieux d’espérer gagner quelques hypothétiques trimestres d’espérance de vie quand avec une petite retraite, sans mutuelle, on est condamné aux mauvaises dents, aux verres de lunettes rayées et à tenter de comprendre ce que disent les autres sans assistance auditive, car ces trois prestations sont très mal prises en charge par la Sécurité sociale !
L’hygiénisme érigé en principe de société, pourquoi pas en Norvège où les revenus pétroliers permettent un bien-être matériel pour tous, si l’on accepte de faire l’impasse sur la liberté individuelle. Mais en France, où tous ceux qui sont en dessous du salaire médian sont en train de galérer, l’hygiénisme semble un moyen de dériver les craintes et les protestations des citoyens. Tant que l’on agresse les fumeurs, les buveurs sur les Champs-Élysées, que l’on veut enfermer de sales pédophiles à vie après la fin de leur peine, on ne fait que poser des questions de société et l’on fait croire que l’on reste proche des préoccupations des Français. Ségolène Royale est mal placée pour dénoncer cette dérive, ayant elle-même participé à la farce sécuritaire durant la campagne électorale des présidentielles. Elle fut l’une des choristes de la politique de proximité et du sécuritaire à tout prix, quitte à proférer ce surréaliste conseil de raccompagner chaque policière à domicile pour éviter les viols. Hollande et Huchon ont enfin compris qu’il fallait changer de laïus, mais leur dénonciation de la poudre aux yeux sarkozienne lors de leurs voeux a eu les accents d’un discours de sous-préfet de province au temps de René Coty !
L’hygiénisme et son avatar, le principe de précaution, vont augmenter la précarité des plus pauvres, briser la compétitivité des industriels français, augmenter la peur et diminuer la prise d’initiative sans pour autant améliorer le bien-être de la population. Tout cela sans aucune garantie d’efficacité et avec un coût de plus en plus prohibitif. Il est tout à fait normal d’améliorer les performances et la sécurité d’un manège, d’un traitement anticancéreux ou d’une chaîne de montage industriel. Personne ne le conteste. Passer de 80 à 90 % a un prix et il est normal de le payer. Au-delà de 90 % le coût de l’amélioration est exponentiel, chaque pourcent gagné coûte très cher, au-delà d’un certain niveau cela devient économiquement insupportable et hélas, aussi inefficace car invérifiable. Multiplier les contrôles sur les manèges et obtenir le passage de 4 accidents mortels par an à seulement 3 ne veut rien dire statistiquement parlant, l’échantillon étant trop faible pour être significatif. Passer de 4 à 6 ne signifie également rien en sens inverse !
L’introduction du principe de précaution dans la Constitution et la Charte de l’environnement ne s’est pas faite sans résistances, mais elle est finalement devenue un dogme. Ce concept est apparu avec de pseudo-philosophes allemands s’inspirant du très douteux Heidegger. Depuis, il s’est érigé en pensée unique, obstacle au modernisme, à l’esprit scientifique s’avérant être le nouveau mode anti-galiléen. Toute dérive sécuritaire risque de se retourner contre la créativité et la productivité sans pour autant éviter des catastrophes écologiques et humanitaires.
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