Une drôle de campagne avec de drôles de candidats
Nous sommes tous désarçonnés par une campagne electorale d’un nouveau style et qui utilise de nouveaux moyens...
Pour un ancien militant qui a fait "toutes les campagnes electorales" depuis 1977, cette campagne présidentielle est étonnante.
Je crois que cela tient à plusieurs facteurs sur lesquels je voudrais attirer votre réflexion.
D’abord nous assistons à la première campagne "à l’américaine". Peut-être parce que nos trois principaux candidats ont été impressionnés par la victoire de Bush aux Etats-Unis, qui a réussi à gagner contre toute l’attente des observateurs extérieurs, en se consacrant essentiellement à des questions purement américaines, voire prosaïquement à des sujets qui ne touchaient que certaines catégories du Middle West ! Cette campagne electorale américaine semble avoir inspiré nos trois candidats républicains français (je mets en dehors du débat Le Pen qui, lui, est sur d’autres schémas). Le résultat est une tentative de positionnement qui prend en permanence à contre-pied les soutiens historiques de chacun des camps. C’est aussi vrai pour Nicolas Sarkozy qui drague sur les terres de Le Pen au grand dam de Borloo ou de Simone Veil ; pour François Bayrou qui se positionne presque en opposant principal de Sarkozy alors que l’essentiel de ses soutiens dépendent de l’UMP pour leur avenir electoral ; et de Ségolène Royal qui en étant tantôt plus "à gauche, tantôt plus à droite et tantôt plus en avant et que le Parti socialiste ballotte tout le monde dans un Maëlstrom déstabilisant.
Pour autant personne qui connait un peu la vie politique ne peut douter de la force de leurs convictions et d’un positionnement en général stable dans leurs références idéologiques (je donne ce crédit aux trois). Alors il est intéressant à quelques jours du premier tour de s’interroger collectivement sur cette propension à faire du contre-pied une stratégie electorale.
Je voudrais avancer sur ce point une proposition d’explication à partir d’une deuxième constatation : le poids absolument faramineux des médias audiovisuels dans la campagne avec leurs deux corollaires : les instituts de sondages et les forums d’internautes. Jamais depuis que je suis militant je n’ai eu à ce point le sentiment que les médias m’imposaient le rythme et les thèmes d’une campagne electorale en mettant en forme ce que l’on pourrait appeler un zapping des idées.
Dès lors nos candidats n’ont pas vraiment le choix. Ou ils tiennent bon sur leur credo et l’architecture de leur projet, ou ils deviennent commentateurs- acteurs de l’actualité dans un jeu pervers où ils sont à la fois décideurs des thématiques qu’ils souhaitent mettre en avant et victimes d’une accélération à la fois grégaire (tout le monde reprend le même sujet au même moment) et forcément éphémère. Au final, si on se contente de ne faire appel qu’à notre memoire des deux derniers mois, nous aurons abordé une bonne douzaine de thèmes forts mais à chaque fois sur des durées si courtes qu’on en reste sur notre faim de débat : l’écologie, le logement, la précarité, le nucléaire, l’education et la recherche, l’euthanasie, la sécurité, l’identité nationale, l’immigration, l’emploi des jeunes, les institutions, la Sécurité sociale et même l’Europe auront été, entre autres, appelés au débat. Mais ce zapping présente un formidable effet pervers qui est de nous entraîner dans un kaléidoscope d’idées, de concepts et de propositions en nous faisant perdre la globalité et l’essentiel. Un sujet chasse l’autre, la petite phrase reprise en boucle nous conduit à n’avoir plus qu’une vision floue parce que mouvante de chacun des trois protagonistes. Que retiendra-t-on de plus que le "travailler plus pour gagner plus" de Sarkozy, le "ni droite ni gauche" de Bayrou ou ’"l’ordre juste et le gagnant gagnant" de Ségolène Royal ? Pour autant, si on prend le temps de lire ou de relire leurs livres et leurs discours, le positionnement réel de chacun des candidats est connu depuis longtemps.(pour Ségolène Royal par exemple, ce qu’elle a dit sur la nation à Marseille avait été déjà dit mot pour mot lors de son discours d’investiture au PS en novembre devant le Conseil national) ...
Les trois ont gagné sur une thématique de rénovation au sein de leur camp et la portent réellement et pas seulement sur des aspects générationnels ou physiques.
Alors pourquoi nos trois candidats ne parviennent-ils pas à créer ces clivages qui permettraient à l’opinion de se structurer positivement en leur faveur et pas seulement "contre" ? Je crois que cela tient au fait que leur coeur de cible (comme on le dit en marketing) n’est pas dans la population la plus politisée comme nous pouvons l’être, nous qui écrivons ou lisons sur ces forums. Ils font comme Bush et s’adaptent à la fois aux médias et aux outils pour cibler une population qui est, elle, très sensible au dernier souffle du dernier vent qui passe. Dans le fond ils ont très bien intégré le 21 avril 2002 et entendent convaincre de manière très particulière ceux qui n’avaient pas voté ou avaient voté massivement Le Pen. Il ne sert à rien pour nos trois candidats de se replier sur leur camp et donc sur leurs soutiens historiques si cela ne peut pas capter les millions d’abstentionnistes des précédentes echéances. Mais ce pari présente de nombreux risques pour les trois. Il les rend fortement dépendants de l’actualité comme on l’a vu pour les évènènement de la Gare du Nord et les isole dans une posture encore plus personnelle. Observez combien les soutiens de chacun des trois ont quasiment été versés dans l’ombre.
Pour Sarko, on ne voit plus Fillon, Copé, Devedjian, Pecresse, Raffarin.
Pour Bayrou, on n’a que Mme de Sarnez qui s’exprime encore
Pour Ségolène, on ne peut pas dire qu’elle soit encombrée par la lumière des historiques ni non plus par la nouvelle génération (Peillon, Montebourg, Bianco, Rebsamen).
Cet isolement surdimensionne l’approche personnelle, or aucun des trois n’a encore la totalité des qualités attendues pour en faire une personnalité "d’Etat".
En se mettant seuls en lumière, en jouant des contre-pieds permanents et en laissant aux médias le soin de fixer les thématiques finales, ils prennent le risque de subir jusqu’au dernier jour le zapping électoral correspondant au zapping thématique dans lequel ils se sont installés. La chance de Sarkozy et de Royal c’est d’avoir derrière eux un appareil militant qui va certes râler mais qui devrait suivre jusqu’au vote leur candidat. C’est certainement la plus grande faiblesse de Bayrou dans les prochains jours.
Ce qu’il adviendra ce 22 avril nous permettra de dire si ce nouveau mode de campagne est le bon, en tout cas il aura permis aux Français de se saisir du débat.
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