Union de la gauche : l’erreur insoumise
Après l'échec des européennes, La France insoumise doit faire une introspection courageuse. Changeant progressivement de ligne politique depuis 2018, le mouvement a cherché à phagocyter le Parti socialiste et les autres partis de gauche, pour devenir... le PS des années 80. Erreur. Les électeurs de 2017 ne se reconnaissent pas dans cette stratégie. La France insoumise doit ainsi retrouver son essence, quitte à entrer en rupture avec la ligne "identitaire d'extrême gauche", dénoncée par l'ex-porte-parole du mouvement, Raquel Garrido.
Jean-Luc Mélenchon, le 16 avril 2017 à Toulouse (MathieuMD)
Avec seulement 6,31% des suffrages lors des européennes du 26 mai 2019, La France insoumise (LFI) a subi un revers cinglant. On est loin des près de 20% des voix accordées à Jean-Luc Mélenchon au premier tour de la présidentielle de 2017.
Certes, l'échéance électorale des européennes se distingue de la présidentielle qui, elle, s'incarne fortement à travers la figure de l'homme providentiel. Jean-Luc Mélenchon a une force médiatique que Manon Aubry a eu bien du mal à se détacher. Toutefois, l'échec de LFI ne se résume pas à l'éventuelle faute de casting pour la tête de liste. Manon Aubry n'est que la conséquence, malgré elle, de la stratégie mouvante et brouillonne de LFI depuis 2018.
La France insoumise devient "gauchiste"
Les analyses ne manquent pas pour avertir La France insoumise de la pente glissante sur laquelle elle s'obstine depuis 2018. La campagne présidentielle de 2017 marquait avec courage un positionnement "populiste", dans le sens noble, c'est à dire la recherche de l'union de la nation au-delà des clivages, faisant primer les termes "nation", "peuple" ou "France". Courageuse, La France insoumise se séparait même de la notion de "gauche" dans ses discours et programmes. Depuis 2018, que ce soit Jean-Luc Mélenchon, au cours de meetings, ou LFI dans son ensemble, le verbe a changé de couleur.
Désormais, LFI a donc choisi d'unir la gauche, écartant toute opinion en son sein qui pouvait obstruer cet objectif. L'aile souverainiste et patriote en a fait les frais. Logique : la gauche, en règle générale, de son extrême au Parti socialiste, a du mal à se saisir des thèmes patriotiques, à assumer de faire partie de la nation française ou à brandir le drapeau français lors de ses meetings.
Cette orientation a eu plusieurs conséquences politiques et idéologiques. Depuis les années 80, la gauche a en effet progressivement abandonné toute idée d'essor social du peuple pour faire dominer l'enjeu sociétal, se faisant la représentante des intérêts particuliers de communautés religieuses, sexuelles ou ethniques. Le PS illustre cette tendance qui vise d'abord à chercher l'électorat des minorités bruyantes. En épousant, dans les années 80, le marché unique au sein de l'Union européenne, le libre-échangisme et toutes les logiques économiques libérales, le PS ne pouvait plus assumer la représentation des classes populaires. Si le Parti communiste a, lui, refusé le dogme libéral, il n'en demeure pas moins qu'il a accepté par son internationalisme toute la philosophie de la construction européenne, même si celle-ci contrevenait à la souveraineté populaire. Le PCF est lui-même entré dans une bataille contre le PS, pour savoir qui représenterait le mieux les minorités bruyantes. Délaissées, les classes populaires se sont progressivement tournées vers le Front national. Le FN n'en attendait pas tant et a même changé de discours - presqu'anti-libéral - pour récupérer cet électorat.
La France insoumise n'assume plus son programme fédérateur de 2017 ?
La France insoumise a suivi cette évolution. Entre 2017 et 2019, il a peu à peu basculé. LFI a notamment écarté (ou mis à la porte) certains tenants de la ligne souverainiste (Djordje Kuzmanovic ou François Cocq), qui auraient pu froisser les mentalités des ex-socialistes ou d'ex-écologistes en quête d'une alliance politique avec LFI pour se relancer politiquement (comme Emmanuel Maurel ou Marie-Noëlle Lienemann). Du pain béni pour tout le bord incarné par les députées Clémentine Autain et Danièle Obono. Leur ligne, minoritaire en 2017 au sein de LFI, s'est peu à peu imposée. Elles revendiquent l'union de la gauche et font partie de la ligne "identitaire d'extrême gauche", selon l'ex-porte-parole de LFI Raquel Garrido. A bas la représentation de la nation, cette ligne veut engager la lutte intersectionnelle, en faisant la promotion du communautarisme, de l'indigénisme voire du racialisme. Cette ligne est celle du "gauchisme".
La tête de liste choisie pour les européennes par LFI n'est pas un hasard : Manon Aubry n'a pas brillé pour la défense du programme présidentielle de 2017, patriotique. Le discours a plutôt visé à tout lisser, même sur l'idée d'une sortie de l'Union européenne, pourtant évoquée en 2017 par Jean-Luc Mélenchon. Il ne fallait pas froisser, encore une fois, les alliés de la gauche que LFI a voulu intégrer sur sa liste. Manon Aubry était la personnalité politique idéale pour ne pas trancher idéologiquement et contenter toutes les lignes politiques de la gauche. En outre, le programme des européennes de LFI s'était surtout résumé à une querelle avec Europe Ecologie-Les Verts, sur le thème de l'écologie. Bataille perdue.
Les "communautaristes" de La France insoumise à l'attaque
Après le faible score des européennes, cela n'a pas empêché Clémentine Autain de dénoncer la ligne de La France insoumise dans plusieurs médias, aidée à ce sujet par les troupes "communautaristes" comme le sociologue Philippe Marlière. Pour eux, La France insoumise aurait perdu des voix à cause de la stratégie populiste de LFI. "Sans doute avons-nous pris trop de distance avec un discours cohérent de gauche", appuie-t-elle notamment. Il s'agit-là d'une escroquerie intellectuelle. C'est bel et bien la ligne plus orientée en faveur de Clémentine Autain qui est responsable de la perte électorale chez les insoumis. La France insoumise était porteuse d'espoir pour les classes populaires et moyennes en 2017. En 2019, La France insoumise a basculé dans une forme de "gauchisme". Jean-Luc Mélenchon s'en défendait encore durant la campagne. Peut-être est-il débordé par sa gauche ? Peut-être joue-t-il un double-jeu à travers ses nouveaux discours d'union de la gauche ? A la recherche de la synthèse entre l'aile "souverainiste" et l'aile pro-gauche "communautariste", Jean-Luc Mélenchon a laissé gangréner, dans son mouvement, le courant "communautariste".
Après la débâcle du 26 mai 2019, les opportunistes sont-là, tentant de faire culpabiliser LFI sur son passé patriote. Aujourd'hui elle est dépassée électoralement par Europe-Ecologie Les Verts et est à peine au-dessus de Place publique/PS. Une bonne pensée de gauche veut, par le même coup, faire rentrer dans le rang LFI. Des élus de gauche ou des médias de gauche comme Slate tentent de montrer qu'une union de la gauche aurait permis à celle-ci de réaliser un score aux alentours de 25% en additionnant toutes les listes, classées à gauche dont LFI. A 25%, cette liste aurait été en tête du scrutin selon ces commentateurs. Sauf que ces analyses font preuve, là aussi, d'une certaine malhonnêteté intellectuelle. La politique n'est pas arithmétique. Un électeur LFI ne se retrouverait pas forcément s'il trouvait en tête de liste de la gauche unie un Benoït Hamon, un Raphaël Glucksmann ou un Yannick Jadot. L'inverse fonctionne aussi. Un électeur de Benoît Hamon n'aurait pas forcément voté pour un Yannick Jadot - qui a tout de même admis que l'écologie devait s'adapter à l'économie de marché. Un électeur de Jean-Pierre Chevènement en 2002 ne se serait pas automatiquement retrouvé dans un vote pour le socialiste Lionel Jospin, si le premier avait abandonné avant le premier tour de présidentielle. Autre exemple, l'alliance d'extrême gauche entre Olivier Besancenot et Arlette Laguiller pour les européennes de 2004 aurait dû produire, selon la logique de Slate et des "gauchistes", un résultat aux alentours de 10¨%, si on fait l'addition des voix des deux candidats lors de la présidentielle de 2002. L'alliance entre les deux leaders de l'extrême gauche n'obtiendra qu'un maigre score, au niveau national, de 2,56% des suffrages pour les européennes de 2004 et un peu moins de 5%, pour les régionales de la même année. La politique n'est pas une addition de voix.
L'union de la gauche... un leurre pour LFI
En réalité, une union de la gauche permettrait simplement de brouiller davantage les discours et de réduire les offres politiques. Sans être dans la fiction, cela ne peut qu'alimenter l'abstention d'électeurs ne se sentant pas représentés idéologiquement. Les analyses tentant de démontrer que l'union de la gauche serait la solution permet simplement, à ses partisans, de s'éviter toute autocritique de fond sur les échecs de leur liste et parti.
Le mouvement gazeux doit s'écarter de la tambouille et éviter les négociations électorales en son sein qui affaiblissent, de fait, ses principes fondateurs. La France insoumise doit être catégorique et claire : que ce soit les ex-socialistes, hamonistes ou tous les tenants de la ligne de l'union de la gauche, ceux-ci doivent être éloignés de la structure insoumise pour ne pas flouter le positionnement de LFI. Les accords d'appareils (comme pour les européennes) ou un éventuel nouveau cartel des gauches n'aboutira qu'à l'échec. Le peuple ne s'y retrouvera pas.
LFI peut être porteuse d'espoir. Sans une France insoumise forte et fière de ses idées de 2017, la vie politique se satisfera d'un duel entre le Rassemblement national et les centristes. Ce jeu sera toujours à l'avantage du centriste, aujourd'hui Emmanuel Macron.
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