Tournée africaine de Nicolas Sarkozy : un néocolonialisme chasse l’autre
La tournée africaine de Nicolas Sarkozy s’achève, et une question se pose : la politique néocoloniale traditionnelle de la France à l’égard de ce continent va-t-elle perdurer ? Notre nouveau président de la République était très attendu sur cette thématique, d’autant qu’il l’avait présentée comme l’un des axes fondamentaux de sa « rupture » avec le chiraquisme. Codéveloppement, réduction de la dette, lutte contre l’immigration clandestine, concept d’Eurafrique, protection des forêts africaines... les annonces n’ont pas manqué lors de ce voyage. À première vue, on pourrait penser que les choses vont changer, que l’Elysée a enfin compris... en réalité, il n’en est rien. Car à y regarder de plus près, tout laisse à penser que « Sarko l’Africain » est bien le digne successeur de « Chirac l’Africain » !
Par "néocolonialisme", on désigne le processus par lequel une nation contrôle d’autres nations moins puissantes, par le biais de ses politiques commerciales, économiques et financières (à la différence du colonialisme, où les moyens utilisés sont d’ordre politique et militaire). Il s’agit donc de créer une relation de dépendance économique, le plus souvent par l’attribution de concessions et/ou monopoles profitant aux entreprises de la puissance dominante (en contrepartie d’un soutien et d’une consolidation des pouvoirs personnels des chefs d’État en place).
Or, au petit jeu du néocolonialisme, la France a excellé en Afrique depuis la décolonisation. Ainsi, en 2000, un documentaire remarquable, Elf : une Afrique sous influence (réalisé par J. M. Meurice, F. Calvi et L. Dequay, production MK2 TV) retraçait la manière avec laquelle l’État français, par le biais du groupe Elf, a su à la fois préserver ses intérêts économiques dans les économies africaines (l’exploitation des ressources pétrolières et minières abondantes), et construire une machine de domination très influente : renseignements, protection des dictatures en place, circuits financiers occultes, participation discrète (mais déterminante) dans les conflits... Si les guerres, les régimes politiques, la corruption et le pillage des ressources ont effectivement plongé l’Afrique dans la misère (créant de facto les conditions d’une immigration clandestine massive vers l’Europe et les pays occidentaux), il convient de souligner que le néocolonialisme à la française n’est pas étranger au développement de ces fléaux.
Avec la fin annoncée du pétrole, les affaires qui ont éclaboussé Elf et la montée de l’immigration clandestine dans les préoccupations des Français, l’occasion est inespérée de mettre un terme, dès aujourd’hui, à cette politique honteuse. Surtout que, d’après les travaux de la Commission économique pour l’Afrique (ONU), les pays africains sont plus que jamais prêts à sortir de leur condition misérable. Selon le Rapport économique pour l’Afrique 2007, il est possible de mettre un terme à ce système de dépendance économique, et de placer rapidement le continent sur les rails de la croissance et du développement, pour peu que l’on aide les pays concernés à diversifier leurs économies nationales... mais cela implique au préalable pour les pays occidentaux (dont la France), de renoncer à leur politique néocoloniale.
Force est de constater (hélas), que tel n’est pas l’ambition de l’Élysée à l’égard de l’Afrique. Car plutôt que de travailler dans le sens des propositions onusiennes, Nicolas Sarkozy préfère visiblement substituer à l’ancien néocolonialisme français (fondé sur l’exploitation pétrolière et minière), un nouveau néocolonialisme fondé cette fois sur l’industrie nucléaire.
L’étape libyenne du voyage présidentiel semble confirmer ce fait. Sous prétexte « d’aider la Lybie à réintégrer le concert des nations », Nicolas Sarkozy s’est entendu avec le dictateur Kadhafi pour lui livrer un réacteur nucléaire (nous préférons ne pas envisager l’hypothèse soulevée par certains observateurs, dont le réseau Sortir du nucléaire selon laquelle l’État français se serait livré à un « troc nucléaire » avec Tripoli pour obtenir la libération des infirmières bulgares... si le Parlement a encore un sens dans notre République, une commission d’enquête devrait être constituée pour faire la lumière sur cet étrange accord).
Si l’intention de départ du président de la République avait été d’aider la Libye à diversifier son économie, il n’aurait pas été question de livrer un réacteur nucléaire. Comme l’a justement rappelé Sortir du nucléaire, pour réaliser un tel objectif, il aurait été plus efficace, moins coûteux et plus écologique de développer l’énergie solaire pour lequel la Libye présente des atouts exceptionnels. Cette technologie ouvre en effet des perspectives extraordinaires en matière de désalinisation de l’eau, et pourrait ainsi permettre à l’agriculture locale de prendre son essor. D’autres secteurs économiques auraient pu également profiter de l’énergie solaire : la recherche, la réfrigération, l’électrification rurale décentralisée...
Plutôt que de permettre à la filière des énergies renouvelables de pénétrer l’économie libyenne, l’Élysée a préféré offrir à Areva ce marché. Or le nucléaire étant une technologie onéreuse, complexe et dangereuse, et de surcroît très encadrée au niveau international (notamment pour empêcher des dictateurs comme Kadhafi de disposer un jour de l’arme nucléaire... !), il est évident que la France accroît ainsi son influence sur l’économie libyenne, et crée avec ce pays une relation de dépendance économique et énergétique à moyen et long termes.
L’étape gabonaise semble également confirmer l’ambition néocolonialiste de l’Élysée... mais sur un plan différent. Car, s’agissant du Gabon ou du Niger, Areva est déjà implanté dans l’économie de cette région. Le groupe y exploite en effet, et depuis longtemps, les nombreuses mines d’uranium de ces pays... et le bilan de cette « coopération économique » est édifiant !
D’après un récent rapport des associations Sherpa, Médecins du monde et Criirad, Areva négligerait dramatiquement les conséquences humaines et environnementales de son activité : des taux d’exposition des employés 40 fois supérieurs aux normes fixées par l’OMS, des travailleurs exposés à des poussières radiotoxiques sans port de masque ni équipement de sécurité, aucune information ou formation délivrée, absence de surveillance médicale, déversement de deux millions de tonnes de résidus radioactifs dans une rivière entre 1961 et 1975, stockage non sécurisé des déchets... Quant aux autorités nigériennes, elles accusent Areva d’avoir financé la rébellion touarègue, et ont déclaré le responsable des activités nigériennes du groupe persona non grata.
Ces affaires ont bien évidemment été évoquées lors de la rencontre entre Nicolas Sarkozy et Omar Bongo (chef d’État du Gabon). La réaction du président de la République est consternante : « Ce n’est pas la première crise que connaît le Niger. Je fais toute confiance aux autorités démocratiques du Niger pour surmonter cette crise et il se peut que, dans les jours qui viennent, nous prenions une initiative pour essayer de renouer les fils du dialogue [...] Je ne voudrais rien dire qui complique une situation qui l’est déjà suffisamment, le Niger étant un pays important pour nous, puisque ce sont les principaux producteurs d’uranium militaire, d’où la présence d’Areva sur place. » Et le Quai d’Orsay d’ajouter : « Nous ne voyons pas de raison légitime qui s’opposerait à la poursuite d’un dialogue confiant, constructif et fécond entre Areva et les autorités du Niger. » Ah bon ! Aucune raison légitime ? Vraiment ?
Ces deux exemples (l’étape libyenne et l’étape gabonaise) laissent donc entrevoir :
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que l’État français entend profiter de toutes les occasions qui se présenteront pour imposer Areva dans les économies des pays africains, sans considération aucune des régimes politiques en place et de leur dangerosité (à l’égard du monde, mais aussi de leur propres peuples) ;
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que l’État français mise sur le développement, en Afrique (et ailleurs) d’une technologie coûteuse, complexe et dangereuse, qui ne sera jamais accessible aux pays dans lesquels elle s’implante, et qui assurera à la France le bénéfice d’une situation de dépendance économique ;
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que l’État français (actionnaire majoritaire d’Areva) porte peu d’intérêt à la manière avec laquelle son groupe nucléaire exerce son activité en Afrique, et met en péril à la fois les populations locales et l’environnement.
Un néocolonialisme chasse l’autre... la seule et unique « rupture » dans la politique africaine de la France est simple : remplacer l’influence d’Elf par l’influence d’Areva.
Il appartient désormais au président de la République d’infirmer, dans les actes et à l’occasion des prochains rendez-vous avec l’Afrique (dès cet automne), ces tendances pour le moins préoccupantes et qui n’honorent en rien notre pays. Mais le voudra-t-il ? Lui qui bataille tellement dur pour offrir à Martin Bouygues (son ami intime), le groupe Areva et ses marchés internationaux.... Dommage qu’à l’Elysée personne n’ait pensé à batailler aussi dur pour offrir à l’Afrique les conditions de son développement durable ainsi que son indépendance économique et énergétique...
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