Une lecture stimulante : « Qu’ils s’en aillent tous ! » de J.-L. Mélenchon
Cet article ne parle pas de Mélenchon en tant que tel. J’ignore si on peut faire confiance à cet ancien mitterrandiste. Tout ce que je peux dire, c’est que les idées qu’il expose dans son livre sont souvent très justes. En tout cas, elles changent des vieilles rengaines de l’UMP et du PS et pourraient contribuer à un débat démocratique de qualité.

« Populisme » ou haute idée de la démocratie ?
Naturellement, les idées exposées dans Qu’ils s’en aillent tous ! sont souvent discutables. Mélenchon est le premier à le reconnaître. Son livre n’est d’ailleurs pas un programme politique, mais un ensemble de propositions dont les militants de son parti, et tous les citoyens en général, doivent se saisir pour les critiquer, les modifier, les compléter. Sur ce point, Mélenchon est cohérent avec sa conception de la politique. S’il refuse de proposer un programme bien arrêté, c’est sans doute parce que son parti, le Parti de Gauche, a déjà un programme. Mais c’est aussi, me semble-t-il, parce qu’il a une haute idée de la démocratie. D’après lui, il s’agit de refonder la république sur des bases entièrement nouvelles, en convoquant une assemblée constituante. Cette assemblée aura pour tâche de formuler les grands principes de la démocratie française, et ce sera au peuple de valider, s’il le souhaite, cette nouvelle constitution. Pour Mélenchon, cette procédure n’est pas un gadget : elle est un outil pour repolitiser les citoyens français et asseoir les futurs gouvernements sur une réelle légitimité. De plus, elle est rendue nécessaire par les dérives d’un régime de plus en plus antidémocratique.
L’idée d’une assemblée constituante n’est pas non plus une pure et simple utopie : elle s’inspire de quelque chose qui a déjà eu lieu dans trois pays d’Amérique du sud – le Venezuela de Chavez, l’Équateur de Correa et la Bolivie de Morales. Là-bas, il s’est avéré indispensable d’associer les citoyens à la révolution démocratique qui s’y déroulait, afin qu’ils reprennent confiance envers la politique et leurs gouvernants. Bien entendu, la situation française est très différente de celle de l’Amérique du sud. Mais il y a également des analogies : une déception de plus en plus grande vis-à-vis de l’oligarchie politique et financière, une montée de l’abstention, une augmentation des inégalités. Seule une « révolution citoyenne », c’est-à-dire une refondation de la démocratie par les citoyens eux-mêmes peut mettre fin à cette dégradation de la vie sociale et politique.
Pour en finir avec l’oligarchie
Autre idée centrale du livre : celle qui est exprimée dans son titre. Qu’ils s’en aillent tous ! Ce mot d’ordre peut paraître démagogique. Il est plus juste et plus profond qu’il n’en a l’air. Mélenchon reprend ici le slogan lancé par les citoyens de plusieurs pays d’Amérique du sud, au moment où leurs pays respectifs basculaient dans de graves crises à cause de l’incompétence ou de l’égoïsme de leurs « élites ». Pour l’instant, sans doute, la France n’a pas subi un effondrement total de son économie et de son système politique. Seulement, comme beaucoup d’autres pays, elle n’en est pas passée bien loin en 2008. Il y a deux ans, on s’en souvient, le système bancaire international était secoué par une crise gigantesque dont les conséquences se font encore sentir. L’idée de se débarrasser de tous ces « experts », journalistes, politiciens, chefs d’entreprise qui mènent la France à la catastrophe n’est donc pas démagogique : c’est simplement une réaction de bon sens. L’étonnant, en effet, ce n’est pas la colère de Mélenchon : c’est que cette colère ne soit pas devenue plus générale et plus visible chez nos concitoyens. Comment se fait-il qu’on voie toujours ces mêmes têtes satisfaites et arrogantes à la télévision, comment se fait-il qu’on confie encore de hautes responsabilités à ces escrocs et incompétents, à ces Diafoirus qui ne font qu’aggraver l’actuelle catastrophe sociale, économique, politique et écologique ?
A-t-on vraiment besoin des riches ?
Mélenchon s’en prend non seulement aux politiciens et aux « grands » journalistes (grands par leur pouvoir plus que par leur talent), mais aussi aux grands patrons, gros actionnaires et richissimes hommes d’affaire qui accroissent leur fortune grâce à l’exploitation des salariés et à la bienveillance des gouvernements (allègements de « charges », cadeaux fiscaux…). Un des grands mérites de Qu’ils s’en aillent tous !, c’est de démystifier l’idéologie qui prétend justifier les privilèges des riches au nom de leur prétendue utilité sociale. Tout le monde a entendu ce discours : « C’est malheureux, mais on est bien obligé de dorloter les riches. Si on les taxe trop, ils quitteront le pays, emportant avec eux leur fortune. Et alors, il ne faudra pas se plaindre si notre économie s’effondre ». Discours apparemment réaliste, mais qui occulte une vérité élémentaire : les richesses sont d’abord produites par le travail. Les actionnaires qui s’octroient une part de cet argent ne sont pas des « créateurs de richesse » mais des parasites. Ils sont même destructeurs d’emploi et d’entreprises, avec leurs exigences démesurées (15% de rentabilité). Qu’ils s’en aillent donc ailleurs, ce n’est pas leur départ qui appauvrira la France.
Bien entendu, on pourrait objecter à Mélenchon que les riches ne sont pas forcément de méchants profiteurs qui se tournent les pouces en attendant de toucher leurs dividendes : il y a aussi beaucoup de patrons compétents et efficaces. Mais sur ce point, le discours de Mélenchon est très mesuré. S’il appelle de ses vœux la création de coopératives gérées démocratiquement par les travailleurs, il ne se présente pas pour autant comme l’ennemi de tous les chefs d’entreprise. Sa cible, ce sont essentiellement les grands patrons, qui se gorgent de salaires démesurés et de stock-options alors même qu’ils saccagent des entreprises et des vies humaines par une gestion au service de la rapacité actionnariale.
De manière générale, la fiscalité proposée par Mélenchon viserait surtout une petite minorité de riches. C’est pour elle qu’il souhaite créer de nouvelles tranches d’imposition et un revenu maximal :
« Cette progressivité renforcée concernera les contribuables qui déclarent plus de 70 000 euros de revenus annuels. Il s’agit des 5 % des contribuables les plus aisés. Et qu’on ne vienne pas me dire que, si une telle mesure est prise, les reins des « créateurs de richesses » seraient brisés et leur esprit d’entreprise « cassé ». Il ne faut pas perdre de vue que le revenu moyen des 3 millions de chefs d’entreprise que compte le pays se situe à 40 000 euros annuels. À ce niveau, le revenu maximum et les nouvelles tranches d’imposition qui l’accompagnent ne leur prendront rien de plus. Et même quand on regarde du côté des patrons d’entreprise entre 50 et 100 salariés, leur revenu moyen est de 110 000 euros annuels. On reste très nettement en dessous du plafond envisagé, qui se situe autour de 352 000 euros. » (p. 69)
Un discours à la fois social et écologique
Une des principales forces du livre, à mon sens, est le chapitre consacré à l’écologie. Trop souvent, les luttes sociales et écologiques se mènent en parallèle, comme si elles n’avaient rien à voir. Contre cette séparation, Mélenchon montre qu’on ne saurait mener une politique vraiment sociale sans s’attaquer aux problèmes écologiques, pas plus qu’on ne saurait être vraiment écologiste sans s’attaquer au problème des inégalités. Avoir des préoccupations environnementales n’est donc pas le privilège des bobos :
« C’est pourquoi je prie gentiment qu’on aille se faire voir ailleurs quand on prétend être de gauche mais qu’on continue à asséner que l’écologie est une diversion par rapport aux vrais problèmes sociaux. Comme si ce n’était pas le premier des problèmes sociaux que la destruction de l’écosystème qui rend possible la vie sociale. Comme si les migrations climatiques, les empoisonnements des travailleurs, les accidents de santé et les pandémies liées à l’indifférence écologique n’étaient pas des problèmes sociaux. Pour ne dire que cela. Et comme si la destruction du monde n’était pas un vol immense pour tous ceux qui en bénéficiaient gratuitement, et parfois seulement de cela ! » (p. 97)
Inversement, une politique vraiment écologique doit forcément être sociale, c’est-à-dire contrecarrer les puissances financières qui sacrifient sur l’autel du profit les fragiles équilibres naturels dont l’homme a besoin pour vivre. Mélenchon n’a d’ailleurs pas de mots assez durs pour dénoncer la récupération de l’écologie par le capitalisme :
« Dans le blabla du « capitalisme vert », il n’y a pas que l’objectif de faire vendre ou de filouter qui est visé. Il y a aussi un enjeu idéologique essentiel : effacer l’image désormais majoritaire d’un capitalisme destructeur. Car, vaille que vaille, une prise de conscience s’élargit à propos du lien entre le capitalisme et le saccage de l’écosystème humain. Rien n’est plus terrible pour un système social qu’un tel rejet. Le communisme d’État à l’Est s’est effondré aussi parce que « ça ne marchait pas », non dans le ciel des idées, non pour la bureaucratie qui en vivait, mais pour les millions de gens occupés à essayer de prendre leur part de bonheurs simples dans l’existence. L’explosion du puits de pétrole de BP dans le golfe du Mexique est le Tchernobyl du capitalisme. Venant après tant d’autres désastres, tant d’exemples petits et grands, cet accident marque les esprits d’une façon irréversible. Chacun de ces épisodes, la cupidité des managers, l’insouciance du P-DG, l’impuissance de la première puissance mondiale, tout cela prononce un réquisitoire cuisant contre le capitalisme. » (pp. 95-96)
Peut-on se passer d'un mouvement social ?
Jusqu’à présent, j’ai surtout fait l’éloge du livre de Mélenchon. J’y trouve pourtant des faiblesses. La principale, à mes yeux, constitue son analyse des rapports de force dans la société française :
« De façon évidente, le système libéral a rationné le grand nombre pour donner aux privilégiés. Alors ceux qui avaient peu n’ont plus rien eu. Mais, surtout, en faisant reculer les droits du travail au nom de la flexibilité, on a désarmé et atomisé la classe des salariés. La maltraitance sociale des femmes diffuse la peur dans tous les foyers. La peur du déclassement joue un rôle terrible dans la diffusion de l’égoïsme social. Ce cercle vicieux s’autoalimente si bien ! La visibilité des pauvres, sauf dans les lieux de séjour des riches, ne chagrine pas le système alors même qu’il prouve son échec humain. Plus il y a de pauvres visibles, plus on craint de le devenir. Et moins on se bat de peur de perdre ce que l’on a. Et moins on se bat, plus la déréglementation avance et plus il y a de nouveaux pauvres. Cet enchaînement, aux allures de machine infernale, explique qu’autant de gens augmentent leurs revenus de façon aussi indécente et que si peu se révoltent. Ce que le rapport de forces social ne permet plus dans le moment, il faut donc le récupérer par l’usage des droits civiques. Autrement dit, la révolution citoyenne sera le bras législatif de la récupération sociale à laquelle il faut procéder. » (pp. 55-56)
Il y a beaucoup de vrai dans cette analyse. On ne peut s’empêcher de faire un lien entre l’essoufflement des mouvements sociaux et la montée de la précarité et de la pauvreté depuis la fin des « trente glorieuses ». Mais les propos de Mélenchon se heurtent à deux objections.
La première, c’est qu’il y a sans doute un lien entre mouvement social et mouvement politique. On voit mal comment des citoyens ayant massivement déserté le terrain des luttes sociales auraient tout d’un coup le désir de faire une « révolution citoyenne ». Comme le reconnaît le parti de gauche, c’est justement dans les classes populaires que l’abstention est la plus forte en France. Pourquoi ces ouvriers et employés abstentionnistes se mettraient-ils subitement à voter pour le front de gauche alors qu’ils n’ont pas voté pour le PCF, la LCR ou LO lors des précédentes élections ? Il semble bien qu’un changement radical en politique soit toujours précédé d’une forte agitation sociale. Les pays que Mélenchon cite en exemple – le Venezuela, la Bolivie et l’Équateur – n’échappent pas à la règle.
La deuxième objection qu’on pourrait faire à Mélenchon, c’est que le cercle vicieux du désengagement et de la pauvreté peut à certains moments être brisé par un mouvement social. Les récentes grèves et manifestations contre la « réforme » du régime des retraites le prouvent dans une certaine mesure. Certes, elles ont été très insuffisantes, puisqu’elles n’ont pas empêché une victoire quasi totale du gouvernement. Mais on ne peut pas non plus dire qu’elles aient été insignifiantes. L’avenir nous dira si ce mouvement a été un dernier sursaut avant une longue période d’apathie ou au contraire le prélude à de nouvelles insurrections, voire à une révolution sociale.
Pour conclure, je ne saurais trop conseiller la lecture du livre de Mélenchon. Il n’est sans doute pas parfait, mais il va suffisamment à l’encontre des idées dominantes pour susciter un sain débat démocratique – et, peut-être, le désir d’une révolution d’un genre nouveau…
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